Ces dernières années, BMW M a plutôt les yeux rivés vers le haut et l’électrique. Des SUV? Pas uniquement. Il a développé sa troupe d’élite au travers de la grande famille Série 8. Les trois types de carrosserie arborent fièrement le monogramme “Competition”. Un hommage à la course? Pas vraiment, puisque les M8 GTE ont quitté l’endurance en 2019, par la petite porte. Exit le GT, le constructeur se concentre désormais sur la catégorie reine Hypercar et le sport-prototype en WEC. L’appellation est désormais associée aux modèles M les plus véloces. Elle se traduit ici par la présence d’un V8 de 625 ch, d’une transmission intégrale débrayable et de performances affolantes. Des ladies survoltées en quelque sorte, recadrées par des ingénieurs allemands. La F-type R, elle, a toujours revendiqué un côté rebelle, mais elle s’est assagie au fil du temps: transmission, sonorité, châssis…
BMW M8 Competition Coupé :
- Moteur >> V8 biturbo, 4,4 litres, 625 ch à 6 000 tr/mn, 750 Nm de 1 800 à 5 800 tr/mn
- Transmission >> intégrale débrayable, boîte 8 automatique
- Poids mesuré >> 1 885 kg
- Performances mesurées >> 0 à 100/200 km/h en 3″0/10″1, 400/1000 m en 10″9/20″0, 305 km/h en option
- Prix de base >> 173 000 € en 2020, R75 à 182 100 € en 2024
L’élégance européenne
Au lieu de se lancer à corps perdu dans le néorétro, ces GT misent sur un profil de squale, la simplicité des formes, l’élégance. L’Allemande impressionne par son gabarit, alors qu’elle perd 10 cm en longueur par rapport à la M5 (et 15 cm d’empattement !), avec qui elle partage nombre d’éléments : plateforme CLAR avec coque rigidifiée, moteur/transmission, trains roulants aux voies élargies. Le set-up de suspension est propre au coupé et inclut une assiette rabaissée de 3 mm, une révision des lois d’amortissement piloté, des paliers moteur rigidifiés, un carrossage négatif à l’avant et des rotules Unibal à l’arrière. La M8 Competition n’est pas là pour parader. Sous cette carrure imposante, on s’étonne de la taille réduite des places arrière. Au moins, la F-type règle le problème en les supprimant. À sa décharge, 40 cm les séparent ! Pourtant, elle affiche le même poids que la M8 avec près de 1,9 tonne mesurée… Elle a toujours été complexée par sa corpulence.
Ce genre d’expédition commando, ces grosses GT le subiront rarement dans leur vie. Mais elles relèvent le défi et réservent un tas de surprises
Elle achève sa carrière et a eu droit à un lifting en 2020. À cette occasion, les optiques se sont affinées. La calandre s’est élargie. Le diffuseur a été mis en avant. À bord, on retrouve une position de conduite assez haute, des baquets au maintien insuffisant et un volant qui ne coulisse pas assez en profondeur. Sur ce point, la M8 donne une leçon d’ergonomie germanique et un coup de vieux à l’habitacle de l’Anglaise, toujours marqué par une séparation centrale et des aérateurs amovibles. Les matériaux sont plus valorisants dans le clan munichois, comme la qualité de l’interface digitale. La F-type a fait pourtant des efforts en revoyant cette dernière en 2020 et en se dotant de compteurs numériques. Comme la M8, le graphisme laisse sur sa faim, ainsi que la lisibilité et les nombreux reflets. BMW M va une nouvelle fois trop loin en matière de réglages de conduite, accessibles depuis la touche Setup et apparaissant sur l’écran central : 3 choix pour le moteur, 3 pour l’amortissement, 2 pour la direction, 2 pour les freins, 3 pour la transmission intégrale… Ouf ! Le propriétaire a intérêt d’être pointilleux et geek sur les bords. Au moins, la F-type simplifie les choses et le mode Dynamic porte bien son nom. Nous allons en abuser pour notre batterie de tests, sous la pluie et le beau temps. Le genre d’expédition commando que ces grosses GT subiront rarement dans leur vie. Mais elles relèvent le défi et réservent un tas de surprises, qui vont bouleverser le classement.
