Je m’en veux. Les gars de McLaren Special Operations viennent d’arriver sur la piste d’essai à bord d’une VW Type 3 Variant très californienne, et j’ai l’air bête avec mon break Volvo ordinaire. Si seulement j’avais pris ma Mustang… J’aurais dû m’y attendre. Les employés de McLaren sont de vrais passionnés et aujourd’hui, réunis sur une piste d’essai du Surrey, nous rencontrons trois membres clés de l’atelier de construction MSO, qui est basé dans une zone industrielle anonyme à quelques kilomètres du spectaculaire Centre technologique de McLaren : Tom Reinhold, responsable du patrimoine de MSO, Merrill Burton, responsable de l’atelier, et Matt Brown, technicien SLR senior.
La Type 3 appartient à Merrill, Matt possède une Escort Mk1 de piste équipée d’un moteur de Focus ST170, et Tom une Austin Seven Ulster de 1927. Plus important encore, Merrill et Matt ont tous deux travaillé sur la Mercedes SLR McLaren originale dès les premières phases de son développement et font partie de MSO depuis sa création. « J’ai recruté Matt pendant des vacances de surf », se souvient Merrill en souriant.
Cette bande très soudée forme l’équipe qui a donné naissance à la voiture que nous allons conduire. Baptisée « SLR by MSO », il s’agit d’une version fortement remaniée de la supercar produite entre 2003 et 2009. Cette voiture n’était pas du goût de tous… Alors, les modifications apportées par MSO l’ont-elles rendue plus acceptable ?
La genèse de la SLR de 2003
À l’époque, la SLR était une voiture un peu étrange. Impressionnante sur le plan technologique, bien sûr, mais curieusement, son poids et son gabarit ne ressemblaient pas à ceux d’une McLaren. Une dizaine d’années plus tôt, la société avait dévoilé ce qui reste pour beaucoup la meilleure voiture de route de tous les temps : la F1. Celle-ci était extrêmement puissante, mais étonnamment légère : c’était une voiture axée sur son conducteur, avec peu de compromis, voire aucun.
La SLR a fini par ne plus savoir ce qu’elle voulait être. GORDON MURRAY
La Mercedes-Benz SLR McLaren, comme on l’appelait officiellement, était tout autre chose. Gordon Murray en était le créateur, mais ce n’est pas du tout lui qui en a eu l’idée et il ne l’aimait pas beaucoup à l’époque. Il a récemment expliqué pourquoi dans le podcast Collecting Cars, avec Chris Harris.
« BMW a été si content de la publicité obtenue avec la McLaren F1 que j’ai commencé à très vite travailler sur le « projet numéro deux » : une petite voiture, censée être construite à 1 000 exemplaires par an et beaucoup plus abordable que la F1. Puis Ron Dennis nous a annoncé qu’il venait de signer un contrat de 5 ans avec Mercedes-Benz pour la fourniture de ses moteurs de Formule 1. Nous nous sommes alors retrouvés dans l’avion pour nous rendre chez BMW, où Wolfgang Reitzle devait nous donner son accord pour le ‘projet numéro deux’. Pendant tout le voyage, Ron disait : « Tu ne comprends pas parce que tu es un ingénieur, mais ils vont accepter sans problème», et moi de lui répondre : « Ron, tu n’as vraiment aucune idée à quel point ces deux marques se détestent ! ». Alors on est allé dans le bureau, Reitzle est entré et a dit « J’ai une grande nouvelle ». Mais Ron a pris la parole : « Avant que vous ne disiez quoi que ce soit, je dois juste vous informer de l’accord que nous venons de signer… ». Une fois qu’il a entendu cela, Reitzle a simplement dit « Au revoir, M. Dennis », il a tourné les talons et est parti.
J’ai alors dû imaginer quelque chose d’autre pour que McLaren continue. Nous avons donc créé une petite voiture de sport biplace avec un V8 Mercedes, une petite voiture très sexy, et nous l’avons envoyée au constructeur à l’étoile : nous n’avons plus eu de nouvelles pendant trois mois, puis ils sont revenus nous voir en nous disant : « La mauvaise nouvelle, c’est que nous ne produirons pas votre voiture. La bonne nouvelle, c’est que nous avons un travail pour vous, car nous venons de créer le show car Vision SLR et nous voulons le produire. Vous allez tout faire : la concevoir, la fabriquer, la tester, l’homologuer. » Et ce fut le début du SLR.
