Cette Lexus n’est pas la plus chère, la plus rare ni la plus puissante de son espèce, mais peut-être l’une des plus mystérieuses. Un mystère “à la japonaise” qui fait fantasmer autant qu’il agace. Le projet LFA est né en 2000. A l’époque, la 996 phase 1 était encore au catalogue Porsche, la Bugatti Veyron n’existait pas, la Ferrari 458 n’était même pas une idée, et l’iPhone relevait encore de la science-fiction. Dix ans de gestation ont été nécessaires pour mener à bien ce projet que l’on pourrait croire hors sujet dans un groupe comme Toyota. Imaginez Renault se lancer dans une telle aventure…
Le premier constructeur mondial a miraculeusement laissé de côté l’hybride pour se risquer sur des terres inconnues, un monde où le plus petit détail compte, où la notion de temps est plus abstraite, presque secondaire. Presque, car une décennie, cela reste une éternité à notre époque. Le temps est un bon terreau pour le scepticisme, l’allié idéal des mauvaises langues. Parmi les commentaires les plus absurdes arrivés à mes oreilles, celui d’un type affirmant qu’il suffit d’avoir conduit deux ou trois Lexus pour comprendre la LFA. Le raccourci est caricatural mais révélateur d’un sentiment assez général. Sous-entendre que la marque n’a aucune légitimité dans le segment des supercars équivaut à refuser l’idée même d’un nouveau venu dans ce microcosme.
La première réalisation d’un constructeur est pourtant plus excitante, à mes yeux, que la énième créature d’un fabricant patenté de machines à rêves. Je ne suis pas pour autant convaincu que la LFA et ses “modestes” 560 ch méritent un chèque de 377 400 euros. 66 000 de plus, tout de même, que la toute nouvelle Lamborghini Aventador affichant 700 pur-sang… En exclusivité française, Lexus Europe a accepté de mettre à notre disposition une voiture pendant deux jours, nous autorisant à la soumettre à notre batterie de mesures.
Une autre dimension
La veille de ce supertest exceptionnel, j’ai réuni toute la doc disponible sur la bête. La clientèle de supercars est friande de belles histoires, d’une exclusivité dont déborde cette Japonaise. Je vois d’ici le propriétaire d’une LFA, hormis Paris Hilton (c’est le cadeau de ses trente ans), réciter par coeur sans rien y comprendre le procédé de fabrication du carbone qui compose 65 % de la structure, et parler avec lyrisme de la musique du V10. « Une harmonie d’octaves en 3D surround », c’est ainsi que le son est décrit par Lexus… à juste titre.
Un “vrouap” aigu et puissant ! La LFA donne le “la” en ce petit matin frileux de janvier, au fond du camion qui l’a amenée à Magny-Cours. Elle intimide, fascine, par ses vocalises et son allure. L’esprit des designers n’était pas enfermé, et pour cause, dans un style maison. Ils ont pu, à l’instar de leurs collègues de McLaren, laisser la fonction dicter intégralement la forme. Le résultat n’est pas une oeuvre d’art, mais la carrosserie est passionnante à ausculter. Elle regorge de subtilités, de petits ourlets modelés ici et là pour peaufiner l’aéro et le refroidissement, le tout sans ostentation ni vulgarité. L’inverse d’une Pagani Hyuara… Même chose dans l’habitacle où la fonctionnalité prime sur l’esthétique. Le cockpit n’en demeure pas moins hors du commun. La finition est exemplaire. Les éléments en carbone ou en alu sont splendides. Les sièges, installés au plus près du centre de gravité, offrent un maintien de baquets de course et un confort digne d’une limousine. De vrais fauteuils club. Après avoir bouclé, non sans mal, l’épaisse ceinture comprenant un airbag (sans blague), et avoir trouvé une position de conduite parfaite, on découvre une instrumentation high-tech très nippone.
