Ceci est le Prodrive Hunter. Construit comme l’Audi RS Q e-tron pour affronter la rigueur des épreuves de rallye-raid, il est aussi sans doute la dernière pièce du puzzle pour Prodrive, un des noms les plus réputés du sport automobile mondial. Après des décennies de succès au plus haut niveau dans le rallye, le Supertourisme, l’Endurance et la F1 (David Richards dirigeait l’équipe BAR au début des années 2000), le Hunter vise la victoire sur le Dakar.
Avec Sébastien Loeb et Nani Roma au volant , le Hunter et l’équipe BRX (soutenue par le fonds souverain du Bahreïn) ont effectué leurs débuts lors de l’édition 2021 et, malgré beaucoup de difficultés (Loeb a été contraint à l’abandon), Roma a terminé 5e, le meilleur résultat pour un nouveau team et une nouvelle auto sur cette épreuve mythique. Et en 2022, Loeb est parvenu à se hisser jusqu’à deuxième place.
Un gros bébé
Il faut vraiment l’avoir devant soi pour appréhender le gabarit de cet engin. 4,5 m de long, près de 2 m de haut et pesant 1 850 kg à sec, il fait de l’ombre à toutes les autos de course traditionnelles. Construit autour d’une structure tubulaire en acier, sa partie avant abrite un V6 3,5 l Ford EcoBoost de plus de 400 ch et 670 Nm de couple. Derrière le cockpit comprenant deux baquets étroits, on trouve des roues de rechange et un réservoir d’essence colossal d’une contenance de plus de 500 litres. La suspension est à triangles superposés aux 4 coins tandis que chaque roue dispose de deux amortisseurs réglables. Une boîte séquentielle 6 rapports transfère la puissance aux 4 roues de 16 pouces (comme exigé en classe T1) via des différentiels avant, arrière et central. C’est un engin au look très étrange dessiné par Ian Callum. Il présente quelques galbes sculptés et de jolis détails qui lui donnent un air de Jaguar F-Pace sous certains angles. Mais il y a tellement d’éléments mécaniques en dessous qu’on a l’impression que la carrosserie n’est pas assez volumineuse pour tout contenir.
Avec Nani Roma comme professeur
Le programme prévoit dans un premier temps d’accompagner Nani Roma puis de prendre le volant sur une boucle étonnamment longue et rapide tracée au sein d’une base militaire. Selon Prodrive, le Hunter est un engin “facile” à piloter. C’est peut-être vrai mais, comme je vais le découvrir, tout est relatif car bien qu’il soit effectivement simple à utiliser, le piloter comme il se doit (c’est-à-dire au rythme pour lequel il a été conçu) est une autre paire de manches.
Nani Roma est une légende du Dakar. Avec 25 participations et 2 victoires (une à moto en 2004 et une en auto en 2014), peu d’autres pilotes possèdent l’expérience et le talent du Catalan de 49 ans. De plus, c’est un homme charmant, amical, amusant et doté de l’assurance de celui qui sait de quoi il parle.
La première chose qui vous frappe lorsqu’on vous invite à prendre place à bord, c’est la hauteur impressionnante de la garde au sol. Je n’ai jamais fait d’équitation mais j’ai eu l’impression de chercher à monter un cheval, sans étrier pour m’aider. Une fois dessus, ce que vous remarquez ensuite est l’exiguïté de la cabine. Imaginez un Range Rover avec l’habitacle d’une Lotus Exige et vous ne serez pas loin de la vérité.
Les tours qui vont suivre vont littéralement m’ouvrir l’esprit. Et à certains moments, me faire fermer les yeux. Cela n’a rien à voir avec le pilotage de Nani Roma, ni la proximité des arbres, mais avec la vitesse insensée que cet engin est capable de tenir sur un revêtement qui démembrerait une auto du WRC. En voyant certaines bosses devant nous, j’imaginais que seule une dislocation de l’engin et de ses occupants était possible mais non, rien de tout ça. La démonstration du pilote et les capacités de la voiture sont époustouflantes. La façon qu’a Nani Roma de faire pivoter le Hunter au pied gauche est juste déroutante. Si vous combinez cela avec l’aide apportée par les profondes ornières qui vous guident comme une Scalextric, c’est surréaliste. Par moments, le Hunter en sort et semble échapper au contrôle mais même dans cette situation, il continue d’aller de l’avant. Nani Roma monte les rapports dès qu’il le peut pour puiser dans les réserves immenses de couple du V6 EcoBoost. Cet engin semble inarrêtable et émet une sonorité dingue qui n’est pas sans rappeler celle des Ford GT du Mans.
