Offrir une succession n’est pas toujours facile. Parfois celle qui doit être remplacée ne l’est pas vraiment et continue à exister, parfois elle disparaît brutalement et définitivement.
Nous sommes au début des années 90 et la Clio 16S 1,8 litre se bat contre la Peugeot 205 GTi 1,9 litre pour s’installer au sommet du segment des GTI. Elle se montre objectivement meilleure sur bien des aspects, mais pas suffisamment pour que dans l’esprit des gens, elle détrône la 205. Bien sûr, vous pourriez me dire que Renault offrait déjà le même niveau de puissance que la Peugeot avec l’ancêtre de la Clio, la 5 GT Turbo. Certains pensent même que cette dernière supplantait la 205 GTi, et ils n’ont pas forcément tort, même si je ne peux me résoudre à leur donner totalement raison.
En fait, il a fallu une auto très spéciale pour faire véritablement chuter la reine de son piédestal et pour amener le segment à un niveau supérieur. Cette auto fut la Clio Williams, qui était bien plus qu’une simple Clio 16S à la cylindrée majorée de 200 cm3.
Voiture d’homologation
Vendue sous un label marketing clinquant relié à la Formule Un, la Williams cachait en fait sous ses formes familières une homologation spéciale. Elle fut en effet construite car Renault Sport souhaitait s’engager en rallye au sein d’une classe qui permettait une cylindrée maximum de 2 litres. À cette période des Groupes A et N, Renault n’avait qu’à produire 2 500 exemplaires d’une version de route pour obtenir son homologation. Ils en produiront finalement beaucoup plus.
Comme toujours, Renault Sport n’a pas lésiné et le train avant profitait d’un berceau renforcé emprunté à la Clio Cup, de nouveaux ressorts et amortisseurs, une barre de torsion et une barre antiroulis plus épaisses. Les voies sont élargies de 34 mm tandis que les jantes Speedline 7J taillent un pouce et demi plus large que sur la 16S. Et, personne ne l’a oublié, les jantes sont également dorées. La première génération de Williams arborait une couleur unique (un Bleu Sport 449 métallisé). Avec l’effet cumulé de la carrosserie élargie (capot, ailes) déjà présente sur la 16S et de la teinte spécifique associée aux jantes couleur or, on frisait la perfection sur le segment des petites GTI. Il s’agit d’une très petite auto dont les roues sont posées aux 4 coins, sa taille est incomparable avec celle de l’actuelle Clio 4. Elle est plus courte, légèrement plus large et surtout beaucoup plus basse que la Clio 2 R.S. qui lui succéda.
Aujourd’hui comme hier, c’est le moteur qui marque les esprits ; avec seulement 150 ch à 6 100 tr/mn
Mais c’est finalement son moteur qui se montre le plus brillant en produisant 150 ch à 6 100 tr/mn pour 176 Nm de couple à 4 500 tr/mn. Répondant au nom de code F7R, il est développé à partir du F7P de 140 ch que l’on trouve sous le capot de la Clio 16S. Course allongée et réalésage furent au programme, et pour résister à cela, le vilebrequin fut renforcé (c’est celui de la Clio diesel), les pistons, bielles et arbre à cames modifiés, de plus grosses soupapes ont été montées, tandis qu’un échappement spécifique allégé était également posé. De nos jours, ces caractéristiques feraient sourire tout amateur de petites sportives. Le régime d’obtention de la puissance maxi n’a rien d’extraordinaire, ce moteur a beau être atmosphérique, il n’a rien d’un “hurleur”. Mais le contexte actuel a changé et, à l’époque, la Williams affichait sur la balance tout juste 981 kg, soit à peine plus que la 16S dont le bloc 1,8 litre offrait nettement moins de couple. Pas seulement en valeur maxi puisque 85 % des 176 Nm répondaient déjà présent à 2 500 tr/mn.
N°0001
Je me dois de préciser que notre modèle qui n’affiche que 3 200 km au compteur porte fièrement le numéro 0001 et qu’il provient directement de la collection privée du team Williams de F1. Elle paraît si neuve que, face à elle, j’ai la sensation d’avoir été téléporté en 1993 et d’être un des acheteurs des premiers modèles numérotés. Si j’avais pu préparer cette rencontre en avance, nul doute que j’aurais écumé les solderies et autres brocantes pour m’acheter quelques cassettes, un pantalon baggy et une veste brillante puis les glisser dans la surprenante housse située sous la plage arrière. Un équipement probablement réservé aux pilotes de rallye désireux de porter beau à l’arrivée des spéciales.
