Au moment de tendre la clé de la Performante au chauffeur du camion chargé de la ramener chez elle, je n’avais pas encore pris le volant de la 488 Pista et de la GT2 RS. À l’heure où j’écris ces lignes, si…
Sur la forme, ce recul a le mérite ou le défaut, tout dépend de quel côté on se place, de tempérer l’enthousiasme incommensurable procuré par les 48 heures passées à Magny-Cours en compagnie de ladite Lamborghini. Sur le fond, savoir qu’il existe ailleurs des engins au moins aussi fabuleux n’enlève rien aux exploits chronométrés qui viennent d’être accomplis dans la Nièvre.
La capacité de la Performante à briller ailleurs que sur la piste, nous avons pu la jauger voilà quelques mois dans des conditions idéales. Souvenez-vous, l’été dernier (2017 : Motorsport N°77), nous partions à l’assaut de la légendaire Transfagarasan, en Roumanie, avec toute la gamme Huracán, Performante comprise. Sur l’une des routes les plus grandioses et sélectives de la planète, la nouvelle star de Sant’Agata se prenait pour une WRC. Jamais je n’avais ressenti un tel grip au volant d’une GT de série. Et encore, l’auto ne disposait pas des ventouses qui se trouvent aujourd’hui entre elle et le revêtement de la piste Grand Prix. Des Pirelli P Zero Trofeo R plus collants qu’un doigt sorti d’un pot de miel, tandis que deux jeux de Corsa restent empilés dans le box, au cas où il pleuvrait. C’est mal connaître la capacité de l’équipe de Motorsport à chasser les nuages au-dessus de Magny-Cours. Lamborghini est venu ici pour ajouter non pas une mais deux nouvelles étoiles à son tableau de chasse. Une douzaine de degrés, un beau soleil, les conditions sont idéales.
Le grand Magny tour
Après trois élections consécutives de la Sportive de l’année et déjà une trentaine de chronos réalisés sur la grande piste, nous avons pris la décision d’ajouter cette dernière à la liste des bases de mesures de nos supertests. L’ami Romain Monti est du voyage et nous a réservé une petite surprise. Après avoir roulé en R8 LMS Ultra l’an dernier, notre pilote maison vient tout juste de décrocher un volant dans le championnat Blancpain endurance sur une Huracán GT3. Ça ne s’invente pas…
Jeudi, 13h, la piste est à nous. Romain attrape son casque. Davide ajuste la pression des pneus (environ 2 bars au carré). L’ingénieur venu d’Italie pour s’assurer du bon déroulement de l’essai semble on ne peut plus serein. Deux jours plus tôt, sur le stand Lamborghini du Salon de Genève, un écran géant diffusait la vidéo d’une compilation de huit records décrochés par la Performante ces derniers mois lors d’essais réalisés par des médias européens. Une liste qui s’ajoute au fameux 6’52’’ sur la Nordschleife qui fit tant couler d’encre.
Il est loin, le temps où la toile s’enflammait pour dénoncer un grossier mensonge. Porsche a depuis fait voler en éclat le record sur le Ring. Peu importe au fond que les chronos de la Performante soient ou non battus à plus ou moins court terme. La marque de Sant’Agata aura réussi son pari: montrer à la face du monde un savoir-faire frisant la sorcellerie. S’il n’est plus remis en question, le niveau d’efficacité de cette Huracán, plus lourde et moins puissante que la concurrence, demeure encore pour beaucoup un vrai mystère que nous allons à notre tour tenter de percer. La chasse au record est ouverte !
1’50”48 au premier passage. C’est déjà 1”2 plus vite que la 911 GT3 (991/2) et huit dixièmes de mieux que la Corvette Z06. Le chrono descend : 1’49”9, 1’49’’ pile. Le pilote revient au stand, perplexe. Le manque de constance des freins l’empêche de chercher sereinement les limites. Davide ne peut que lui conseiller de refroidir les disques carbone/céramique et d’essayer à nouveau. 1’48”6, puis 1’48”25. Le temps s’améliore mais le problème persiste. Romain assure qu’il peut faire mieux. Les chaperons italiens proposent de changer les plaquettes et purger le liquide de freins. Nous devons quitter la piste. Rendez-vous en fin d’après-midi pour une nouvelle tentative.