Crise d’identité
Murray poursuit en disant qu’il est toujours très fier de la structure de la voiture et de la façon dont elle a été construite. « Elle avait une coque en carbone collée par un robot… Elle innovait dans tous les domaines. Malheureusement, il y avait les méandres de la chaîne de décision, et elle a fini par ne plus savoir ce qu’elle voulait être. Nous n’avons rien eu à dire sur son style, elle a souffert d’une vraie crise d’identité. »
Notre ancien collaborateur David Lillywhite avait mis la main sur une SLR de série en 2004, mais il n’en est pas non plus tombé amoureux inconditionnellement. « Dès le départ, la SLR McLaren a porté un nom qu’elle ne pouvait pas égaler, écrivait-il alors. Mais en tant que sportive hautes performances, j’espérais qu’elle brille. J’ai imaginé qu’elle ressemblait à une grosse AMG SL, aussi sophistiquée que puissante. Mais ce n’est pas le cas. Pourquoi ? Parce que cette satanée chose est une brute. On la présente comme une supercar, mais c’est plutôt une super-muscle-car, une Cobra des temps modernes avec laquelle on part pour des virées sauvages, si on ose le faire. »
Le V8 délivrait 626 ch et 780 Nm dans un grondement terrifiant lâché par ses échappement à sorties latérales
Contrairement à une Cobra, la SLR était (au moins) sophistiquée technologiquement. Elle était équipée d’un châssis en fibres de carbone, de disques de freins en carbone-céramique, d’une boîte de vitesses automatique à 5 rapports (sur les premières voitures, elle était actionnée par des boutons situés derrière les branches du volant, ce qui était plutôt déroutant) et de toutes les aides technologiques connues : ESP, EBD, ABS et Brake Assist, entre autres. Et puis, bien sûr, il y avait l’épique V8 Mercedes. À carter sec et suralimenté, il développait 626 ch et 780 Nm à partir de ses 5,4 litres de cylindrée, le tout délivré dans le souffle terrifiant de ses échappements à sorties latérales. La SLR pouvait aisément dépasser 330 km/h. John Simister, collaborateur d’Octane et essayeur très expérimenté, a conduit un prototype de SLR en 2003 et a déclaré qu’il n’avait jamais roulé aussi vite de sa vie en voiture.
MSO entre en scène
D’une certaine manière, ces performances incroyables associées à une technologie de pointe étaient à la fois très Mercedes et très McLaren. Mais l’ensemble était assez peu subtil, et c’est pourquoi McLaren Special Operations revient aujourd’hui dessus. Ces SLR ne sont pas étrangères à MSO car avec quelque 2 157 exemplaires assemblés, Tom Reinhold estime qu’il y en a toujours au moins une à l’atelier depuis la création de MSO en 2010. Dans l’ordre chronologique, depuis le lancement du coupé d’origine, sont sortis l’édition 722 (2004), le Roadster (2007), la 722 GT (2007), le roadster 722 S (2009, sans toit), l’édition Stirling Moss au look de speedster (2009) et, en 2010, la McLaren Edition que MSO connait bien.
«La McLaren Edition fut le tout premier projet de MSO », explique Merrill Burton. « Nous l’avons conçue lors de la mise en place de MSO en 2010-2011, à la fin de la production des SLR. » Tom Reinhold ajoute : « C’était très discret et seulement 25 voitures ont été construites. Typiquement, un client se rendait dans l’atelier pour voir l’entretien de sa McLaren F1, remarquait la SLR sur le pont et demandait « Qu’est-ce que c’est ? ». Une fois que nous lui avions parlé de la nouvelle carrosserie, de la suspension, de l’appui accru, de la direction et ainsi de suite, il signait immédiatement. Ces dernières années, nos clients ont dit apprécier la McLaren Edition mais ils souhaitaient aussi quelque chose d’encore plus discret. L’édition 2010 était plus axée piste, elle était plus sportive. La nouvelle voiture revient au cahier des charges initial et renforce le côté GT ».
Qu’a-t-elle de particulier cette SLR by MSO ?