F-Type R AWD :
- Moteur >> V8 à compresseur, 5 litres, 575 ch à 6 500 tr/mn, 700 Nm à 3 500 tr/mn
- Transmission >> intégrale, boîte 8 automatique
- Poids mesuré >> 1 874 kg
- Performances mesurées >> 0 à 100/200 km/h en 4″0/13″0, 400/1000 m en 12″1/21″7, 300 km/h
- Prix de base >> 126 400 € en 2020, R75 à 135 300 € en 2024
Moteur/boîte: victoire Jaguar
Comme quoi, la puissance et la finesse électronique ne dictent pas tout ! Et l’émotion alors ? C’est justement grâce à cet élément fondamental que la F-type remporte cette manche. Bien qu’il ait pris un coup dans l’aile, en raison de la greffe de filtres à particules, le V8 à compresseur demeure un pétard à mèche courte, qui n’a pas sa langue dans sa poche. Sa force reste inférieure à celle émanant de la M8, mais il assomme dès les bas régimes et maintient la pression jusqu’au limiteur (6 800 tr/mn). Le bon vieux 5 litres est nettement plus attachant que le 4,4 litres M. Même s’il délivre 575 ch, il ne s’agit pas exactement du bloc de l’ancien démon SVR, en raison des filtres à particules, d’un refroidissement moins poussé et de la disparition du délicieux échappement titane. Il lui reste bien assez de voix pour réveiller les voisins, si l’on oublie le mode Quiet Start au démarrage. Le V8 Jaguar continue de se démarquer et de figurer en tête de liste des critères d’achat d’une F-type.
Malheureusement, on ne peut en dire autant de la mécanique BMW M, qui a pourtant tout d’une arme de pointe : deux turbos implantés dans le V avec l’échangeur, injection directe à 350 bars, refroidissement astronomique (2 circuits séparés, 2 radiateurs supplémentaires pour l’huile moteur et transmission), carter cloisonné, échappement actif intégrant un 3e petit silencieuxvpour le son…La liste est longue, mais le résultat ne hérisse pas les poils. Au-delà de la sonorité manquant d’intensité et de naturel, le V8 biturbo lisse les montées en régime passé l’effet turbo à 2 500 tr/mn et grimpe à 7 100 tr/mn sans conviction. Les sensations mécaniques sont autant filtrées qu’à bord d’une berline… La M8 redresse le buste lorsque l’on évoque les boîtes de vitesses. Elle fait aussi appel à un convertisseur ZF à 8 rapports, bien plus rusé que celui de la F-type. Cette dernière hérite pourtant du récent calibrage de la XE SV Project 8, mais réagit trop tard et avec brutalité en Dynamic. Mieux vaut évoluer en manuel pour obtenir satisfaction. Dans le camp adverse, on se pose la question tant le Drive Sport+ répond aux attentes, y compris sur piste. Il ne faut toutefois pas espérer la célérité d’une double embrayage ni à sa fluidité. En bonus, cette Steptronic recèle un launch control fort utile pour viser les 3″2 annoncés de 0 à 100 km/h.
Comment un coupé taille XL pesant 1 885 kg arrive-t-il à décoller aussi fort et à claquer un 0 à 100 km/h en 3″0 ? C’est de la sorcellerie BMW M
Performances: victoire BMW
Ce temps paraît invraisemblable et pourtant, notre modèle d’essai va même le ramener à 3″0 pile! Oui, avec un coupé taille XL pesé chez notre partenaire W-Autosport à 1 885 kg. C’est, au kilo près, le poids revendiqué par BMW. Visionnez la dragrace sur notre chaîne YouTube pour mesurer l’exploit, la violence du décollage à 3 000 tr/mn. La suite est tout aussi sidérante : 0 à 200 km/h en 10″1 et 1 000 m en 20″0 tout rond. Euh, ce qui veut dire que la limande vogue au niveau d’une 458 Italia, d’une R8 V10 Plus ou d’une GT-R Nismo. Face à un tel spectacle, un moment de recueillement s’impose pour les gommes Michelin Pilot Sport 4 S et la transmission intégrale. Rappelons qu’elle est composée d’un embrayage multidisque placé au centre et d’un autobloquant piloté arrière. Pour réaliser de telles prouesses, il suffit de supprimer les aides à la conduite, de conserver le mode 4WD et d’être dans les modes les plus sportifs.
