Sur l’aire de dépose-minute de l’aéroport de Nice, je sens une onde d’inquiétude se répandre dans tout mon corps. Car devant moi se trouve un engin qui pourrait répondre lui aussi à la définition de “dépose-minute” ou même “dépose-seconde” puisque sous sa peau de carbone verni au prix inestimable se trouve le V8 4,0 litres biturbo de la Senna porté à 815 ch, capable en théorie de déposer 99 % de tout ce qui roule sur la planète. D’autant que le poids à déplacer est celui d’une petite A110S et que cette puissance faramineuse accompagnée d’un couple de 800 Nm n’alimente que les roues arrière. Et pour corser la chose, l’auto déjà affichée au prix de base non négligeable de 1,7 million d’euros est bardée de près de 500 000 euros d’options. Cependant, celle du pare-brise pourtant disponible n’a pas été choisie et les casques prévus pour la conduite se sont perdus en cours de route. Ah oui, c’est aussi une conduite à droite et la visibilité arrière est nulle. Bref, j’ai la gorge sèche et l’estomac noué avant même d’avoir posé un doigt sur la McLaren Elva qui attend là, juste devant moi.
C’est quoi l’Elva ?
En gros, pour tous ceux qui ne font pas partie des 149 heureux propriétaires, c’est une Senna dont on a coupé le toit à la base du pare-brise et dont l’admission d’air plus libre lui offre 15 ch de plus, histoire d’établir un rapport poids/puissance stupéfiant de 1,41 kg/ch.
Au départ, on découvre donc une ligne qui, de profil, paraît immense. L’Elva n’a rien d’une petite Lotus 340R, c’est un long cigare au nez très fin qui plonge très loin et très bas (gardez de la marge si vous voulez la garer le nez contre un mur). Le poste de conduite accessible par une “porte” ultralégère à ouverture papillon comme toute bonne McLaren accueille la nouvelle évolution de leur combiné d’instrumentation, celui que l’on retrouve dans l’Artura. Fini le bouton “Active” à presser avant de modifier les traditionnels réglages Confort, Sport et Track de l’auto, désormais les modes Moteur (à droite) et Châssis (à gauche) ainsi que ceux de l’ESC et du passage de rapports manuel se changent d’une pression du doigt sur des palettes rotatives et leur bouton situés de chaque côté du combiné d’instrumentation, juste au-dessus du volant.
L’écran tactile de la console centrale flottante s’active avec un bouton/molette latéral très pratique, on regrette toujours une certaine lenteur d’affichage, mais en termes d’ergonomie c’est un vrai progrès. Question praticité, si l’espace de rangement avant a disparu, un petit coffre situé entre les arceaux au-dessus du moteur permet de ranger un casque ou un sac. La sellerie est réalisée avec un nouveau matériau appelé Ultrafabrics prévu pour résister un peu plus que ne le ferait l’Alcantara mais, comme la coque n’est pas percée pour évacuer l’eau façon Méhari, cela signifie que pour ne pas en faire une baignoire lors d’une grosse averse, il faudra la garer à l’abri ou tendre la toile couvre-tonneau au-dessus de l’habitacle.
Mais on peut rouler sans pare-brise ?
En roulant, le système AAMS (Active Air Management System) développé pour l’Elva va vous protéger… mais pas tout le temps et pas complètement. Ce système inédit se compose de conduits aérodynamiques internes actifs pour dévier le flux d’air selon les besoins (refroidir le moteur, asseoir l’auto, préserver le visage du conducteur). Lorsque l’AAMS est activé, dès que vous atteignez 40 km/h, un surprenant déflecteur vertical de 15 cm se déploie sur le nez pour vous offrir un confort qui n’a rien de relatif car, pour être totalement clair, il est absolument impossible de rouler sans. Même avec les lunettes blindées spécifiques livrées avec l’auto et conçues avec l’armée américaine pour résister aux impacts des gravillons, dès que vous dépassez 80 km/h, vos yeux pleurent plus que ceux d’un manifestant en discussion avancée avec un CRS. Et quand vous dépassez 100 km/h, toute affaire non arrimée qui se trouve à bord passe par-dessus… bord.
