Après trois essais “subjectifs” en un an, le temps était venu de traduire en chiffres les superlatifs dont nous ont abreuvés les membres de l’équipe de Motorsport traumatisés par la violence de la 765LT, Coupé ou Spider. Une fois n’est pas coutume, McLaren n’était pas en mesure de nous livrer une auto à Magny-Cours le temps d’un supertest. C’est là qu’intervient notre joker du Nord, alias Sébastien. L’histoire se répète six ans après notre première rencontre, à l’occasion de l’essai inoubliable de sa 675LT. Depuis, nous ne nous sommes plus jamais vraiment quittés. Ce passionné sincère est devenu un ami et un membre à part entière de la famille Motorsport. Il a songé à vendre sa 675LT avant de réaliser qu’elle et lui, c’était pour la vie (Dieu soit loué !), puis a successivement vu défiler dans son garage une Huracán Performante, une 488 Pista, une McLaren 620R et pour finir cette 765LT Spider “Ambit Blue” fraîchement rodée.
Avion sans ailes
Le temps que vous lisiez les premières lignes de cet article (disons un peu moins de 20 secondes), la supercar de Woking a déjà dépassé les 300 km/h…
Sur la ligne droite de Lurcy-Lévis qui ne m’a jamais paru si courte, j’ai vu affiché 303 avant d’écraser la pédale de gauche et déployer l’aérofrein. L’appareil de mesures annonce, lui, une vitesse finale réelle de 291 km/h au passage de la borne. C’est sept de moins que la 720S, aérodynamiquement plus fine. Avec un temps de 18”1, la 765LT Spider bat tout de même d’un dixième le record détenu conjointement par la 720 et la Senna au mille mètres départ arrêté. On ne peut s’empêcher d’imaginer le coupé, plus léger de 49 kg, descendre sous les 18’’. Pour l’heure, essayons déjà de prendre la mesure de cette démesure, de mettre le niveau de performances de cette découvrable supersonique en perspective.
Les 130 km/h légaux sur autoroute sont atteints en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire… littéralement. 3”9, précisément. À 400 m, la McLaren roule déjà plus vite (234 km/h) qu’une Alpine A110S flashée aux mille mètres, cela après avoir franchi la barre des 200 m en 7”4 ! La Bugatti Veyron était annoncée (pas mesurée) en 7”2 et la Chiron en 6”5. La 765LT Spider est ainsi plus proche du niveau d’accélération d’une Chiron que de celui d’une Lamborghini Aventador SVJ Coupé (8”5)…
Côté reprises, songez que la fusée anglaise réclame moins de temps pour grimper de 140 à 200 km/h (nouveau record en 3”3) que la meilleure des petites GTI du moment pour passer de 0 à 60… Autrement dit, écraser la pédale de droite à une vitesse déjà illégale sur autoroute colle davantage aux sièges qu’un départ arrêté à bord d’une Hyundai i20N de 200 ch.
Je pourrais encore vous abreuver de chiffres et multiplier les comparaisons plus ou moins vaseuses, mais l’expérience d’un 0 à 300 avec une telle machine est inénarrable. Le toit ouvert, c’est encore plus fou (pas insupportable) d’autant qu’on ne perd presque rien de la prise de vitesse surnaturelle. Il pourrait tracter une caravane elle-même accrochée à un parachute, que cet avion sans ailes accélérerait toujours plus fort qu’une GT ordinaire. Il y a la puissance faramineuse à laquelle la 765 doit son nom, mais aussi ce couple colossal de 81,5 mkg, à comparer aux 57,6 du V10 atmo de la Lamborghini Huracán STO… Celui-ci est disponible très haut pour un moteur suralimenté (5 500 tours) et ne commence vraiment à déferler qu’à partir de 4 000 tours. J’ai lu ici et là que ce V8 était “creux” à bas régime. Il suffit de voir le tachymètre bondir de 50 à 100 km/h à la sortie d’un village sur un filet de gaz en 5e pour comprendre que c’est faux, archi faux. Et pour cause, à 2 000 tours, on dispose déjà de plus de couple qu’une 911 Carrera S !
