Essai

UN ESSAI SIGNÉ OCTANE

Essai Mercedes 190E 2.3-16 : Senna vs Lauda, match retour

Dino Eisele/Mercedes-Benz
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Pour la première fois depuis qu’elles se sont affrontées en 1984, les Mercedes-Benz 190E de Senna et Lauda se retrouvent.
SOMMAIRE

185 ch, aujourd’hui, ça n’est plus grand-chose. C’est le territoire des berlines diesel et ça fait longtemps que ce n’est plus le seuil minimum pour qualifier une compacte de sportive. Prenons un petit coupé sportif au hasard… Une Porsche Boxster 718 ? 300 ch ! Mais au milieu des années 80, une puissance de 185 ch ça voulait vraiment dire quelque chose.

mercedes benz 190 2 3 16 senna lauda 2019 131

Déjà, c’était considérablement plus que ce que l’on pouvait extraire d’une Porsche 944 : cette voiture avait besoin d’un turbo pour passer des 163 ch du modèle standard à une puissance de 220 ch. À l’époque 185 ch, c’était une puissance immense pour une berline familiale, et assez pour courir avec. Plus qu’assez même pour un certain Ayrton Senna qui allait s’en servir pour battre une concurrence bien établie. À commencer par Niki Lauda : celui-ci termina deuxième derrière Senna lors de la Course des Champions 1984. Ils conduisaient tous deux de toutes nouvelles Mercedes-Benz 190E 2.3-16, comme le reste de la grille et c’est ainsi que la “Cosworth” a fait ses débuts dynamiques. Aujourd’hui, pour la première fois depuis cette course, leurs deux voitures sont réunies sur circuit.

Retrouvailles de championnes

mercedes benz 190 2 3 16 senna lauda 2019 245

Nous nous trouvons à Sindelfingen, le circuit d’essai de Mercedes-Benz qui serpente entre les bâtiments industriels où la Classe S est produite et où les clients peuvent aller chercher leurs voitures directement sorties d’usine.

La voiture de Senna a toujours été la propriété de ­Mercedes : dès qu’elle a remporté la course, elle fut mise à l’abri. Si vous avez visité le musée de la marque à Stuttgart, il se pourrait que vous l’ayez déjà vue. Son compteur indique seulement 2 000 km et elle est complètement d’origine. Senna lui-même s’est fait livrer un autre exemplaire couleur Schwarzblau un an plus tard.

Vous avez peut-être également déjà vu la voiture de Lauda. Après la course, celle-ci a tout de suite été récupérée par Jochen Holy, l’héritier de Hugo Boss même si chaque pilote s’est vu proposer l’occasion d’acheter sa voiture de course. Aujourd’hui, celle de Lauda est la propriété du collectionneur suisse Daniel Iseli.

« J’ai toujours été un fan de Formule 1 et j’ai regardé la Course des Champions 1984, alors je connaissais la voiture dès ses débuts, raconte Daniel. J’ai entendu parler de celle de Lauda par un ami qui vendait des voitures d’exception en Allemagne. Elle appartenait à un Autrichien appelé Heinz Svoboda. Nous sommes devenus bons amis et nous avons réuni Niki Lauda avec la voiture il y a trois ans. Je l’ai rachetée à l’été 2018. »

dtm nürburgring 1984 eröffnungsrennen 12.05.1984
Nürburgring, le 12 mai 1984

Daniel a rencontré Lauda à plusieurs reprises et a essayé de le réunir de nouveau avec la voiture pour son 70e anniversaire, mais il était déjà trop malade. En plus de sa connexion avec le pilote, Daniel a une affection particulière pour la 190E en tant que voiture de course. « Cette épreuve disputée en 1984 était très importante : c’était la première fois que l’usine Mercedes courait depuis la catastrophe des 24 H du Mans 1955. Je vois cette voiture comme l’Evo Zéro. Elle a relancé la course automobile chez Mercedes-Benz. Celles de Senna et de Lauda sont les seules survivantes connues de cette course en état d’origine. »

C’est alors que Daniel a suggéré à Mercedes de réunir les deux voitures, et ainsi nous voilà. Toutes deux sont resplendissantes dans leur teinte Rauchsilber et toutes deux portent toujours leurs numéros de course et le nom de leur pilote. Toutes deux sont très proches des “Cosworth” standard, mais leurs spécificités techniques ont délibérément été modifiées pour l’épreuve. Alors, commençons par une petite leçon d’histoire pour en savoir plus sur nos montures.