Jaguar ne pousse pas le bouchon (électronique) si loin. Les transferts de couple sont limités à 30 % maxi sur l’avant. La boîte auto se passe de procédure de départ. Bon, malgré tout, le félin de 1 874 kg mesurés ne traîne pas la patte et bondit à 100 km/h en 4″0 ou sur la première borne kilométrique en 21″7 ! Certes, Jaguar annonce 3″7, mais également un poids inférieur de 130 kg… Dans les deux cas, les reprises sont aussi traumatisantes que les accélérations. La M8 descend sous les 6″0 de 140 à 200km/h! Quant aux vitesses maxi,celles avoisinent “Mach3”.La F-type est bridée à 300km/h, alors que la M8 réclame le pack Experience M (2 600 € avec stage de pilotage) pour l’agacer et la coiffer au poteau (305 km/h). Aucune inquiétude à avoir côté performances, nous avons affaire à des missiles sol-sol déguisés en élégantes GT.
Mais le conducteur reste-t-il aussi serein au freinage? Pas vraiment à bord de la Jaguar, qui continue à faire appel à d’énormes étriers flottants à l’avant et qui réagit mollement. Tout le contraire de la M8, qui surprend par son répondant et ses décélérations. Il faut dire qu’elle triche, en s’équipant d’une part de grosses galettes de 400 mm en carbone/céramique (8 900 €) et d’autre part d’un système “by wire”, remplaçant la liaison mécanique avec le maître-cylindre par un actionneur électrique. Déroutant par son surdosage en Comfort, cette assistance devient plus naturelle en Sport. Quelle que soit la monture, les dispositifs résistent à un usage piste. Il suffit d’y croire à bord de la Jaguar et de corriger un peu le tir à haute vitesse, car la stabilité n’est pas exemplaire.
Sur la route: victoire BMW
La F-type paie ici un filtrage de suspension moins efficace, bien qu’elle dispose d’un amortissement piloté signé Bilstein. Le cru 2020 progresse pourtant sur ce point, en gardant les quatre roues au sol et en digérant davantage la puissance, les cassures. Jaguar ne s’est pas contenté de revoir les amortisseurs, il rigidifie les rotules de suspension et modifie la géométrie : carrossage + 37 % à l’arrière, pincement + 31 % à l’arrière, barres antiroulis légèrement assouplie à l’avant et raidie à l’arrière. La GT est plus efficace dans l’ensemble et table énormément sur le grip des Pirelli dédiés. Mais de petits flottements subsistent, ainsi que des mouvements parasites. Sa relative souplesse est la bienvenue pour assagir les réactions. Le niveau de confort reste satisfaisant pour un monstre de 575 ch, mais en mode normal des trépidations persistent en stabilisé sur autoroute, ou du pompage.
La M8 propose une conduite plus relaxante. Un peu trop d’ailleurs, puisqu’elle évoque celle d’une M5, au hasard, sans atteindre son moelleux. L’excellente surprise vient de l’efficacité de la suspension. Les occupants sont ménagés et les méfaits du poids bien atténués. Simple comme bonjour cette M8 à malmener! Mais guère enivrante pour une GT. On ne retrouve pas l’équilibre si caractéristique des M et un feeling suffisamment sportif. Elle lit la route à la manière d’une grosse berline et n’ajoute pas le piment attendu. La F-type a également tendance à déconnecter de la chaussée, mais seulement au niveau de la direction. Sa suspension perfectible a le mérite de maintenir éveillé le conducteur, qui se sent investi… et en redemande, si tant est qu’il apprécie ce genre de saveurs old school. Notre pilote Romain Monti fait partie de cette catégorie et regrette le côté aseptisé de la M8: « Pour moi, une M, c’est mon Z3 M. Une voiture qui implique réellement son conducteur. La M8 est une version “plus” de la M850i, une sorte de routière à tendance sportive et non une supersportive dans l’âme ».