Monstrueuse sensualité
Aussi futile que terrifiante sur le papier, une telle débauche de puissance dans la vraie vie devient éblouissante, magistrale, addictive lorsqu’elle est associée à une voiture à ce point communicative et savamment mise au point. Comme toujours chez McLaren, et tout particulièrement sur une LT, la monocoque carbone (légère et ultra-rigide), l’absence ou presque d’isolant, l’assistance de direction hydraulique parfaitement informative et le châssis tranchant à souhait permettent de ressentir sans la subir toute la férocité de la mécanique. Avec un grip accru, des mouvements de caisse mieux contrôlés et davantage de vibrations transmises au cockpit, la 765 met paradoxalement plus en confiance sur route ouverte que la 720S, cette dernière ayant parfois du mal à fixer clairement les limites.
Le niveau d’amortissement en mode confort, voire sport, est remarquable. Infiniment plus vivable que la raideur extrême des trains roulants de GT4 de la 620R. Ouvrir les gaz en grand au volant de la LT réclame toutefois une certaine accoutumance et une bonne dose de confiance en soi. Le pied droit n’a pas encore fait la moitié du chemin que la nuque est déjà raidie, les bras crispés et la bouche ouverte prête à proférer des jurons en rafale. Ajoutez des rangées d’arbres au bord de la route, quelques bosses, rangez le toit dans son coffre (11” suffisent) et vous obtenez l’un des spectacles sons et lumières les plus palpitants de la production automobile. Certes, une SF90 Spider pousse encore plus fort, mais n’a pas la sensualité de sa rivale anglaise.
Comme la 600LT, la 765 bénéficie d’un traitement “musical” très soigné. Les quatre sorties d’échappement centrales en titane ressemblent plus à une rangée d’obusiers (dixit Mister Parot) qu’à des trompettes de fanfare, mais jamais le V8 McLaren n’avait joué une partition aussi grandiose, notamment à haut régime. Au lâcher de gaz, les puissantes déflagrations mêlées aux expirations des wastegates n’inspirent pas autant de noblesse mais maintiennent les poils en alerte maximum.
Plus légère qu’une GT3
« Je n’ai jamais eu de cabriolet, McLaren est le seul constructeur à mon sens qui propose des découvrables aussi rapides ou presque que les coupés. En plus il devrait mieux garder la cote et maintenant que j’ai une voiture de course je ferai moins de piste avec celle-ci » explique Sébastien pour justifier le choix d’un Spider. Assurément un choix (très) pertinent. Il suffit de jouer avec le toit rétractable pour s’apercevoir du bénéfice énorme de la conduite au grand air en termes d’émotion. Ce bénéfice se paye plus cher à l’achat (+34 000 €) que sur la balance. McLaren annonce un surpoids de seulement 49 kg contre 100 par exemple pour une SF90 Spider. Sachant que la 765LT est censée être allégée de 80 kg par rapport à la 720S, elle-même considérée comme un poids plume de la catégorie, nous sommes impatients de découvrir son poids réel chez nos amis de W-Autosport.
Verdict : 1 455 kg tous pleins faits, contre 1 388 annoncés… sans la clim ou la radio. Sébastien aime le light mais pas au point d’oublier de cocher ces deux options gratuites. Sa voiture dispose bien en revanche des baquets ultra-fins de la Senna permettant d’économiser 18 kg moyennant une rallonge de 7 950 €. Qu’on se le dise, McLaren continue de produire les autos les plus légères, et de loin, du segment. Une “simple” Porsche 992 GT3 affiche déjà 20 kg de plus, une Turbo S 200… Aussi radicale et dépouillée soit-elle, une Huracán STO sans toit amovible a été pesée ici même à 1 512 kg !