Double record
En attendant, c’est au record du circuit Club que la Performante va s’attaquer. Dans les deux cas, la cible à abattre reste la même. Il s’agit de la McLaren 675LT, 35 ch plus puissante et 160 kg plus légère. En théorie, la Lamborghini n’a aucune chance, surtout sur un tracé sinueux où le poids est l’ennemi. Dans la pratique, le miracle a bien lieu… une fois de plus. En pneus neufs, la Huracán défie les lois de la physique. Elle colle trois dixièmes à la McLaren et plus de deux secondes à la 991 GT3 RS phase 1! Les freins freinent sans accroc.
Romain va à son tour pouvoir sortir la grosse attaque. En deux tours, le verdict tombe : cette Lambo est bien une extraterrestre. Le 1’47”52 affiché par l’appareil de mesures donne la berlue à Sébastien, un ami pistard expérimenté venu en spectateur, à la recherche d’une nouvelle arme pour briller en trackday. Ce grand habitué de Magny-Cours sait à quel point le simple fait de descendre sous les 1’50’’ avec une voiture de série est exceptionnel. Là, on est plus proche du niveau de performance observé dans le championnat GT4 avec des bêtes de course en slicks. Maintenant que nous avons pu voir de nos propres yeux de quoi la bien nommée Performante était capable, reste à décrypter l’exploit pour tenter de le comprendre.
LAMBORGHINI EST VENU AJOUTER DEUX ÉTOILES À SON TABLEAU DE CHASSE
Premier constat : les Pirelli sont en bien piteux état après seulement une vingtaine de kilomètres de circuit. Le signe que l’on a bien affaire à des pneus de “qualif” plus efficaces mais bien moins endurants que des Michelin Pilot Sport Cup 2. Très bien, sauf que la McLaren qui vient de prendre deux gifles coup sur coup était elle aussi chaussée en Trofeo R… La singularité la plus évidente de la Huracán demeure ses quatre roues motrices. Si ce type de transmission est réputé pour la polyvalence et la facilité de prise en main qu’il procure, il l’est moins dans le domaine de la performance pure sur circuit. Le dispositif apporte bel et bien une motricité inébranlable mais reste le principal coupable d’une masse plus élevée que la moyenne du segment.
Rappelons au passage que la Performante n’est allégée que de 40 kg par rapport à une Huracán “ordinaire” tandis que son V10 atmosphérique gagne seulement 30 ch pour en compter 640 au total. Le châssis n’est pas non plus transfiguré. Point de roues arrière directrices ou autre différentiel arrière piloté. Hormis un montage plus rigide de 50 % des trains et des réglages adaptés au grip, les dessous de la bête ne cachent pas de botte secrète.
La sainte aéro
Inutile de tergiverser, seul ALA peut expliquer de telles vitesses de passage en courbe. Derrière l’acronyme de Aerodinamica Lamborghini Attiva se cache un dispositif unique en son genre. Petit rappel pour les distraits. À l’avant, deux volets actifs placés derrière le splitter favorisent selon les besoins l’appui ou la traînée. À l’arrière, l’aileron en carbone dit “forgé” est fixe mais creux. À sa base, devant chaque mât, se trouve un volet actif. Volets fermés : l’air vient frapper la lame de l’aileron et génère ainsi un maximum de déportance. Volets ouverts : l’air traverse l’aileron dont l’effet s’évapore. Là où les choses deviennent vraiment intéressantes, c’est que chaque volet peut être actionné indépendamment en moins d’une demi-seconde, cela afin de créer un effet de lacet dans le lent ou de calmer la poupe dans le rapide. J’avais l’a priori tenace que le dispositif ne pouvait avoir une réelle influence sur les performances qu’à des vitesses que l’on retrouve sur des circuits comme la Nordschleife. Davide m’explique au contraire que la différence se fait aussi et surtout sur des tracés sinueux comme la piste Club et donc aussi sur la route. Il faut dire qu’avec 350 kg d’appuis aéro à 300 km/h (7,5 fois plus qu’une Huracán standard), il en reste suffisamment aux vitesses usuelles pour influer sur l’équilibre de la voiture. À titre de comparaison, la McLaren 720S génère une déportance d’un peu plus de 200 kg à 300 km/h tandis que la 911 GT3 se contente de 155. La Performante se place dans ce domaine au niveau d’une GT2 RS (entre 340 et 450 kg à 300 km/h) et d’une 488 Pista, laquelle revendique environ 390 kg à la même vitesse. Et puisque l’aéro active de la Lambo lui permet de conserver un excellent coefficient de pénétration dans l’air en ligne droite, les mesures relevées à Lurcy-Lévis se révéleront aussi sidérantes qu’à Magny-Cours.