Une pression sur le bouton Start situé sur le volant. Le compte-tours digital s’allume. Au point mort, le moteur met 6/10e de seconde pour passer du ralenti à la zone rouge (9 000 tr/mn), un rythme infernal qu’une aiguille analogique n’aurait pas suivi. Ce qui frappe au volant de la LFA, ce n’est pas tant sa voix de F1 de route que l’absence totale d’inertie qui va avec. Un trait de caractère typique des V10, certes, mais à ce niveau c’est du jamais vu sur une voiture de série, hormis peut-être sur la Carrera GT. La boîte mécanique robotisée est moins jubilatoire. Sa relative lenteur et sa violence rappellent que la conception de l’auto a commencé à une époque où le passage des rapports en 200 ms, c’était vachement bien. Avec une boîte du même type, Ferrari a réussi entre temps à tomber à 60 ms sur la F430 Scuderia… On se console en apprenant que le retard pris sur la sortie de la LFA est dû au carbone dont elle regorge. La décision d’utiliser le noble matériau est arrivée un peu tard dans la phase de développement, nécessitant trois ans supplémentaires aux ingénieurs pour mettre au point leurs propres procédés de fabrication. Résultat : cent kilos de moins qu’une structure en alu, et une rigidité quatre fois supérieure.
La gifle
On tire sur la palette de droite, idéalement solidaire de la colonne de direction, pour engager la première. Une légère pression suffit pour monter les rapports, alors que le passage du rapport inférieur nécessite un effort plus soutenu sur la palette de gauche. L’auto s’élance docilement, sans glissement intempestif de l’embrayage. Elle ne braque pas, obligeant à manœuvrer à plusieurs reprises pour se remettre dans le bon sens. Il faut repasser au point mort en tirant les deux palettes et appuyer sur le bouton de marche arrière, à gauche du tableau de bord. Mis à part ça, le premier contact avec la LFA est absolument grandiose. Tout est là : la brutalité des accélérations, une musique extatique, un châssis plus vivant qu’une boule de flipper, un freinage surnaturel, un équilibre d’un autre monde.
Moteur/Boîte
Le V10 nécessite un petit temps d’adaptation. Au départ, je me surprends à passer machinalement les rapports à moins de 7 000 tours. La poussée est déjà si intense, la musique si forte, que le cerveau a du mal à se faire à l’idée que nous ne sommes qu’aux deux tiers du régime maxi. Passé 8 000 tours, plus un poil n’est au repos, les tympans sont à vif, un bip bip retentit, le compteur devient rouge, l’aiguille pointe sur 9 500… Aucune autre GT de série contemporaine ne va aussi loin. La 458 s’arrête à 9 000, la Lamborghini LP-570 à 8 500 et la Carrera GT stoppait son ascension à 8 400 tours. Pas étonnant que Lexus ait développé cette mécanique d’exception avec Yamaha.
Les raffinements techniques sont dignes de la course, à l’image des pistons forgés, des couvre-culasses en magnésium, des ressorts de soupapes à faible inertie et du titane utilisé pour les bielles et soupapes, 40 % plus légères que leur équivalent en acier. L’injection directe est de la partie. La lubrification est évidemment à carter sec pour abaisser le centre de gravité et résister aux fortes accélérations latérales. Pour plus de réactivité, chaque cylindre a son papillon et, pour plus de sobriété et de souplesse à bas régime, un calage variable des arbres à cames d’admission et d’échappement est à l’œuvre. Ce bloc ouvert à 72° (angle idéal d’un V10) a été conçu spécifiquement pour la LFA. Selon Lexus, il est aussi compact qu’un V8 de cylindrée équivalente et aussi léger qu’un V6. Bien qu’inférieur à celui du V8 4,5 litres d’une 458 Italia, le rendement demeure exceptionnel pour un atmo de cette cylindrée, avec près de 120 ch/litre. La puissance maxi atteint 560 ch. Le couple maxi de 48,9 mkg peut sembler modeste dans l’absolu, d’autant qu’il n’est obtenu qu’à 6 800 tours. Dans la pratique, la spontanéité du moteur est telle que l’on apprécie de ne pas en avoir davantage sous le pied à bas régime. La mécanique est associée à une boîte six mécanique robotisée… à l’ancienne. L’étagement est idéal et la rapidité du passage des rapports est réglable selon sept modes, mais aucun ne procure entière satisfaction. Elle est soit lente à faire une dépression nerveuse, soit violente à s’arracher les cervicales, sans jamais être aussi rapide que les meilleures boîtes du genre, loin s’en faut.