Un moteur Cosworth et un châssis optimisé

mercedes benz 190 2 3 16 senna lauda 2019 038
Le 4 cylindres développé par Cosworth finira par fournir 350 ch.

« Mercedes-Benz a commencé à parler pour la première fois d’une voiture de “Classe Compacte” dans les années 70 et la W201 fut lancée en 1982 », m’explique ­Gerhard Heidbrink de Mercedes-Benz Classic. Il poursuit en évoquant des objectifs aussi louables que répondre aux régulations américaines sur la consommation de carburant et les préoccupations environnementales naissantes, et le besoin de séduire une clientèle plus jeune (et considérablement moins fortunée). Le résultat fut la 190, lancée avec un moteur essence à 4 cylindres d’un peu moins de 100 ch, même avec l’injection. Clairement, elle avait besoin d’un peu de sex-appeal. « Alors, nous avons réfléchi à une version sportive, explique Gerhard, et nous avons contacté Cosworth pour le développement du moteur. »

En fait, les Anglais de Cosworth avaient déjà commencé à travailler sur une version de 320 ch de ce moteur pour le rallye mais l’Audi Quattro a contraint Mercedes à changer ses plans pour la 190 et le constructeur s’est tourné vers le Deutsche Tourenwagen Meisterschaft (le DTM, ou Championnat d’Allemagne de voitures de Tourisme) et développa une version routière comme base d’homologation. Cosworth a pris comme base le 4 cylindres 2,3 litres Mercedes et développa sa propre culasse “Coscast” à deux arbres à cames en tête et à 16 soupapes. Avec un carter humide et une injection Bosch à la place du carter sec du moteur de rallye et du système Kugelfischer, il développait 185 ch à 6 200 tr/min et 236 Nm à 4 500 tr/min, avec la capacité de monter à 7 000 tr/min et un potentiel évident pour un développement plus poussé – ce qui arrivera avec les 2.5-16 à moteur 2,5 l et les versions suivantes Evo à aileron qui culmineront à 235 ch en version de route et 350 ch sur circuit. Mais comme je le disais, 200 ch ont suffi à ­Ayrton Senna pour remporter la victoire…

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Les compteurs additionnels et la commande de boîte à première décalée.

Des amortisseurs plus courts et plus fermes ainsi que des bagues et amortisseurs plus rigides et à assiette constante tiraient le meilleur de la suspension arrière multibras sophistiquée de la “Baby Benz”. Celle-ci équipe toujours les voitures modernes et a été introduite après que les plans de 80 architectures différentes ont été dessinées, dont 40 furent assemblées et essayées sur un mulet à l’air de véhicule lunaire. Un kit aérodynamique réduisait le Cx à 0,32, une crémaillère plus directe (et un volant plus petit) rendait la direction plus précise et un réservoir plus gros (70 litres au lieu de 55) lui permettait de rouler plus longtemps. Elle était équipée d’un radiateur d’huile, d’une boîte manuelle Getrag à 5 rapports raccourcis à première décalée et d’un différentiel à glissement limité.

Comment la faire connaître ?

eröffnungsrennen auf dem nürburgring, 1984
Elle est rabaissées et dotée de ressorts et amortisseurs plus fermes, mais cela n’empêche pas de sacrés angles de roulis – et ça, c’est le tour de refroidissement.

