Essai

UN ESSAI SIGNÉ EVO

Essai TR Speed 12 Turbo : Need for Speed 12

le
L’esprit de la TVR Cerbera Speed 12 que les plus jeunes ont sans doute découverte dans un jeu vidéo connu revit enfin. Dans une définition encore plus extrême.
SOMMAIRE

L’iconique TVR Cerbera Speed 12

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En son temps, elle avait cassé le plus gros banc de puissance existant dans la région. Son accélération était si monumentale que John Barker d’evo la qualifia de “terrifiante” après son essai. Même Peter Wheeler, le patron de TVR et pilote à ses heures perdues, décida d’abandonner le projet après l’avoir conduite un soir entre l’usine et son domicile, la décrivant comme « beaucoup trop sauvage et puissante pour la route ».

À la fin des années 90, la TVR Cerbera Speed 12 était tout simplement trop extrême pour son époque. Même si son développement fut inévitablement impacté par la volonté d’en faire avant tout une GT1 de course pour Le Mans, le projet 7/12 plaçait bien trop haut le curseur des performances avec son V12 atmosphérique de 7,7 litres développant 900 ch, pour seulement 1 100 kg sur la balance. Même l’intouchable McLaren F1 paraissait tendre à côté de cette fiche technique incroyable. Conséquence de la virée nocturne de Wheeler un soir d’Épiphanie et de l’arrêt du développement, on ne sut jamais si la TVR pouvait vraiment battre la McLaren. Quelle ironie, quand on se souvient de l’évolution des voitures de sport au début du XXIe siècle : après les 391 km/h enregistrés par la McLaren F1, Bugatti lançait la mise au point de la Veyron alors que Koenigsegg, SSC et Hennessey rejoignaient la course à la puissance et à la V-Max. Arrivée trop tôt, la Speed 12 ? Sans doute. Mais 20 ans plus tard, alors que les supercars de plus de 1 000 ch n’étonnent plus personne, la Speed 12 fait son grand retour.

Le retour du monstre

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Six employés du TVR de l’époque Wheeler n’ont jamais accepté la mort de la Speed 12 mais, avec l’émergence récente des supercars surpuissantes ultrarapides, la monstrueuse TVR méritait selon eux une autre chance.

Vint alors Ben Morris, le fils aîné de Charles Morris, docteur, ingénieur de formation et copropriétaire de Helical Technology. Basé dans le Lancashire en Angleterre, Helical reste lié à la même famille depuis les années 60 et fabrique actuellement des régulateurs de pression de turbo, des rotateurs de soupape, des valves d’échappement ou encore des prototypes à la pointe de la technologie pour l’industrie automobile. Jaguar-Land Rover, Aston Martin et des sociétés chinoises et indiennes font notamment partie de ses clients. Ben a réussi à convaincre son père de la faisabilité d’un projet de retour de cette fameuse Speed 12. La TR Speed 12 Turbo (autrefois appelée TBR)  qui nous intéresse ici diffère de la Cerbera Speed 12 originelle en certains points, mais son tout premier exemplaire (connu sous le nom de “voiture numéro 3”) payé 1,3 million d’euros a été livré fin 2018.

La Speed 12 Turbo est à l’ancienne, analogique, extraordinaire

Avant ça, la “voiture numéro 1” disposait d’une jolie carrosserie de couleur orange mandarine. Particulièrement difficile à distinguer de la Cerbera 12 originelle, elle ne s’en éloignait que par la présence d’un V12 5,9 litres Aston Martin en lieu et place du moteur d’origine. Les ingrédients de la Speed 12 Turbo ne manquent ni d’authenticité, ni de piment, ni de modernité. L’expérience et le savoir-faire de l’équipe de travail ex-TVR s’ajoutent à l’expertise technique de Helical pour remplir une mission précise : sauver le monde des supercars modernes froidement parfaites comme la McLaren 720S. Plutôt que la très conciliante Audi R8 chère à Tony Stark, la Speed 12 Turbo jouerait plutôt avec un grand méchant comme Thanos dans l’univers des Comics de Marvel. Vous savez, ce sombre personnage mythologique à la puissance infinie qui tranche avec les gentils super-héros à la mode. La douceur et la polyvalence ? Vraiment très peu pour la Speed 12 Turbo, l’expression absolue de la brutalité automobile à l’ancienne. L’antidote parfait aux nouvelles sportives aseptisées.

