Je m’apprête à lancer de très gros chiffres. Le genre de chiffres qui va enthousiasmer certains d’entre vous (les enfants ?) et faire rouler les yeux et secouer lentement la tête des autres. Cependant, avant d’entrer dans le vif du sujet des performances plus que ridicules de la Lucid Air Sapphire, j’aimerais vous donner une idée de l’enthousiasme et de l’amour qui ont été mis dans ce projet. Et démontrer qu’il ne s’agit pas seulement de chiffres.
Une fiche technique surprenante et une muse incroyable
Je suis à Willow Springs pour découvrir le tout dernier prototype du nouveau fleuron hautes performances de la Lucid Air. C’est l’occasion de rencontrer l’équipe d’ingénieurs, de comprendre l’incroyable technologie de vectorisation de couple de ce véhicule électrique à trois moteurs et d’essayer de savoir s’il vaut son prix de 249 000 dollars. Pour l’équipe, c’est l’occasion d’obtenir l’avis d’une personne extérieure sur le comportement dynamique et d’affiner les systèmes complexes qui font fonctionner ce monstre de 2380 kg (voilà un très gros chiffre pour commencer).
Je dois avouer que la référence utilisée par les ingénieurs pour développer l’auto me fascine. Ses jantes dorées scintillent dans le soleil matinal et aimantent mon regard. David Lickfold, responsable du châssis et du comportement dynamique, et son équipe ont fait un choix judicieux. Lucid a en effet acheté une BMW M5 CS qui refroidit déjà après quelques tours de piste. « Je continue d’être étonné par la qualité de la voiture« , explique Lickfold. » Tout est parfait. C’est incroyable. » Nous sommes tout à fait d’accord. La CS est une véritable merveille dans le paysage automobile. Reste à savoir si la Sapphire pourra égaler ses immenses talents et sa grosse personnalité, mais le simple fait que ce responsable reconnaisse son éclat est déjà un encouragement. Ils ont compris. Lucid souhaite proposer un niveau d’excitation similaire sur le segment des véhicules électriques. Et Dieu sait que nous avons besoin de quelqu’un pour réussir cette mission.
Le fait d’appuyer sur l’accélérateur pour s’engager dans la voie des stands puis pour prendre la piste est déjà excitant. Nous avons déjà conduit la Lucid Air à deux moteurs de 1126 ch (voir EVO 160) et ses performances n’étaient pas du tout négligeables. La Sapphire va encore plus loin. Désormais équipée d’une paire de moteurs électriques sur l’essieu arrière et d’un autre sur l’essieu avant, la puissance est simplement annoncée comme « supérieure à 1200 ch ». Les groupes motopropulseurs de la Lucid sont incroyablement compacts et puissants. Composés d’un moteur électrique, d’un onduleur, d’une transmission intégrée et d’un différentiel, chaque unité pèse 74 kg et produit jusqu’à 670 ch. On se demande d’ailleurs pourquoi la Sapphire n’est pas encore plus puissante. « Oh, nous pourrions le faire« , dit l’un des membres de l’équipe. « Mais les batteries risquent de ne pas apprécier. De plus, ce moteur est déjà suffisamment rapide« .
Des améliorations visibles
La Sapphire ne cogne pas comme une voiture à moteur thermique monstrueusement puissante. Elle est plus intense que cela. Toute la la puissance ne débarque pas sur une simple pichenette, on a plutôt l’impression d’être happé puis aspiré sans relâche vers l’avant. Une vraie ruée. L’ampleur des forces en présence est étrangement élémentaire. Cela ne semble guère avoir d’importance, mais pour mémoire, Lucid annonce une accélération de 0 à 97 km/h en 1,89 seconde, de 0 à 160 km/h en moins de 4 secondes et un 400m en moins de 10 secondes, avec une vitesse finale proche de 260 km/h. L’accélération à elle seule va me donner la nausée pour les 12 heures à venir. Il est évident qu’elle écrase une M5 CS. Ou encore une Ferrari SF90.
Plus intéressant encore est le changement radical de philosophie par rapport aux autres modèles de la gamme Air. Ceux-ci privilégient l’autonomie et le confort, ce qui crée une identité unique. D’une part, le montage de pneus « classiques » et l’accent mis sur un équilibre fluide et facile à vivre avec pas mal de roulis et de souplesse contribuent à lui donner un caractère proche de ce qu’un passionné imagine des autos du passé. La plupart des Airs n’ont pas de limites extrêmement reculées, elles empruntent délibérément une voie différente de voitures comme la Porsche Taycan, extrêmement stable et ferme. Il est donc possible d’utiliser les transferts de masse pour modifier son équilibre et jouer avec la voiture. Il suffit de remettre de l’accélérateur en milieu de virage pour dériver des quatre roues jusqu’à ce que votre cœur ait son compte. Cependant, aussi séduisant que cela puisse paraître, avec autant de puissance et de poids, la Lucid Air peut paraître joyeuse une minute et franchement inquiétante l’instant d’après, tant la vitesse et l’inertie sont grandes.
