Aucune autre voiture de course ne mérite autant une place dans le showroom d’une concession. La Cup est devenue un membre à part entière de la gamme Porsche, une machine à fantasmes dont chaque nouvelle génération provoque un émoi planétaire. Sa production totale en 30 ans de carrière a franchi la barre des 5000 exemplaires fin 2022. Pareils succès commercial, longévité et aura n’ont pas d’équivalent dans le monde de la compétition automobile. Une 911 dans toute sa splendeur qui use et abuse de sa proximité avec la GT3 de série pour tisser des liens avec les amoureux de la marque, à moins que ce ne soit l’inverse… Fait marquant, pour ne pas dire troublant, qui illustre en partie le pourquoi d’une telle légende : le chrono réalisé par le tout jeune Allessandro Ghiretti lors des premiers essais officiels de la Cup 992 sur la piste Grand Prix de Magny-Cours. 1’37”983, c’est à peine deux secondes plus lent que les meilleures GT3 (la catégorie reine des GT, pas la 911) et cinq secondes plus vite que la McLaren Senna de 800 ch aux mains de notre ami pilote Romain Monti. La 991/2 GT3 RS de série tournait, elle, en 1’50. Comme performance, ça se pose là !
Carrément méchante
Se retrouver nez à nez ou nez à cul avec cette nouvelle génération est une douce torture pour la rétine. De loin, elle garde la silhouette de la GT3 992 de route. De près, elle dégage une bestialité déroutante et inédite. Jamais la Cup n’avait pris de telles libertés par rapport à la série en matière de culturisme. Les ailes arrière XXL sont celles de la Turbo (+ 28 mm par rapport à la Cup 991) et c’est nouveau, mais tenez-vous bien, elles sont plus étroites que les avant, élargies de deux centimètres supplémentaires ! Du jamais vu sur une 911. Avec des pneus de 30 cm de large, la 992 est chaussée devant comme la 991 l’était derrière. Le train avant a visiblement pris la grosse tête depuis qu’il a troqué ses McPherson pour de beaux triangles superposés inaugurés par la RSR et hérités de la nouvelle GT3 de série. De quoi transfigurer un comportement, a fortiori celui d’une auto de course, d’autant que la suspension arrière n’a presque pas évolué.
Le grip incomparable de la proue a permis, disons plutôt imposé, d’augmenter celui de la poupe, d’où l’aileron monumental en col-de-cygne réglable sur 11 positions et préfigurant, soyons fous, celui de la prochaine GT3 RS. Cet appendice fonctionne de concert avec le becquet “bec de canard” et le large diffuseur hérités du modèle de route. Porsche ne donne pas de valeurs, mais ce n’est clairement pas sur la sinueuse piste Club de Magny-Cours que nous allons pouvoir exploiter la supposée énorme charge aéro.
On pourrait passer des heures à détailler cette machine de guerre à la finition aéronautique. Le manager du team ABM à qui nous devons cet essai exclusif nous montre fièrement l’astucieux système d’encoches permettant de poser proprement le capot arrière en carbone sur l’aileron. C’est assez rare sur les 911 modernes pour être souligné, le flat-6 est en partie visible. Il s’agit du 4,0 litres atmosphérique de la GT3 dont vous savez tout après la lecture de l’article qui précède. Puissance et couple sont identiques et obtenus aux mêmes régimes. Curieusement, le régime maxi diffère. Privé des 9 000 tours, le pilote de la Cup doit se contenter de 8 750. Croyez-moi, il s’en contente. Question vacarme, le cockpit entièrement vidé n’est pas épargné. Entre les claquements et sifflements de la transmission, les bruits de roulement et tout ce qui fait la partition érotico-métallique d’une vraie voiture de course, immersions et frissons sont garantis dès le ralenti. Avant cela, il convient de se frayer un chemin entre l’arceau cage et le profond baquet pour empoigner le magnifique volant emprunté la GT3 R.
Des sensations pures
On aperçoit au loin la planche de bord de la voiture de série mais l’essentiel des commandes est regroupé sur le volant ainsi que sur une petite console centrale sur mesure. Le coupe-circuit est à droite mais le bouton de mise à feu, lui, reste à gauche. La pédale d’embrayage ne sert que pour démarrer. Elle demande un peu de doigté pour que la voiture s’élance puis hoquette, méchamment allergique aux pieds droits mous et hésitants. La PDK à double embrayage d’origine laisse sa place à une boîte séquentielle à crabots qui redonne tout son sens à l’adjectif percutant avec en prime un toucher franc au niveau des palettes.