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Le véritable ADN de TVR suinte entre chaque pièce de la machine grâce à la composition de cet escadron. Le chef d’équipe (et mécanicien en chef) Mike Vernon fut technicien en chef chez TVR pendant 10 ans. Responsable du développement, du design et des travaux CAO, Tom Blound aura cumulé 11 ans d’expérience chez TVR au titre de chef du département CAO. Darren Hobbs et Chris Stallard travaillaient ensemble à l’usine de Blackpool, Chris comme designer et Darren, son patron, en tant que chef du design et du développement. Ils cumulent 13 ans d’expérience chez TVR à eux deux. Aujourd’hui, ils s’occupent du design et des matériaux composites de la S12T. John Ravenscroft enfin, chef du département moteur de TVR pendant 25 ans, avait directement supervisé la fabrication du bloc de la vraie Speed 12. Rappelons que ce moteur se présentait comme un assemblage de deux Speed 6 de Cerbera (un 6 en ligne bloc acier conçu par Al Melling), résultant en un gigantesque V12 de 7,7 litres capable de détruire un banc de puissance. Leaders du projet, Charles et Ben Morris de Helical peuvent aussi compter sur Conrad Passmore, leur chef de programme qui s’occupe aussi de nombreuses pièces à impression 3D de l’auto. Et notamment, l’impressionnant levier de vitesse de la bête.

Un monstre encore plus terrifiant que l’originale

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Conçue entièrement via les modèles CAO et les masters de Helical, finie en fibre de carbone et recouverte d’un bleu Navy, la “voiture numéro 2” représente le prototype de développement final de la Speed 12 Turbo. Il s’agit d’une auto inspirée par la Speed 12 et non pas d’une stricte reproduction. Comprenez qu’à plus de 1,3 million d’euros l’unité, l’équipe ne pouvait pas se contenter d’offrir le niveau d’efficacité de la Speed 12 originelle. À ces prix, le style incroyablement menaçant de l’auto et sa rareté n’auraient probablement pas suffi. Il fallait aussi la rendre encore plus rapide (gloups).

Contempler la Turbo ou juste jeter un œil à cet énorme aileron arrière vous file des frissons dans tout le corps. Ah oui, et pour bien faire, il pleut actuellement sur la piste au dehors. Pas tout à fait le genre de conditions idéales pour domestiquer ce genre de brute surpuissante. Thanos, reste tranquille s’il te plaît…

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Avec une structure d’habitacle constituée d’un sandwich en composites et nid-d’abeilles d’aluminium, un châssis tubulaire en acier, une suspension montée rigide entièrement réglable, une carrosserie en fibre de carbone, des roues à écrou central, des freins en carbone-céramique et un échappement en titane, la Speed 12 Turbo honore les racines de son modèle original en s’adaptant aux raffinements technologiques du marché actuel. Elle se veut également plus utilisable au quotidien, alors que le style de son intérieur devient encore plus excentrique que sur les TVR les plus osées de l’histoire. Tout cela sans oublier les innombrables éléments de personnalisation demandés par les clients à rajouter. Avec un rythme de production fixé à deux ou trois unités par an, vous ne risquerez de toute façon pas d’en voir chez tous vos voisins.

Impossible de garder le délirant V12 atmosphérique de 7,7 litres, mais le V12 Aston Martin de 5,9 litres représente un substitut de choix. Gavé par une paire de turbos BorgWagner (équipés d’actuateurs Helical, évidemment), il utilise des pistons, un vilebrequin, des bielles et de nombreuses autres pièces modifiées par les motoristes de Helical. La puissance maximale de 1 026 ch DIN déboule à 6  700 tr/mn, alors que les “modestes” 833 Nm de couple se perchent à 7  000 tr/mn. Malgré la forte cylindrée, la zone rouge grimpe à 8 750 tr/mn. Helical annonce un 0 à 100 km/h abattu en 2’’9, un 0 à 120 mph (193 km/h) en 9’’8 et une vitesse de pointe de plus de 350 km/h. Ils calculent même son chrono virtuel sur la Nordschleife en 7’12’’33, loin des meilleures supercars d’aujourd’hui mais réaliste et très rapide dans l’absolu.