En août 1983, trois 190 “Cosworth” furent envoyées sur l’anneau de Nardo, en Italie, et établirent trois records du monde, enregistrant une vitesse moyenne combinée de 248 km/h durant un essai d’endurance de 50 000 km et établissant 12 records internationaux d’endurance au passage. Avec une réputation de fiabilité dûment établie, la 190E 2.3-16 fut présentée au salon de Francfort un mois plus tard.

La F1 avait quitté le Nürburgring après le terrible accident de Niki Lauda en 1976 mais elle devait bientôt y retourner sur le nouveau circuit “Grand Prix”, et quoi de mieux qu’une course de célébrités pour l’inaugurer ? Une sélection de vingt pilotes fut invitée à mener des Mercedes-Benz 190E 2.3-16 identiques lors de la Course des Champions organisée en mai 1984, avant la première course de F1 qui devait s’y disputer en octobre. Mercedes-Benz avait réalisé un triplé lors de la toute première course disputée sur la Nordschleife en 1927 et cet événement marquait le retour du constructeur sur circuit après une absence de 29 ans.

Un plateau de dingue

eröffnungsrennen nürburgring, 1984
Les 20 Mercedes 190 prêtes à s’aligner pour le départ de la Course des Champions 1984, Moss en pole, Senna 11e et Lauda (n° 18, il n’y avait pas de n° 13), 17e.

Parmi ces vingt pilotes, il y avait neuf anciens Champions du Monde (Jack Brabham, Phil Hill, John Surtees, Denny Hulme, James Hunt, Jody Scheckter, Alan Jones, Keke Rosberg et, bien sûr, Lauda), plus Senna et Alain Prost qui le deviendront plus tard. Parmi les autres stars, on comptait Stirling Moss, John Watson, Klaus Ludwig et Carlos Reutemann, alors que parmi les contemporains de Senna, en plus de Prost et de Rosberg se trouvaient Jacques Lafitte et Elio de Angelis. Senna était le plus jeune et celui qui avait le plus à prouver, n’ayant disputé jusque-là que quatre GP de ­Formule 1 avec Toleman et ayant réalisé sa deuxième place (historique) à Monaco, sur le mouillé, quelques semaines auparavant seulement.

Quant aux voitures, elles sortaient toutes des lignes de production et étaient spécialement préparées par l’ingénieur Gerhard Lepler, même si les légères modifications se limitaient à l’installation de baquets de course et de harnais, ainsi que d’un arceau, d’une suspension légèrement rabaissée et d’un rapport supérieur un peu plus court.

Au volant des 190E de Senna et Lauda

mercedes benz 190 2 3 16 senna lauda 2019 303

La voiture n° 11 – celle de Senna – n’a jamais été modifiée depuis. Je m’installe dans le baquet du conducteur et remarque l’autoradio standard Becker Grand Prix, la finition Zebrano de la console, et le proéminent interrupteur toujours fonctionnel de la “lampe taxi” de la banquette arrière, placé à gauche du bloc compteurs. Tout ça ne fait pas très course…

Au démarrage, un son rocailleux me répond sous le capot – c’est la sonorité habituelle des 4 cylindres Mercedes – mais la jante fine du (large) volant à quatre branches tombe bien sous la main et le levier de boîte trapu se place avec une facilité surprenante en première, en bas à gauche.

Je m’élance sur le circuit de Sindelfingen et prends de la vitesse. Certes, ce n’est pas le ‘Ring et nous n’avons pas le droit de faire la course, mais le fait est que je suis assis dans un siège jadis occupé par l’un des plus grands pilotes de tous les temps, alors je ne vais pas pinailler. La zone rouge du compte-tours est à 7 000 tr/min, mais 6 000 tr/min me paraissent plus respectueux et je parcours l’essentiel de chaque tour en 3e et 4e, avec un rétrogradage en 2e dans l’épingle la plus étroite.