Au-delà de cette vitesse, c’est votre bonnet qui est arraché à votre crâne. Autant dire que l’absence de radio n’est pas vraiment préjudiciable (même s’il est possible de connecter son téléphone pour écouter de la musique, l’Elva étant équipée de haut-parleurs). Et surtout, pour des raisons aérodynamiques aisées à comprendre, le système AAMS ne fonctionne plus à partir de 190 km/h car l’appui qu’il génère sur le museau de l’Elva dépasse alors la compensation que peut apporter l’aileron arrière actif. Et pour éviter un déséquilibre qui pourrait être gênant pour votre investissement, une coupure d’injection moteur vient mettre fin à la fête. Le problème est qu’avec une auto qui accélère de 0 à 200 km/h plus vite qu’une McLaren Senna (soit en 6’’7), les 190 km/h sont atteints très très très très rapidement. Donc, ça peut surprendre la première fois (l’accélération comme la coupure d’ailleurs). Par conséquent, si vous voulez tester la V-Max de plus de 300 km/h ou taper un chrono en circuit, le système doit être désactivé. Le casque sera impératif, au moins autant qu’un cou musclé.
Pas si sauvage
Et en comportement ? La sauvagerie promise par la fiche technique est-elle au rendez-vous ? McLaren est expert en sauvagerie depuis maintenant plusieurs années et les 815 ch et 800 Nm restent donc facilement gérables grâce à un accélérateur à longue course et une électronique rassurante qui sait contenir les débordements sur les premiers rapports, même en ESC Off (oui, j’ai osé). À ce propos, McLaren propose en plus des trois modes d’ESC (On, Dynamique et Off) le système Variable Drift Control qui permet de régler le degré d’angle de dérive autorisé par l’électronique. Moins raffiné que chez Ferrari, il permet toutefois de rouler gaillardement sans produire un litre de transpiration à chaque remise des gaz un peu velue. La violence bien réelle du moteur, pourtant amplifiée par l’échappement titane et Inconel de la Senna, est finalement étouffée par une autre violence encore plus spectaculaire : celle des éléments qui se déchaînent sur votre visage et vos oreilles. Dans cet océan de fureurs (au pluriel), tout se mêle. Vous êtes assis au milieu d’un ouragan et toute votre attention se concentre sur le fait de ne pas faire d’erreur. Surtout pas. C’est un point de vue assez personnel mais je trouve cela positif, car ce serait dommage qu’une telle auto ne soit pas un minimum effrayante. Les autos les plus dangereuses, en plus d’être les moins mémorables, sont celles qui ne vous donnent aucune sensation de vitesse. Là, ce n’est pas le cas, vous l’avez deviné, et on loue encore une fois la direction électrohydraulique McLaren hyper communicative et précise qui vous permet de placer cette fusée de beau gabarit au millimètre. Et avec cette version en conduite à droite, c’est encore plus appréciable.
Mais elle n’est pas parfaite
En fait, le seul regret que l’on peut avoir, c’est que l’Elva n’ait pas un châssis de LT. Malgré une monte pneumatique identique à celle de la 765LT (ici des Pirelli P Zero en 245/35ZR19 et 305/30ZR20, mais des P Zero Corsa sont aussi disponibles), son train avant vous paraît souvent léger et à ces allures-là, subir du sous-virage freine immanquablement votre enthousiasme. Il y a également plus d’inertie sur les gros freinages, l’arrière embarque plus vite et, d’ailleurs, on ne ressent pas vraiment le bénéfice de sa légèreté par rapport à une 765LT. Sans pour autant être confortable, sa suspension toujours connectée hydrauliquement en X semble plus souple et plus proche d’une 720S que d’une Senna, ce qui n’est pas non plus incohérent étant donné le type d’engin, moins pistard que ce que sa fiche technique et sa com’ le laissent entendre. Avec un ressenti général et un niveau de grip globalement moins importants que sur une LT, la retenue du pilote sera inévitable. Mais il est également évident que le monde réel (comprenez la route) est bien trop étroit pour ses capacités immenses, il faudrait l’essayer sur circuit pour se faire une idée plus précise. Même en étant très enthousiaste (et un peu inconscient), il est très rare de pouvoir écraser entièrement la pédale de droite. Je n’ai réussi qu’à une poignée de reprises à toucher le rupteur sur les belles routes du col de Vence et de Gréolières. Il est tout aussi rare de pouvoir écraser celle de gauche car le manque de confiance dans le grip du train avant vous empêche de vous reposer entièrement sur l’efficacité des disques carbone-céramique de 390 mm (repris de la Senna) pincés par de nouveaux étriers en titane. Quant à l’efficacité de son fond entièrement plat réalisée d’une pièce, ce sera impossible à ressentir sur une nationale.