1,3 million d’euros représente beaucoup d’argent, il fallait donc faire mieux que l’originale

Le moteur transmet sa colossale puissance au train arrière via une boîte manuelle six vitesses qui porte sans doute le plus beau nom de toute la production automobile : la Tremec T-56 Magnum. En cas de peur soudaine face aux éléments, la voiture dispose d’un antipatinage pourvu de modes pluie, sable, neige, circuit, course et même d’un système launch control. Ce launch control doit répartir la fougue mécanique entre les deux Michelin Pilot Sport Cup 2 en dimensions 345/30 R20. Je n’ose imaginer la beauté brute d’une telle opération en slow-motion. Surtout avec les magnifiques jantes arrière, et alors que le spécialiste O.Z prépare de nouvelles jantes promises comme plus belles encore.

Au volant… sous la pluie !

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Il pleut toujours mais, contre toute attente, je vais tout de même conduire. Ma dernière voiture essayée sur cette piste reste la McLaren 720S, une sportive connue pour sa facilité à rouler extrêmement fort. Notre plus grosse préoccupation consistait alors à faire grimper la température des pneus arrière d’un petit degré. À 39 degrés Celsius, ils refusaient d’abattre le 0 à 100 sous les 3’’ comme inscrit sur la fiche technique (nous avions essayé une demi-douzaine de départs). Mais une fois les pneus à 40 degrés, le chrono attendu s’affichait bien sur la VBox. C’est cela, la magie de ces supercars high-tech actuelles, capables par ailleurs de toucher les 250 km/h depuis l’arrêt total en moins de douze secondes.

Mais rien de tout cela ne pourra se faire aujourd’hui avec la S12T sur une piste de Bruntingthorpe détrempée. Les gens de l’équipe réalisent bien quelques ajustements de cartographie pour s’adapter aux conditions, et font décoller un drone vidéo pour filmer la voiture suivie d’une traînée d’eau longue de plus de six mètres. Mais seul le spécimen installé derrière le volant pourra vraiment calibrer la puissance nécessaire avec son pied droit et son courage. Quand je grimpe dans le siège conducteur, Charles Morris s’installe dans le baquet passager équipé d’un harnais. Cette installation à bord impose quelques contorsions et de la souplesse, à cause des larges seuils de porte, des sièges très profonds et du harnais à démêler. Mais une fois prêt, cet intérieur douillet à l’ambiance d’avion de chasse offre une visibilité décente et des commandes au ressenti tout ce qu’il y a de plus naturel. L’envie de se mettre en route devient alors irrésistible.

Une moitié d’accélérateur suffit à atteindre facilement 280 km/h

Le moteur se met vigoureusement en branle, sans jamais ressembler à la sonorité d’une Aston Martin. À ce stade du développement, aucun acousticien ne s’est penché sur le cas du moteur biturbo pour le rendre plus musical. J’aime cette note brute de décoffrage. La sonorité paraît élémentaire, elle témoigne de la pure puissance sans se perdre dans des filtres sophistiqués. Du Thanos 100 % pur jus, quoi. Autre surprise : l’extrême sensibilité de la pédale d’accélérateur qui, associée au fonctionnement binaire de l’embrayage, rend les dosages de transmission délicats si vous voulez éviter les à-coups.

