Col de Guéry, au cœur des volcans d’Auvergne, une fin d’après-midi de novembre. Il pleut à verse dans la vallée, il neige ici à gros flocons. La nuit tombe. Je manœuvre tant bien que mal un vieil Espace en pneus lisses, le nez à dix centimètres du fossé. Le valeureux Yannick est couché à plat ventre pour déblayer la neige sous les roues. Un peu plus loin, une grappe de retraités grelotte, l’air hagard. Ces aventuriers du troisième âge ont surestimé les qualités de leur monture et de leur pilote sur la glace. La scène est surréaliste. Mais ce qui l’est encore plus, c’est que nous soyons arrivés là en Artega. Beaucoup plus rare que des vieux en perdition sur les routes escarpées de la région, la petite Allemande s’est fait désirer depuis sa présentation au Salon de Genève, en 2007. Aujourd’hui, ce rêve d’industriel est devenu une réalité commerciale, et puisque la GT, c’est son nom, est vendue en France, nous avons décidé de lui faire voir du pays.
Deux semaines plus tôt, au siège du journal. Un comparatif de supercars vient de tomber à l’eau, libérant une dizaine de pages dans le prochain numéro. Avec l’énergie et la naïveté du désespoir, j’envoie un “énième” mail à Artega pour leur proposer un Supertest. Cinq jours plus tard, le père Noël en avance me livre une GT jaune. En prime, nous avons droit à quatre roues de rechange chaussées en Continental Conti Force Contact, un pneu homologué route mais dédié à la piste, dans le genre du Michelin Pilot Sport Cup.
Le petit constructeur a pensé à tout, mais le chrono à Magny-Cours se fera avec les ContiSportContact 5P équipant déjà l’auto, faute de voiture d’assistance pour trimbaler les gommes de compét’. Un petit gri-gri en bas d’un formulaire en teuton, et la voiture est à moi pour une semaine… au moins. Suffisant pour apprendre à se connaître.
Originale
L’accès à bord n’est pas des plus aisés. Le toit est bas et la porte ne s’ouvre pas suffisamment. C’est moins compliqué qu’avec une Exige, beaucoup plus qu’avec une voiture sport ordinaire. Une fois installé, on est bien, très bien même, calé au fond des Recaro optionnels.
De vrais baquets de course. Le volant est réglable en hauteur et en profondeur ; le pédalier n’est pas décalé comme sur une Evora ; l’habitacle n’est pas trop étriqué, bref, la position de conduite est idéale. Face à nous : une instrumentation, comment dire, différente. La partie centrale est composée d’un compteur divisé en deux demi-cercles.
Le compte-tours, en haut, surplombe le tachymètre. Cela rappelle certaines montres suisses dont on se demande si elles donnent l’heure. J’apprécie l’originalité mais je me demande quelles sont la taille et la position de conduite favorite du concepteur.
Je mesure 1,78 m et j’aime conduire avec le volant haut et rapproché, ce qui me prive des graduations allant de 100 à 160 km/h masquées par le volant. C’est ballot. J’ausculte chaque recoin de cet habitacle surprenant. Surprenant car on ne s’attend pas à trouver un tel niveau de finition et de technologie dans un engin aux faux airs de délire d’artisan anglais ou italien. C’est là toute la singularité de l’Artega.
Elle n’est pas née de l’imagination d’un passionné bourru les mains pleines de cambouis, mais de celle d’un industriel allemand, Klaus Dieter Frers, président du Groupe Paragon, spécialisé dans l’électronique embarquée. D’où les boutons tactiles, le GPS incrusté dans l’énorme rétroviseur central, et surtout l’argent mis sur la table pour le développement de l’auto.
Signée Fisker
Des noms célèbres se sont penchés sur son berceau, dont un certain Henrik Fisker, Danois de son état, à qui l’on doit la silhouette des Aston DB9 et V8 Vantage, ou encore celle du roadster BMW Z8. Un conte de fée, en somme, sauf qu’il ne fait pas bon dépendre d’un équipementier automobile en pleine crise financière. En 2009, le Groupe Paragon a fait faillite. En bonne Allemande, l’Artega
<blockquote>Elle ressemble au fruit de l'union entre une Lotus Exige et une Porsche 911 </blockquote>
a alors noyé son chagrin dans la bière… mexicaine. Le petit constructeur a été racheté par le fonds d’investissement sud-américain Tesalia Capital, propriétaire, entre autres marques, de Corona. Ces péripéties expliquent le retard à l’allumage, mais désormais la GT est entre de bonnes mains. Peter Müller, ancien cadre de chez Porsche et BMW, a pris les rênes de la petite entreprise installée à Delbrück, près de Paderborn. La production a démarré en mai dernier. Une quarantaine de voitures ont déjà été assemblées, et le constructeur table sur 150 unités en 2011.