Dépouillée et bénéficiant de portes, d’un capot moteur et d’un aileron en plastique renforcé de fibres de carbone, la nouvelle Cup est donnée pour 1 260 kg en ordre de marche, soit 60 de plus que la 991 et 175 de moins que la GT3 de série. L’accélération n’a pour autant rien de démentiel même si, pour l’heure, la consigne de chauffer consciencieusement les pneus prime sur l’exploitation du rapport poids/puissance de la bête. Outre le fait qu’une voiture de course de ce calibre montée en slicks avec un carrossage négatif avoisinant 4° ( !) a un besoin vital d’avoir des gommes chaudes bouillantes pour s’exprimer pleinement, il faut bien garder à l’esprit que les voitures de la Carrera Cup ont la particularité de ne disposer ni d’ABS ni d’antipatinage. Les aides électroniques sont en revanche disponibles en option pour les teams qui destineraient l’auto à d’autres championnats ou pour l’amateur de trackdays qui voudrait troquer sa supercar de route à 300 000 euros pour une vraie caisse de piste et humilier tout ce qui porte une plaque d’immatriculation sur tous les circuits du monde en jouissant en prime de sensations incomparables dès le tour de chauffe.
Pour pilote averti
Avec la 991, la montée en température des pneus était plus facile à mesurer. Si l’auto ne tournait pas, c’est que les gommes étaient froides. Basique. Le train avant vorace de la 992, lui, commence à mordre avec des slicks glacés. Après deux tours, il est temps de commencer à prendre des g. Le répondant du châssis à un pilotage autoritaire crée une connexion aussi brutale que naturelle avec la machine. Brutale car la plus petite action semble amplifiée au centuple, mais pas physique pour autant en raison d’une position de conduite idéale et d’un volant particulièrement léger. La Cup adopte pour la première fois une assistance électrique qui nuit légèrement au feeling et cela d’autant que la direction est ultra-directe. Un seul tour de volant de butée à butée, je n’avais jamais vu ça. C’est 0,5 tour de moins que l’ancienne génération ! En cause, sans doute, les nouveaux triangles supérieurs sur l’essieu avant qui limitent l’angle de braquage. Le souci, c’est qu’une auto qui ne braque pas ne contre-braque pas davantage. Vous la sentez venir l’excuse du journaliste confiant qui s’est offert un tête-à-queue plein de panache à la sortie du grand gauche ? Les hommes d’ABM m’avaient prévenu : la 992 téléphone moins à la limite que la 991. Je confirme. On est comme à la maison dans une voiture facile, précise et saine jusqu’à ce que la poupe décide brutalement de lâcher prise pour finir par tourner autour du train avant planté à la corde.
Avant ma figure libre, j’ai pu savourer une motricité invraisemblable et une efficacité euphorisante avec des pics à plus de 1,7 g en courbe. Dans le double droit, la Cup passe à 113 km/h là où la 991/2 GT3 RS chaussée Michelin Cup R passe à 105 ! Elle rend 32 km/h en bout de ligne droite à la McLaren Senna mais lui colle une demi-seconde au tour, ce qui permet d’imaginer le grip phénoménal auquel on a affaire. Les slicks représentent dans ce domaine un atout majeur, d’autant que Michelin a travaillé le sujet. Les Pilot Sport N3 de la 992 sont plus légers de 0,9 kg à l’arrière et offrent une adhérence latérale supérieure de 10 % à l’avant. Contrairement au monde de la grande série, ici, la limite n’est plus la voiture mais le pilote, son coup de volant, et le temps qu’il passera à affiner les réglages du châssis et son niveau de prise de risques. Le dosage des freins n’est pas simple alors je garde de la marge pour éviter d’aplanir un pneu et fâcher l’équipe qui m’attend à mon retour aux stands. Nous n’aurons pas non plus le loisir de toucher aux réglages qui n’étaient pas, de l’aveu du team, adaptés à cette piste. Tout cela n’empêche pas la nouvelle 992 d’être une demi-seconde plus rapide que la 991 Phase 1 du Sébastien Loeb Racing que nous avions essayée en 2015 avec des réglages sur mesure et un timing moins serré. Porsche annonce un gain de 1 %, soit environ une seconde au tour sur un grand circuit, valeur qui semble déjà avoir été confirmée en course.
Quoi qu’il en soit, la GT3 Cup, plus bestiale, rapide et gratifiante à piloter que jamais assoie encore un peu plus sa légende et celle d’une marque qui maîtrise comme nulle autre son sujet. Elle est vendue 270 000 euros TTC, soit 30 000 de moins qu’une McLaren 620R et que la majeure partie des supersportives de route correctement optionnées. Certains diront que ça n’a rien à voir. Avouez que ça fait quand même réfléchir…
Un grand merci à ABM pour nous avoir laissé le volant d’une de leurs deux voitures engagées cette saison en Carrera Cup aux mains de Milan Petelet et Victor Blugeon. Le team propose des roulages avec coach sur Porsche de course ou de série. Plus d’informations par mail : contact@a-b-m.fr