Alors, qu’obtient-on pour les quelque 250 000 euros H.T (sans compter la voiture donneuse) que demande MSO ? Eh bien, pour commencer, quelque chose de fabuleux. Naturellement, les clients peuvent spécifier la couleur qu’ils souhaitent, et MSO a choisi cette nuance particulière de vert métallisé pour sa voiture de démonstration (qui est basée sur une SLR de pré-production, donc en soi un véhicule historique). Elle est tout simplement parfaite, et c’est tant mieux puisque la nouvelle peinture a coûté à elle seule 49 000 euros H.T. Cochez toutes les options et vous pourriez dépenser 200 000 euros de plus au prix de base. Toujours hors taxes…
L’intérieur est encore plus impressionnant. MSO l’a entièrement retouché d’une manière qui fait intelligemment référence aux Mercedes des années 50 et 60. Les sièges sont dotés d’inserts en cuir, les assises sont en tissage tressé que l’on retrouve sur les panneaux de portes, tandis que les tapis sont conçus dans un style qui rappelle l’époque de Moss et de sa fameuse victoire à la Mille Miglia. « Nous avons habillé cette voiture dans des teintes assorties, mais vous pouvez choisir n’importe quelle combinaison de couleurs, explique Tom. Nous avons également modifié la conception des sièges avec de nouvelles mousses pour un meilleur confort. »
Les roues sont également uniques. « La voiture a été conçue avec des jantes de 18 pouces à cinq rayons, qui étaient de série, mais la plupart des clients ont opté pour le style Turbine de 19 pouces, ajoute Tom. Nous avons donc décidé de faire revivre le look original, mais dans une taille plus grande. Chacune des nouvelles roues est également plus légère que les Turbine (-2 kg) . »
Ces modifications esthétiques ne sont que la cerise sur un délicieux gâteau. En prenant la McLaren Edition comme base de référence, MSO a peaufiné le comportement dynamique en travaillant sur plusieurs secteurs clés : la suspension, la direction et l’aérodynamique. Étonnamment, MSO a réussi à améliorer considérablement ce dernier point en concevant un nouvel aileron avant et un nouveau diffuseur arrière, puis en abaissant la suspension de 10 mm. Toutes ensemble, ces modifications produisent un appui similaire à celui d’une SLR 722, mais avec traînée réduite.
Les ressorts et les amortisseurs ont également été réglés (ces derniers sont passifs et non actifs) et la direction a été modifiée pour donner une réponse plus linéaire en incorporant un joint universel supplémentaire dans la colonne, et une pompe de direction assistée révisée. Mais le plus impressionnant est peut-être le travail effectué sur le système d’échappement, un élément toujours délicat en raison de l’insistance de Gordon Murray pour qu’il sorte devant les portes. MSO a réussi à réduire de 30 kg le poids de l’original, et il est désormais possible d’opter pour un clapet de dérivation, afin de libérer tout le tonnerre de ce V8. Cet échappement révisé ainsi que le filtre à air sport contribuent également à libérer quelques chevaux supplémentaires.
Au volant
Assez de détails techniques. Qu’en est-il de la conduite ? Nous avons amené la SLR sur le circuit d’essai anglais de Longcross, en partie parce qu’il est proche de McLaren et de MSO, mais aussi parce que McLaren a beaucoup utilisé ce site lors du développement de la F1 et pour les essais de la SLR.
Le large seuil et le volant bas rendent l’entrée un peu compliquée si vous êtes bien charpenté, et la porte en ciseaux doit être tirée pour être abaissée et fermée. L’intérieur n’est pas exigu, mais il vous entoure assez étroitement. Néanmoins, les nouvelles finitions réalisées par MSO en ont fait un endroit agréable à vivre et seule la finition en aluminium brillant de la console centrale (qui ressemble étrangement à du plastique peint) semble curieusement dépassée. Je pense que je demanderais à MSO, sur ma commande, de me l’anodiser.
La façon dont on démarre le moteur, en tournant d’abord la clé, puis en soulevant le clapet au sommet du pommeau du levier de vitesse pour appuyer sur le bouton de démarreur se trouvant en dessous, constitue également un flashback vers l’époque où tout ceci étaient considéré comme super cool. Sinon, les commandes sont relativement simples, avec des molettes classiques pour régler le chauffage et la climatisation, à gauche pour sélectionner le mode de boîte de vitesses Auto, Manuel ou Sport, et à droite pour choisir entre trois lois de vitesse de passage des rapports. Il y a également un bouton pour ouvrir les clapets de l’échappement. Nous sommes sur circuit, alors pourquoi hésiter ?
Le bruit émis lorsque l’on presse le démarreur est tout simplement incroyable. Le V8 éclate dans un grondement bestial qui tient plus de la NASCAR que de la F1, résonnant entre les arbres voisins dans un tonnerre profond. Il suffit de laisser le sélecteur de vitesse en position Auto et de partir sur la piste en laissant le couple massif du moteur faire le travail. Le régime maximal est de 7 000 tr/min mais, honnêtement, il n’y a jamais besoin de s’approcher de ce chiffre, si ce n’est pour entendre le son d’un V8 suralimenté de 640 ch à plein régime.
Alors que le moteur se réchauffe au fur et à mesure que nous tournons doucement autour du circuit (Matt Brown est avec moi pour commencer), nous avons le temps de penser à la qualité du confort et de la direction. Oui, nous sommes sur une piste d’essai, mais la surface est loin d’être excellente (c’est l’une des raisons pour lesquelles McLaren n’utilise plus beaucoup Longcross) et pourtant la SLR se débrouille bien avec les irrégularités du béton et du bitume. La suspension n’est ni dure ni agressive, et même à basse vitesse, la façon dont elle gère les petites secousses est impressionnant.