V6 de Passat
Trêve de bavardage, voyons ce que cette miraculée de la crise a dans le ventre. Pour la mise à feu, les possesseurs de Passat seront comme chez eux. Même clé, même procédure. Ça casse un peu le charme. Le V6 de la Passat R36 laisse échapper un grognement qui n’a plus grand-chose à voir avec sa voix feutrée d’origine. La boîte de vitesses aussi est empruntée à Volkswagen. C’est une DSG, avec la douceur et la rapidité qu’on lui connaît. Je tire le sélecteur vers moi. La voiture s’élance sagement sur un filet de gaz. A basse vitesse, la direction à assistance électrique est légère comme une plume.
Elle ressemble au fruit de l'union entre une Lotus Exige et une Porsche 911
Le moteur est onctueux à souhait. L’Artega, de prime abord, n’est pas la sportive radicale que l’on imagine. Seuls petits soucis en ville, une vision latérale complètement bouchée par les gros rétroviseurs, et un diamètre de braquage handicapant pour les manœuvres. Mieux vaut ne pas être un grand timide.
Je n’ai pas souvenir d’avoir été témoin d’un pareil succès auprès des badauds. Plus large qu’une 911 GT2 RS, longue comme une Clio et haute comme un enfant de cinq ans, la GT n’est pas seulement rigolote, inconnue, originale et impressionnante, elle est belle, digne du coup de crayon magique de Fisker. Les avis divergent sur la face avant, un peu consensuelle pour certains, mais la partie arrière, singulière et tellement expressive, semble faire l’unanimité. Quel c.. !
J’arrive devant chez celui qui va immortaliser cette plastique de rêve. L’ami Yannick m’attend avec son barda habituel, à peine allégé. Optimiste, le garçon, mais en réalité nous arriverons à caser aisément son gros sac photo, son trépied, sa valise et la mienne. Artega annonce un volume de chargement de 300 litres, soit un peu plus que le coffre d’une Clio, mais en moins pratique.
L’essentiel de la place se situe en effet derrière les baquets au dossier fixe… Le photographe est rassuré. Il garde encore le traumatisme d’un voyage en Aubrac, un an plus tôt, par – 8 °C à bord d’une Westfield sans chauffage, avec son sac sur les genoux.
Cette fois, c’est le grand luxe. Clim, radio CD, GPS, vitres électriques, la GT allemande est une invitation au voyage. Avant de prendre le large, petit détour par l’anneau de vitesse du CERAM, au nord de Paris, histoire de voir si l’auto pousse aussi fort qu’elle en a l’air. Il faut dire que nous ne sommes pas deux dans l’habitacle mais trois. Votre serviteur, Yannick, et le V6 3,6 litres qui chatouille les vertèbres et met les tympans à vif. On trouve ça génial au début, un peu moins après six heures d’autoroute…
En attendant, l’Artega n’est pas qu’une grande gueule. Avec seulement 300 ch, elle parvient à surclasser le Cayman S sur toutes nos mesures et à tutoyer le démoniaque TT RS.
Légère
Il faut dire que, sur la balance, elle n’affiche que 1 251 kg. Faute de temps, nous n’avons pas pu refaire le plein et le réservoir était à moitié vide : les 1 285 kg annoncés sont donc parfaitement réalistes. La petite Allemande doit sa légèreté à une structure très élaborée. La cellule principale de type Spaceframe est réalisée en aluminium. En guise de sac à dos, les ingénieurs lui ont soudé des tubes en acier haute résistance formant une cage autour du moteur. Le plancher est en nid-d’abeilles. L’ensemble est recouvert d’une carrosserie en polyuréthane, autrement dit en plastique, renforcé de fibre de carbone pour les ailes et les boucliers.
Après Mortefontaine, c’est à Magny-Cours que l’Artega va signer un chrono qui la place définitivement parmi l’élite. Revêche et perfectible à la limite, elle n’en demeure pas moins un monstre d’efficacité capable de jouer dans la cour d’une 911 Carrera S sur un tour chrono. Impressionnant.