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Vous entendez le train arrière patiner en première, en seconde et en troisième. Ah, même remarque en quatrième, cinquième et sixième. Impossible, dans ce prototype dépourvu de contrôle électronique de motricité, de déployer ses 700 ch (malgré une cartographie légèrement adoucie pour l’occasion) sur le mouillé sans faire patiner les roues et secouer vos hanches. Quel que soit le rapport, et malgré les larges Michelin. Il faut alors se contenter d’un accélérateur à mi-course, ce qui suffit à atteindre tranquillement 280 km/h sur le tarmac de Bruntingthorpe. Je n’aurais en revanche jamais imaginé un comportement aussi plaisant dans les virages avec un grip remarquable, une stabilité invincible et un amortissement agréablement conciliant. Directe, précise et joliment consistante, la direction va de pair avec une superbe commande de boîte aux débattements courts et aux verrouillages francs. Ce prototype final possède aujourd’hui une mécanique bridée mais cela ne l’empêche pas de faire montre de performances éclatantes.

C’était comment l’originale ?

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En 2005, John Barker essayait la seule TVR Speed 12 de route

Nous pensions qu’aucune personne, en dehors des gens de TVR, ne conduirait jamais la seule Cerbera Speed 12 homologuée pour la route. Mais quelques années après que cet exemplaire unique fut rangé dans un coin sombre de l’usine de Blackpool, il a été finalement mis en vente. L’acheteur dut passer par un véritable parcours du combattant, qui comprenait notamment un entretien avec Peter Wheeler. C’était un peu comme demander la main de sa fille en mariage, paraît-il. Une fois le marché conclu, le processus de reconstruction commença. La Speed 12 à l’abandon avait donné nombre de ses pièces aux modèles de compétition, mais le processus s’inversait enfin  : l’une des Speed 12 de course lui donna notamment sa carrosserie en carbone. Le V12 de 7,7 litres reçut des cames “douces”, faisant redescendre la puissance de 80 ch, à “seulement” 880 ch. L’opportunité de tester une routière développant près de 900 ch pour à peine plus de ce chiffre en poids se présenta par une journée nuageuse du début 2005 à Silverstone. Le bruit restera gravé dans ma mémoire à jamais, avec sa sonorité épique, épaisse, complexe et pleine de caractère comme un V12 Merlin d’avion Spitfire. L’auto possédait des pneus en piteux état, « les seuls disponibles à l’atelier ». La moindre pression sur la pédale de droite se traduisait par un violent patinage, et l’arrière tenta de passer devant dès le premier virage négocié. Après quelques tours de plus, les pneus devinrent enfin plus adhérents. Une fois la voiture droite, je me suis risqué à écraser l’accélérateur en sortant d’un virage en seconde. La poussée était phénoménale. Troisième, quatrième, la Speed 12 se catapultait littéralement. Et je n’utilisais que les 5  000 premiers tr/mn du compteur, sachant que les 880 ch n’arrivaient qu’à 7  250 tours. Je prenais enfin mon courage à deux mains dans la grande ligne droite pour balayer tout le compteur. Hélas, un problème de cartographie m’empêcha de dépasser 5  750 tr/mn. Je ne saurai donc jamais si la Speed 12 pouvait humilier une McLaren F1…

En conclusion

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Quand j’étais jeune (je fêtais alors mes 20 ans), mon premier vrai travail consistait à écrire des communiqués de presse pour TVR à l’époque de la 3000M et de la Taimar. Je me souviens à quel point la Taimar savait se montrer rapide, sans ressembler à aucune autre sportive du monde. Je constate aujourd’hui que quelque chose d’encore plus fou est en train d’arriver.

Cet essai est paru dans EVO 135, un magazine que vous pouvez vous procurer sur ngpresse.fr

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LE VERDICT
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NOTRE AVIS
4.5/5
SPORTIVES
D’OCCASION
 FICHE
TECHNIQUE
Moteur
V12
Cylindrée (cm3)
5880
Disposition
Central avant
Longitudinal
Suralimentation
Biturbo

CO2 (g/km)

- g/km
Puissance (ch à tr/mn)
1026 à 6700
Couple (Nm à tr/mn)
833 à 7000
Type de transmission
Propulsion
0-100 km/h annoncé
2''9
Vitesse maximum
355 km/h
Poids
1255 kg
Prix
1,34 million d'euros
evo blanc
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