La météo du jour, quoique chargée, reste pour le moment clémente et lorsque je retire la bâche de plastique recouvrant le console centrale, je découvre le logement du radiocassette totalement vide. J’ai finalement bien fait de ne pas préparer ma venue, j’aurais eu l’air stupide avec mes cassettes d’IAM et pas de poste pour écouter ‘Je danse le Mia’. Luxe et rallye ne se mariaient pas encore à l’époque.
Dès que j’ai commencé à la conduire, j’ai eu envie de la pousser à la limite
Les baquets profonds recouverts d’un velours surprenant ne manquent pas de moelleux et les renforts latéraux en tissu noir peluchaient visiblement déjà lorsqu’ils étaient neufs. Un énorme “W” bleu est imprimé sur le dossier et, plus largement, Renault Sport n’a pas fait dans la subtilité avec ce thème du bleu. Les ceintures de sécurité sont bleues, le diagramme des vitesses sur le pommeau est gravé sur une pastille bleue, les fonds de compteurs et de jauges sont bleus, tout comme les tapis. Mais pourquoi les constructeurs n’osent plus en faire de même de nos jours ?
Au volant
Le garçon de 19 ans du début des années 90 serait heureux aujourd’hui, en voyant toutes ces petites routes de campagne qui s’offrent à moi. À l’époque, les jeunes appréciaient aussi la solidité de la Williams qui dépassait largement celle de la 205 GTi. Je suppose que cela rassurait autant que cela m’a moi-même rassuré lorsque mes roues avant se sont bloquées au sommet d’une crête humide suivie d’un gros freinage. C’est à ce moment que je me suis souvenu que la première Clio Williams n’offrait pas d’ABS et que le bloc de mousse au centre du volant n’était là que pour la déco !
Mes premiers kilomètres à travers la montagne illustrent parfaitement ce qui rendait les petites sportives de cette époque si enthousiasmantes. La Williams procure des sensations mécaniques incroyables qui font encore sens aujourd’hui, sa direction assistée surprendrait n’importe quel conducteur actuel par sa consistance mais elle avait le mérite de faire oublier l’absence complète d’assistance de celle de la Peugeot. De façon générale, la Williams rappelle plutôt les voitures des années 2000. Avec quelques craquements en plus.
Dès qu’il démarre, ce 4 cylindres 1 988 cm3 vous est tout de suite familier. Après quelques coups de gaz assortis de gémissements de courroies, il se cale, hoquetant, sur un ralenti rappelant le rythme régulier d’une contrebasse. Tous ceux qui ont un jour conduit une Clio R.S. à moteur atmosphérique reconnaîtraient ce moteur les yeux fermés. C’est l’apanage des icônes que d’être ainsi identifiables simplement sur leur sonorité, et la Williams ne fait pas exception.
La présence de ce moteur ne faiblit jamais. Les harmoniques jouées à mi-régime font entrer en résonance, et la caisse, et le baquet, quant au pommeau de vitesse qui vibre aussi, il reste bien guidé. Tout cela accentue la sensation d’être au volant d’une petite auto musclée équipée d’un moteur puissant, le capot et les ailes rebondis me font penser au tee-shirt à chaque fois sacrifié de Bruce Banner lorsqu’il mute en géant vert (non, pas celui des petits pois).
Elle est diablement rapide. Elle prend les tours avec vigueur et rigueur, sans plus d’emphase que ça, mais c’est vraiment le couple à mi-régime qui marque et qui avait impressionné les journalistes de l’époque. De nos jours, avec les moteurs suralimentés, nous tenons pour acquis le fait de disposer d’une montagne de couple dès les plus bas régimes mais, au début des années 90, la capacité de la Williams à emballer à partir de 3 000 tr/mn était unique. Cela, associé aux énergiques 1 500 derniers tr/mn, la rendait encore plus singulière.