Après nous être débarrassés de ces données objectives si essentielles et si futiles dans ce qui compose le plaisir automobile, nous mettons le cap sur la région de Clermont-Ferrand et ses milliers de petites routes serpentant entre les volcans. Pas de quoi écorner la polyvalence de notre fidèle monture, aussi à l’aise sur le billard de la piste Club que sur les gravillons, les trous et les bosses des monts d’Auvergne.
Entre une Exige et une 911
Plus les jours passent, plus nous apprécions la recette originale concoctée par Artega, ressemblant au fruit de l’union d’une Lotus Exige et d’une 911 Carrera, entre sport pur et dur à l’ancienne et grand tourisme raffiné.
Chaque matin je me plais à démarrer le V6 grognon au réveil. J’attends sagement que l’aiguille bleue du compte-tours passe au vert lorsque le moteur est à température. La poussée franche et musicale donne la pêche. La suspension, développée par Bilstein, fait vivre la route sans trop laisser de stigmates.
Avec sa boîte DSG, son électronique embarquée et sa direction électrique, la GT offre une vision très – certains diront trop – rationnelle de l’artisanat automobile, mais ça marche, à en croire les dix-huit commandes déjà enregistrées par les Automobiles Chassay, à Tours, distributeur exclusif pour la France. Un succès mérité.
Durant ce périple de près de deux mille kilomètres, nous n’avons rien épargné à l’ambitieuse petite berlinette. Si l’on mesure la valeur de ses amis dans les moments difficiles, croyez-nous, l’Artega est une bonne copine.
Face au Porsche Cayman S
Même si son tarif se rapproche plus de celui d’une 911 Carrera, l’Artega semble être une rivale directe du Cayman S.
Dans cette confrontation, le premier choc est visuel. Il faut vraiment poser les deux autos côte à côte pour comprendre à quel point l’Artega est plus large, plus râblée, plus expressive que la Porsche. Tandis que la GT n’a rien à envier à une Lamborghini Murciélago en matière d’exotisme et de succès dans la rue, le Cayman se fond dans la circulation avec la discrétion caractéristique de la plupart des créations de Zuffenhausen. Le petit frère de la 911 apparaît d’emblée beaucoup plus facile. Ne serait-ce que d’accès. Le volume dédié aux bagages et surtout la praticité du chargement, notamment grâce au hayon, permettent en outre d’envisager les voyages à deux plus sereinement qu’avec l’Artega.
Même constat au chapitre du confort. La suspension pilotée Porsche apporte un moelleux incomparable, et le mot insonorisation prend ici tout son sens. Il est amusant, du reste, de voir à quel point le Cayman, réputé pour sa verve, peut sembler aphone après quelques heures passées à bord de l’Artega. Cette dernière donne l’impression de pousser beaucoup plus fort. Ce n’est qu’une vue de l’esprit car, même si le Cayman est battu en accélération, l’écart reste minime. La GT est aussi plus souple à bas régime.
Question comportement, le feeling de direction parfait, l’attaque des freins ainsi que le mordant du train avant de la Porsche apportent la précision et la rigueur qui font parfois défaut à sa rivale. Plus vivante et démonstrative, l’Artega procure tout de même au final un plaisir de pilotage supérieur. Elle est aussi plus efficace, sur route comme sur piste, mais le Cayman R fraîchement présenté au Salon de Los Angeles pourrait remettre les pendules à l’heure pour un prix toujours inférieur d’au moins 20 % à celui d’une Artega de base.
Comparatif express
Artega GT
- Moteur : VR6, central avant. 3597 cm3
- Puissance : 300 ch à 6600 tr/mn
- Couple : 350 Nm à 4750 tr/mn
- Transmission : 6 rapports à double-embrayage, propulsion
- Poids : 1285 kg
- 0 à 100 km/h : 4”9
- 1000 m DA : 23”9
- Tarif 2010 : 84 900 €
Porsche 987/2 Cayman S
- Moteur : 6 à plat, central arrière. 3436 cm3
- Puissance : 320 ch à 7200 tr/mn
- Couple : 370 Nm à 4750 tr/mn
- Transmission : manuelle à 6 rapports, propulsion
- Poids : 1350 kg
- 0 à 100 km/h : 5”3
- 1000 m DA : 24”1
- Tarif 2010 : 63 904 €