Soudain, les deux voitures se mettent à foncer, revivant leur dernière rencontre

Chaque virage principal de Sindelfingen est incliné en banking et la vitesse maximale autorisée est de 160 km/h. La voiture se montre bénigne, affichant une superbe neutralité qui prouve les bienfaits de la suspension arrière multibras. Elle semble agile, avec de nombreux retours dans la direction et un bon confort, malgré les suspensions rabaissées.

Je remarque également que ma limite auto-imposée de 6 000 tr/min est rapidement atteinte, même en 5e, ce rapport supérieur court privilégiant clairement les accélérations à la vitesse de pointe. Pourtant, la 190 ne paraît pas être une grande sprinteuse. C’est franchement décevant, parce que la voiture standard abat le 0 à 100 km/h en 7”5, ce qui n’a rien de faiblard, et avec sa transmission courte cet exemplaire doit prendre encore moins de temps sur l’exercice. Mais l’arrivée du couple est si constante, avec des montées en régime sans empressement particulier, qu’elle ne se montre pas très spectaculaire. Même la bande-son reste résolument mécanique, sans le moindre accent théâtral – c’est peut-être ce qui convient à une Benz sportive.

La voiture de Lauda est un peu plus spectaculaire, seulement parce que sa sonorité est un peu brutale : son échappement est clairement plus grave. Daniel a également rejoint le circuit et soudain les deux voitures se mettent à foncer durant quelques tours sur le circuit de Sindelfingen, revivant leur dernière rencontre.

La course de 1984

Les statistiques de cette réunion historique de 1984 sont révélatrices. Moss était en pole, Brabham 2e et Rosberg 3e sur la grille. À la fin du premier tour, Reutemann était en tête, devant Jones, puis Senna, qui s’était élancé 11e. Peut-être encore plus impressionnant, Lauda était remonté de la 17e à la 4e position. Au deuxième tour, Moss recula à la 3e place, Jones menant Senna, Reutemann était 4e devant Lauda. Au troisième, Senna menait, devant Reutemann et Lauda, puis Lauda prit la seconde place – et la paire resta en formation pour le reste de la course de 12 tours, Reutemann terminant 3e. C’était la première victoire de Senna face à pareille opposition.

ayrton senna da silva
Senna sur la plus haute marche du podium, pour la première fois à si haut niveau.

Et aussi la première victoire de la 190, même s’il pouvait difficilement en être différemment. Cela dit, alors que cette première victoire face au gratin de la F1 de Senna était la première d’une longue série, la 190 “Cosworth” engendra également des générations de berlines sportives qui connurent le succès aussi bien sur les circuits qu’en concessions.

En 1988, Mercedes s’engagea dans la série DTM qu’elle remporta en 1992 avec Klaus Ludwig au volant d’une 190 Evo II. C’était le chant du cygne de la 190, mais le DTM est rentré dans l’ADN de la marque – tout comme les petites berlines surpuissantes. Après que Mercedes-Benz a pris le contrôle d’AMG en 1999, le catalogue de la marque s’est enrichi d’une lignée de Classe C AMG dont le dernier opus culmine à 680 ch.

On est bien loin de la puissance qui a apporté à Senna sa première victoire, mais prendre ces virages relevés avec la voiture qu’il a pilotée permet de comprendre à quel point une puissance aussi modeste peut vous faire sentir héroïque. 

Fiche technique

mercedes benz 190 2 3 16 senna lauda 2019 154

Mercedes-Benz 190E 2.3-16 1984

Moteur 4 cylindres 2 299 cm3, 2 ACT, 16 soupapes, injection électromécanique Bosch
Puissance 185 ch à 6 200 tr/min 
Couple 235 Nm à 4 500 tr/min
Transmission Manuelle à 5 rapports, propulsion
Direction à recirculation de billes, assistée 
Suspension Av : double triangulation, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis.
Suspension Ar : multibras, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis, assiette constante hydropneumatique 
Freins Disques, ABS en option
Poids 1 220 kg
Vitesse maxi 230 km/h
0 à 100 km/h 7”5

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