Dès que j’ai commencé à la conduire, j’ai eu envie de la pousser jusqu’à la limite. Un sourire maniaque rivé sur le visage, j’ai le buste penché vers l’avant les bras pliés autour du volant et les jambes écartées un peu à la façon d’un Tazio Nuvolari dominant son Auto Union. En vérité, cette position est en partie due au fait que le volant est très incliné vers l’avant et que le poids de la direction conjugué à la taille du volant font que cette Williams ne se conduit pas vraiment d’un simple coup de poignet. Pour la diriger, il faut s’employer, bouger les mains sur le volant dans les virages, mais c’est précisément à ce moment qu’elle prend vie. Il semble que plus la route est difficile, tortueuse, piégeuse, plus elle se sent à l’aise.
Une Williams ne requiert que trois roues pour aborder efficacement les virages
La Williams ne semble avoir besoin que de trois roues pour passer les courbes de façon enthousiaste. La quatrième (arrière intérieure au virage) profite durant cette phase d’un petit moment de répit en s’élevant de quelques centimètres dans les airs et en tournant de façon tout aussi futile qu’inutile. Cette position “sur trois roues” offre toutefois la stabilité nécessaire à l’extraction du grip maximal qui va permettre d’effacer la courbe avec une efficacité redoutable. En fait, ce n’est pas tant l’adhérence qui impressionne mais plutôt l’inscription en virage. L’amortissement reste étonnamment souple, bien plus que sur les Clio R.S. radicales qui suivront. Le roulis, le moment où l’auto se cale, n’a pas l’immédiateté des sportives contemporaines mais, dans ce laps de temps, elle communique tellement plus d’informations sur ce qui se passe entre les pneus et la route.
Pour imager, c’est un peu la différence qui peut exister entre lire studieusement chaque page d’un livre ou aller directement au cœur de l’intrigue en passant au chapitre 5. De cette façon, on apprend à mieux connaître les personnages principaux et on ne se contente pas de les découvrir en pleine action. Cela permet également à la Williams de digérer les irrégularités les plus aigües du parcours, sans jamais s’écarter de la trajectoire. Plus les kilomètres défilent, et plus la Williams se dévoile. Elle semble définitivement plus sophistiquée et plus mature que la 205 GTi. Là où la Peugeot réclame des corrections incessantes pour remettre sa poupe dans le droit chemin, la Williams sait garder son essieu arrière sous contrôle. Elle sait enrouler mais jamais de façon sauvage.
Un succès qui a fait polémique
Comme c’est souvent le cas avec les icônes, la controverse n’a pas manqué. Après avoir produit une auto à succès aussi brillante, Renault Sport n’a pas résisté à la tentation de lancer une Williams 2 en 1994. Quasiment identique sur le papier, couleur incluse, elle reposait sur une base de Clio 1 phase 2 et faisait l’impasse sur les plaques numérotées. Les propriétaires de la première série n’apprécièrent pas vraiment de voir leur investissement dilué et perdre subitement de la valeur, certains portèrent même l’affaire en justice. En 1995, Renault lancera une troisième série (teinte bleue Methyl) et, au total, 12 100 Clio Williams sortiront des chaînes.
Par la suite, l’âge d’or des petites GTI s’est progressivement éteint, les constructeurs n’ont plus juré que par les coupés, et ces modèles à la valeur déclinante ont pour beaucoup été abandonnés à la rouille.
Ce n’est évidemment pas le cas de cette 0001 parfaite en tous points. Ces dernières années, les prix ont spectaculairement bondi, ce qui devrait inciter les propriétaires à vite remettre leur auto à l’abri et au sec avant d’entreprendre une restauration en bonne et due forme.
La pluie commence à piquer le pare-brise jusqu’à rendre nécessaires les essuie-glaces. La Clio glisse dans l’obscurité et fonce vers les collines lointaines, jetant dans ses rétroviseurs un panache d’humidité de plus en plus épais. Juste la Williams et moi, kilomètre après kilomètre. Voilà une petite auto au grand cœur qui, malgré les éléments de plus en plus déchaînés autour d’elle, sa valeur actuelle et sa rareté, ne parvient pas à être intimidante. Elle ne demande qu’à être pilotée avec une joie de vivre et un enthousiasme qui touchent au cœur, immédiatement et sans filtre. Elle est l’expression même du plaisir de conduire.