La zone rouge est située à 7000 tr/mn mais vous n’avez jamais besoin de vous en approcher
Paradoxalement, lorsque j’en parle à Matt, il me répond : « Les ressorts sont légèrement plus durs et les taux d’amortissement et de rebond sont différents, et bien sûr, la voiture roule maintenant 10 mm plus bas. Étant assez grand et lourd, le moteur standard avait une légère tendance à la faire cabrer, plonger, ou lui donner du roulis et nous avons essayé de maximiser son potentiel, pour la rendre plus sportive ».
Les pistes d’essai et les routes publiques sont des environnements très différents, et Harry Metcalfe, qui a passé trois jours avec cette même voiture pour sa chaîne YouTube Harry’s Garage, estime que la conduite dans le monde réel est un peu compliquée si on la considère comme une GT (bien qu’il admette que la voiture se comporte bien sur les routes de campagne). Sa vidéo vaut la peine d’être regardée, ne serait-ce que pour ressentir le « braaaap » du V8 lorsqu’il passe devant la caméra…
Il n’y a rien à reprocher à la direction, qui est bien équilibrée et linéaire. La voiture tourne magnifiquement et il est clair que l’adhérence sur le sec est immense, mais Matt (qui, comme Merrill, a travaillé sur ces voitures depuis les essais d’avant lancement en 2002) prévient qu’on ne peut jamais se permettre de relâcher son attention. Gordon Murray s’est donné beaucoup de mal pour optimiser la répartition des masses (le moteur a été déplacé au-delà même de l’axe de l’essieu avant, avec pour conséquence, une tuyauterie d’admission d’un mètre de long), ce qui a donné lieu à une répartition avant/arrière de 49:51, mais il y a toujours une énorme quantité de puissance et de couple envoyée aux seules roues arrière.
Heureusement, le V8 délivre sa puissance progressivement, à la manière des meilleurs moteurs suralimentés. Au fur et à mesure que l’on se rapproche de la zone rouge à 7 000 tr/min, le ronflement du compresseur, le fracas de la distribution et le bruit d’admission commencent à rivaliser avec le grognement de l’échappement : c’est quelque chose d’addictif, comme si l’on était dans une muscle car américaine vraiment très, très bien assemblée. Et en parlant d’être bien fabriquée, il est bon de rappeler que ce démonstrateur MSO était à l’origine une voiture de développement, donc les quelque 50 000 km qu’il a parcourus ont été exceptionnellement agités. Et pourtant, malgré cela, il n’y a jamais le moindre grincement ou cliquetis.
La boîte de vitesses est résolument à l’ancienne, puisqu’il s’agit d’une automatique à convertisseur de couple avec seulement cinq rapports, et leurs passages sont relativement lents, peu importe le réglage choisi. Mais vous savez quoi ? Cela n’a pas d’importance. La boîte automatique s’adapte au couple massif du moteur et le rapport sur lequel vous vous trouvez n’a pratiquement aucune importance : appuyez sur l’accélérateur à des régimes ridiculement bas et la voiture répond instantanément.
S’il y a une chose à laquelle il faut s’habituer (à part l’accélération balistique) ce sont les freins, qui sont difficiles à jauger. Il y a une légère course morte de la pédale articulée au sol avant que l’on sente les plaquettes mordre. Le fait que le système soit de type « brake-by-wire », c’est-à-dire que des capteurs électroniques mesurent l’action du pied et répartissent la pression sur les plaquettes en conséquence à partir d’une pompe hydraulique entraînée électriquement, n’aide pas, mais ils sont certainement beaucoup moins délicats qu’ils ne l’étaient sur la SLR originale de 2003. Si vous freinez brusquement, un aérofrein se libère, comme sur les Mercedes du Mans de 1955.
Cet aérofrein, le bruit enivrant des sorties d’échappement latérales, les prises d’air style années 50 dans les ailes avant avec leurs barres en métal brillant : la SLR a le sens du spectacle. Mais si vous n’êtes pas d’humeur, vous pouvez aussi stopper tout ce fracas en mettant l’échappement en sourdine, puis vous laisser couler sur un filet de gaz et vous détendre pendant un long voyage. Gordon Murray admet lui-même aujourd’hui admirer les capacités de la SLR en tant que, je cite, « broyeuse de continents », et j’aime à penser qu’il apprécierait les perfectionnements que MSO a apportés à sa création.