Puissance maîtrisée
La 765LT Spider entre dans le cercle très fermé des voitures au rapport poids/puissance inférieur à 2 kg/ch avec le panache d’une supercar dans toute sa splendeur. L’espoir est naturellement immense de mettre le feu au chrono sur notre piste de référence.
Pour ce faire, la LT se démarque de la 720S par une voie avant élargie et abaissée respectivement de 6 et 5 mm, une gestion spécifique des fameux amortisseurs pilotés interconnectés, des ressorts allégés, quelques dizaines de kilos en moins et une déportance accrue de 25 %. Sachant que la 720 génère environ 200 kg d’appuis à 300 km/h, la 765 laisse la Senna et ses 800 kg évoluer dans une autre dimension. Difficile malgré tout de pas voir par certains aspects cette LT comme ce qui aurait pu être une Senna Spider. Le feeling sur piste n’est pas si éloigné. La 765 est en tout cas plus vibrante, incisive et spectaculaire que la 720. Elle est aussi beaucoup plus stable lors des freinages à haute vitesse, moins chatouilleuse à la remise de gaz. Seule une inscription musclée sur les freins, façon course, peut valoir au pilote quelques montées en température pour contrecarrer les déhanchés parfois brutaux de la poupe. La puissance de feu, elle, se gère à merveille si tant est que votre cerveau soit capable de suivre la cadence. Attention toutefois à ne pas prendre cette propulsion supersonique pour une championne de drift. Rien à voir avec Ferrari 488 Pista toujours prête à fumer ses pneus arrière. On ne s’amuse pas au volant de la LT, on pilote !
Avant notre essai, la voiture a fait un crochet par McLaren Paris pour adapter la géométrie des suspensions. Le carrossage négatif atteint ici le maximum autorisé, à savoir -2°. Un soupçon de sous-virage subsiste dans le lent où comme la 720, la 765 n’est pas très à l’aise, mais le compromis plaisir/efficacité reste éblouissant. La LT reçoit les étriers de la Senna en série mais pas les disques qui sont proposés en option (18 820 €). Le dispositif carbone-céramique d’origine épaulé par le braquage de l’aileron arrière donne déjà aux freinages de faux airs d’appontages. Quant aux Pirelli P Zero Trofeo R livrés en série, leur grip monstrueux et constant joue un rôle décisif. Que pense Sébastien de son nouveau jouet qu’il découvre lui aussi sur piste ? « Par rapport à la 675, je retrouve exactement la même philosophie, la même radicalité. La 765 me paraît un peu moins tranchante au niveau du train avant mais plus moderne, progressive, stable et globalement supérieure. »
Physique
Aller chercher les derniers dixièmes impose un engagement physique et psychologique total, compte tenu des prises de vitesse hors norme, de la vivacité du châssis et de la direction infiniment plus lourde mais tellement plus informative que celle d’une Ferrari. Les baquets de la Senna vous donnent l’impression d’être assis dans la coque et sont parfaitement adaptés à la piste, à condition de disposer des harnais dont le Spider est malheureusement privé… Avec une simple ceinture, la séance chrono se révélera quelque peu douloureuse. Après une poignée de tours avec des conditions idéales, le chrono tombe : 1’16”51. La 991 GT2 RS (1’15’91) et la 488 Pista (1’16”06) chaussées en gommes tendres de qualif (Michelin Cup 2 R) sont épargnées, tandis que le chrono de la 675LT est amélioré de près d’une seconde, celui de la 720S de trois dixièmes. “Seulement”, serait-on tenté de dire, mais n’oublions pas que nous avons affaire ici à un Spider. McLaren vante une rigidité équivalente et une efficacité très proche, certes, mais pas identiques à celles du coupé. Les pneus quant à eux étaient en bon état mais pas neufs et à un tel niveau de performances, c’est le genre de détail qui compte… Une 765LT Coupé avec des balles neuves aurait-elle assommé la concurrence ? J’en prends le pari !