Du torque vectoring à un niveau inédit
La Sapphire est plus conventionnelle en termes de réglage de la suspension (comprenez plus rigide, plus contrôlée et avec plus de grip mécanique) mais elle dispose d’un autre outil, puissant, novateur et très convaincant à exploiter : du torque vectoring ou en Français, un système de vectorisation du couple. Il ne s’agit pas d’un coup de frein, ni d’un différentiel arrière à embrayage pour répartir la puissance d’un côté ou de l’autre, mais d’un contrôle absolu de chaque roue arrière par le biais de son propre moteur. Les options qui s’offrent à vous sont alléchantes : ralentissement spectaculaire de la roue arrière intérieure pour faire pivoter la voiture ; accélération de la roue extérieure pour encore améliorer l’agilité ; changement de stratégie à grande vitesse pour apporter de la stabilité et une grande confiance. C’est ce que l’on attend depuis un certain temps des véhicules électriques, mais il était rare jusqu’ici que l’on puisse vraiment en ressentir les avantages. La Sapphire met cette technologie au centre de tout.
Ceci vient s’ajouter à des caractéristiques mécaniques considérablement revues. Par exemple, les nouvelles ailes avant et arrière recouvrent des voies élargies, la Sapphire est aussi plus basse et la fermeté du couple ressorts/amortisseurs Bilstein a été considérablement augmentée. On note aussi des modifications aérodynamiques subtiles mais efficaces pour créer un peu d’appui, ainsi que des freins en carbone-céramique Akebono pincés par des étriers à dix pistons. Les pneus Michelin Pilot Sport 4 S conçus sur mesure avec une gomme proche de celle des Cup 2 sur leur partie extérieure sont un autre ingrédient visant à créer un engin doté d’un réel potentiel.
« Nous avons mis au point le châssis et les algorithmes pour donner à une voiture de quasiment 3m d’empattement une très bonne agilité et un bon équilibre à basse vitesse, mais l’autre grande priorité a été la stabilité à haute vitesse« , explique John Culliton, spécialiste technique principal pour le châssis et la dynamique du véhicule. » Mais nous voulions que ce soit transparent, totalement intuitif « .
Au volant, un tout autre animal
Peut-être qu’avec le temps, ce sera le cas. Mais ma première impression est légèrement différente. J’adore le nouveau contrôle de caisse du Sapphire, l’avant qui colle beaucoup plus et une sensation globale de voiture verrouillée et bien posée au sol. Avec les versions moins performantes, vous gérez la performance en modulant avec l’adhérence relativement modeste. C’est divertissant, mais cela peut devenir frustrant. La grande berline se êrd trop facilement en sous-virage et la puissance offerte est trop décalée par rapport aux limites du châssis. Aujourd’hui, tout semble beaucoup plus cohérent. Vous pouvez attaquer et sentir la voiture accepter la charge latérale. Les freins ont une puissance rassurante et vous font prendre conscience qu’il y a beaucoup d’adhérence à exploiter. L’expérience est moins contrainte et le conducteur à plus d’options à disposition. Sur circuit, les réactions de la voiture sont si différentes de celles de la Air GT également présent e(138 000 $, 1 050 ch) qu’on a du mal à croire qu’il s’agit de la même voiture.
Mais il y a aussi quelque chose de nouveau. Le torque vectoring est perceptible et intrigant. Dans les virages lents, il annihile rapidement le sous-virage par une sur-vitesse agressive de l’essieu arrière ; dans les virages rapides, on le sent qui joue avec l’équilibre et maintient la voiture dans l’angle de braquage parfait. Parfois, cela semble un peu artificiel et la voiture réagit à contre-courant des attentes, mais avec plus de temps passé derrière le volant, je pense que l’on commence à reprogrammer ses propres algorithmes pour comprendre et apprécier l’agilité et la stabilité à haute vitesse qui donnent la chair de poule. Beaucoup de sportives légendaires vous obligent à vous adapter à leurs particularités. C’était le cas de la Porsche 911 notamment, mais aussi de voitures comme la Mitsubishi Evo ou la Nissan GT-R. Je pense que lorsque les véhicules électriques commenceront à exploiter pleinement les possibilités des roues à contrôle indépendant, il nous faudra adopter de nouvelles techniques de conduite.