Sur la piste: victoire Jaguar
Voilà le coup de grâce de ce match, impensable avant de mettre une roue sur notre piste fétiche. L’équipe n’en revient pas. La F-type termine devant la M8 et tourne plus fort qu’une Vantage. Ces lourdes GT encaissent jusqu’à 1,2 g en latéral et l’Anglaise reproduit cet exploit dans le Rayon constant, le Pif Paf et l’Épingle. « Elle est sympa, rigolote, plus souple, plus connectée, plus petite » commente Nicolas après avoir semé la zizanie en claquant 1’22″02. Suite à son expérience en SVR, qui se retrouve reléguée à 1″5, Romain n’aurait pas parié un centime sur ce dénouement : « la SVR m’a vraiment déçu, dynamiquement parlant. Je suis agréablement étonné, cette R est efficace tout en étant vivante du train arrière et vivante tout court par rapport à la M8. » Étant donné la masse élevée et les imperfections de la suspension ressenties sur route, la Jaguar partait effectivement outsider. Sauf que sur un tel billard, elle perd ce flou artistique, reste progressive, se révèle homogène et met en exergue trois points forts: un train avant plus engageant que celui de la M8, un meilleur équilibre et une motricité en net progrès. Elle passe en force, en s’appuyant sur son grip, bluffant. La rebelle a pris de bonnes résolutions en 2020 et accroît depuis son efficacité, tout en restant mobile de l’arrière-train. Une fois les gommes surchauffées et/ou abîmées, elle est capable de réaliser de belles figures sur le sec. C’est sûr, la M8 rafle la note artistique quand elle débranche le cerveau: mode 2WD, conditionné par la désactivation des aides. Elle régale alors par son tempérament de pure propu’. Le souci est qu’elle devient inconduisible et évolue en crabe partout. Pour tourner en 1’22″18, elle exige le mode 4WD, tout en remerciant les aides.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la mamie anglaise rafraîchie en 2020 tire son épingle du jeu, y compris en piste !
Il ne faut toutefois pas réclamer la lune et la M8 s’en tient au niveau des berlines Gran Coupé et M5 (600 ch). Dommage de la part d’une GT « Competition» mais le niveau est déjà relevé . « Elle se place bien, elle pivote, elle bombarde ! Elle fait rigide, gère bien sa masse… J’en transpire ! » commente Nicolas. La force herculéenne du V8 permet par exemple de grimper à 203 km/h en ligne droite. Romain surenchérit: « elle est étonnamment rigoureuse. Son freinage est excellent... » Oui, mais elle finit derrière la Jag’ ! La transmission high tech, la suspension bien calibrée et les génialissimes Michelin ne peuvent compenser un avant manquant d’entrain qui finit par subir le poids. Pour éviter cette déconvenue, il suffit de la déséquilibrer en entrée et de basculer en survirage… Mais adieu le chrono! Aussi incroyable que cela puisse paraître, la mamie anglaise qui prend sa retraite cette année tire son épingle du jeu sur piste, sans avoir toutefois la même constance au fil des tours. Il n’est finalement pas si simple de départager ces grosses GT, qui évitent la rengaine opposant rigueur et plaisir. La M8 brille partout mais conserve une philosophie trop proche de la M5. Depuis 2020, la F-type R 4WD gagne en rigueur ce qu’elle perd en émotion mécanique. C’est elle toutefois qui se rapproche le plus de nos attentes sportives: vibrer, se battre au volant, claquer des temps et surprendre ses adversaires.