Ce qui frappe au volant de la LFA, ce n’est pas tant sa voix de F1 de route que l’absence totale d’inertie qui va avec
Performances
Comme toute bonne GT dotée d’une boîte robotisée, la LFA dispose d’une fonction Launch Control dont peu de clients, soyons honnêtes, risquent d’abuser. La procédure est un peu complexe et utilisable une fois toutes les dix minutes pour ménager la transmission… Le tout pour un résultat médiocre. Bien que le froid glacial n’aide pas les Bridgestone à trouver leur grip, on reste à des années-lumière de la gestion électronique parfaite que l’on trouve chez Porsche ou Ferrari, notamment. Le 0 à 100 km/h est décevant : 4”4, contre 3”7 pour la 458.
Mais une fois cramponnée au sol, la Lexus vous comprime au dossier du baquet avec une force inouïe et va tutoyer les sommets. 11”6 de 0 à 200 km/h et 21”2 (20”8 pour l’Italia) au mille mètres avec une vitesse finale de près de 260 km/h, la LFA appartient sans nul doute aux meilleures sprinteuses de son époque. Je sais, la 599 GTO ou la McLaren MP4-12C font encore beaucoup mieux pour nettement moins cher. La consommation est particulièrement raisonnable, à condition de ne pas trop céder à l’appel des très hauts régimes, on peut descendre sous les 12 l/100 km.
Sur la route
La structure de la LFA fait essentiellement appel à la fibre de carbone, pourtant elle n’est pas plus légère qu’une 458 Italia et affiche une cinquantaine de kilos de plus que la McLaren MP4-12C. Reste une rigidité extrême, qui conditionne une bonne part de la précision et de la vivacité exceptionnelles dont l’auto fait preuve. Elle répond à vos moindres faits et gestes instantanément, sans le moindre zèle. L’appréhension d’attaquer par – 2 °C sur une petite route de campagne bosselée avec un joujou de 377 000 euros est balayée par le climat de confiance qui s’installe immédiatement. Même si la LFA réclame un certain doigté, comme tout monstre de 560 ch, ses réactions sont franches, saines et progressives. Le plus bluffant demeure la capacité de filtrage de la suspension. Là aussi, nous ne sommes pas très éloignés de l’univers de la course. Le modèle de série hérite des amortisseurs monotubes à réservoir hydraulique séparé de la voiture expérimentale engagée aux 24 H du Nürburgring en 2008. Les trains roulants font largement appel à l’aluminium avec des porte-fusées et des bras de suspension forgés ainsi que des barres antiroulis creuses pour réduire les masses non suspendues. Certes, le toucher de route n’est pas aussi fin que celui de la suspension magnétique de la 458 Italia, mais Lexus prouve qu’une suspension n’a pas nécessairement besoin d’être pilotée pour friser la perfection. La direction est électrique (exclusivité dans la catégorie). La meilleure du genre en 2011, et de loin, cela principalement en raison d’un montage ultra-rigide et d’une débauche technologique impressionnante. Léger, précis et hyper informatif, le feeling au volant est irréprochable.
Sur la piste
La Lexus ne craint pas la piste, elle a été développée sur mesure pour la plus exigeante d’entre toutes : la boucle nord du Nürburgring. Le chef de la mise au point est surnommé le Meister (le maître) du Ring. Hiromu Naruse a perdu la vie le 23 juin 2010 au volant d’une LFA Pack Nürburgring. Le genre d’histoire qui forge un mythe. Hormis les pneus sculptés et le confort douillet de l’habitacle, la Japonaise la plus sportive de l’histoire a bel et bien l’étoffe d’une voiture de course. Les trajectoires sont millimétrées, la vivacité exacerbée, les vitesses de passage en courbe surnaturelles, et jamais je n’ai ressenti un freinage aussi puissant sur une voiture de série. Pas l’ombre d’un sous-virage, et une poupe qui se place à la demande. Les ingénieurs ont travaillé dur sur la répartition des masses. Le moteur est en position centrale avant et l’ensemble boîte/pont est renvoyé à l’arrière selon le schéma Transaxle. Le souci du détail est allé jusqu’à développer un réservoir en forme de selle de cheval enjambant le tunnel de transmission en carbone, tandis que la batterie a été renvoyée à l’arrière. Développés spécifiquement. L’équilibre parfait permet d’enchaîner des glisses jouissives jusqu’à plus soif. Une récréation bien méritée après avoir littéralement explosé le record du tour sur 100 voitures mesurées jusqu’ici. La LFA devance ainsi la Nissan GT-R de 1”1 et la Porsche 997 GT3 de 1”6.