Imaginez un Range Rover avec l’habitacle d’une Lotus Exige et vous ne serez pas loin de la vérité.
La punition est intense. Tout ce qui se trouve au-dessus et au-dessous de votre harnais bat dans tous les sens. Pendant que votre torse est solidement attaché, tous vos muscles abdominaux se tendent, votre respiration s’accélère… ou se coupe en attendant le prochain impact. En regardant les résumés à la télé, il est difficile d’imaginer à quel point ces longues étapes dans les déserts les plus majestueux sont âpres mais après avoir effectué notre boucle, Nani Roma me confirme que certaines spéciales ressemblent à cela mais sur plusieurs centaines de kilomètres. De la même manière, le gros niveau d’attaque qu’il vient de me montrer est aussi celui qu’il faut tenir sur l’intégralité d’un Dakar.

La suspension est extraordinaire, les roues montent et descendent dans leurs arches comme les genoux d’un skieur de bosses, les crêtes les plus abruptes sont absorbées comme par magie. Et le fait d’être secoué en permanence est épuisant, votre tête s’agite comme un petit pois dans un sifflet pendant que vos yeux essaient de décrypter la route devant. C’est une surcharge sensorielle en 3D. Et maintenant, c’est à moi de prendre le volant.
Au volant, déboussolé
Comme c’est le cas avec les autos de course modernes, tout fonctionne parfaitement. La boîte séquentielle est une merveille pour monter ou descendre les rapports, les freins puissants rassurent et la direction est suffisamment légère pour ne pas vous épuiser tout en offrant un ressenti assez riche. Le problème est qu’à cause des importants mouvements de caisse et des changements permanents de motricité à chaque extrémité de la voiture, si vous attendez de ressentir ce que fait le Hunter avant d’agir, vous serez alors en retard d’un ou deux crans par rapport à l’action qui se déroule.
Pour être tout à fait honnête, je me suis senti un peu perdu pendant mon run. Mais je ne m’en plains pas car c’est toujours bon d’être poussé dans ses retranchements. Le plus gros challenge pour moi fut de m’accoutumer à la hauteur de caisse élevée et aux réactions d’un engin qui doit bien dépasser les deux tonnes avec ses fluides et le carburant pour la journée. Ajoutez à cela une surface meuble en constante évolution et de gros pneus tout-terrain, vous comprendrez que les sensations ressenties dans l’auto étaient pour moi absolument inédites.
Le plus frustrant est de sentir que l’auto est prête et n’attend que vous. Il faut se forcer à braquer un peu plus tôt en virage, aligner la voiture, écraser l’accélérateur, faire fonctionner les différentiels puis utiliser les ornières profondes pour se guider et les bordures comme d’un banking qui vous remet dans la bonne direction.
Votre tête s’agite comme un petit pois dans un sifflet
Lorsque vous parvenez à passer une ou deux courbes avec suffisamment de conviction, les sensations sont juste fabuleuses. La motricité, l’accélération latérale et longitudinale, le contrôle de la suspension, l’équilibre général s’unissent pour faire en sorte que le Hunter survole les pires difficultés avec une sérénité irréelle. Et puis sur le virage suivant, j’hésite, je me bloque, car j’ai l’impression que l’on a arraché le tapis sous mes roues. Compliqué.
Déjà dépassé, déjà du passé

Le rythme de développement en rallye-raid est si frénétique que Prodrive a déjà fait évoluer son Hunter pour la course de 2023. Les ingénieurs ont dessiné et construit une évolution répondant à la nouvelle classe T1+ : 300 mm plus large, un débattement de suspension de 350 mm contre 280 sur celui-ci, des pneus gigantesques de 37 pouces montés sur des jantes de 17 pouces au lieu de pneus de 32 pouces sur jantes de 16 pouces du modèle essayé ici. C’est cette évolution que pilotait Sébastien Loeb et Fabian Lurquin sur le 45e Dakar où les innombrables crevaisons subies leur ont très tôt retiré tout espoir de victoire.
Mais la nouvelle la plus folle est finalement que Prodrive a construit une version route du Hunter avec plus de puissance (> 500 ch), un intérieur plus luxueux et un dessin revu toujours signé de Ian Callum. Je suis impatient de lui mettre la main dessus pour un essai en bonne et due forme.
Fiche technique
Moteur V6, 3 496 cm3, turbo
Puissance > 400 ch à 6 000 tr/mn
Couple > 670 Nm à 3 100 tr/mn
Poids (à sec) 1 850 kg (4,51 kg/ch)
0-100 km/h n/a
V-Max 180 km/h