Du panache, la musique en plus
Toutes ces valeurs, ces chronos, aident à la compréhension de ce dont la Huracán Performante est capable mais ne disent rien de ce qu’elle est vraiment, à savoir l’une des dernières romantiques. Nul doute qu’avec deux turbos elle dépasserait sans mal elle aussi les 700 ch. Seulement les moteurs suralimentés des McLaren 720S, GT2 RS et 488 Pista, aussi sensationnels soient-ils, ne procurent pas une émotion aussi intense qu’un V10 atmosphérique. Ce bloc d’origine Audi a tout : l’allonge, les (bonnes) vibrations, la souplesse, la poussée oppressante à mi-régime et la musique qui vous transcende littéralement entre 8 000 et 8 700 tours. La ligne d’échappement en titane propre à la Performante apporte de la profondeur, des déflagrations et du volume à l’extatique bande-son originelle de la Huracán. Dommage que notre modèle d’essai ne soit pas équipé des fins baquets monocoque que j’avais tant appréciés en Roumanie. Ils sont installés plus bas et transmettent surtout beaucoup mieux les vibrations émises par le monument mécanique collé au dos des passagers. Qui plus est, leur légèreté n’aurait rien gâché un jour de supertest… Allez comprendre.
Moteur/Boite
Reconnaissable à des collecteurs d’admission couleur bronze en hommage à la Diablo 30e Anniversaire, le V10 de la Performante fait figure de grand original dans la catégorie, de par son nombre de cylindres et surtout l’absence de suralimentation. Les trois rivales directes que sont la GT2 RS, la 488 Pista et la McLaren 720S disposent chacune de deux turbos, méthode plus pratique pour multiplier les chevaux en passant les normes. Le bloc Lamborghini n’est autre que celui de l’Audi R8, à ceci près que la Performante bénéficie d’un traitement spécial. L’admission est inspirée de celle de la Super Trofeo de course, les soupapes sont en titane, les arbres à cames plus agressifs et la ligne d’échappement est libérée et repositionnée. La puissance passe ainsi de 610 à 640 ch et le couple de 560 à 600 Nm. Ce dernier est disponible à 6500 tours, un régime très élevé qui masque en réalité une souplesse exceptionnelle pour un atmo de ce calibre. La cylindrée généreuse (5,2 litres), la longue course et la très élaborée double injection (directe et indirecte) permettent de disposer de 75 % du couple dès 1000 tours !
Contrairement au flat six de la 911 GT3, le V10 de la Performante ne donne jamais l’impression de manquer de panache à bas et moyens régimes. Le moteur répond sans inertie à la moindre sollicitation et la poussée s’approche alors de celle des meilleurs turbos. La Huracán est aidée en cela par un étagement de boîte idéal avec une vitesse maxi atteinte en 7e au-delà du régime de puissance. Livrée en série et commandée par de grandes palettes fixes, la transmission à double embrayage est du genre percutant, surtout en mode Corsa, rapide mais pas au niveau de ce qu’on trouve chez Porsche ou Ferrari, notamment au rétrogradage.
Performances
Avec 2,3 kg par cheval, la Performante affiche un rapport poids/puissance exceptionnel dans l’absolu mais pas au niveau de la concurrence. Seulement, les 640 ch sont en grande forme et donnent tous le meilleur d’eux-mêmes au départ. La transmission intégrale conjuguée à un launch control digne de ce nom exploite 100 % de la cavalerie et assure à cette Lambo le meilleur 0 à 100 km/h que nous ayons jamais mesuré. Les 2”9 annoncés par le constructeur sont confirmés par l’appareil de mesure, de même que les 8”9 pour atteindre 200! Mieux que l’Aventador que nous avions testée ici même… La Performante se permet là encore de défier la McLaren 675LT, voiture de série la plus performante que nous ayons essayée. L’Anglaise ne conserve une avance que de deux dixièmes au mille mètres départ arrêté, lequel est abattu en 19”2 par la bombe italienne. Même en reprises de 140 à 200 km/h sur les deux derniers rapports, là où la McLaren devrait logiquement faire la différence grâce au punch de la suralimentation, la Huracán réclame les mêmes temps, au dixième près, atomisant au passage une 911 (991/2) GT3.
Sur la route
Contrairement à ce que les chronos sur circuit pourraient laisser croire, la polyvalence est restée soulignée en gras dans le cahier des charges de la Performante. Nous avions eu tout le loisir d’en profiter lors de notre road trip en Roumanie. Là encore, sur les petites routes nivernaises, je suis stupéfait par la capacité d’absorption de l’auto, par son réel confort, n’ayons pas peur des mots. Notre modèle d’essai est doté de l’excellent amortissement “magnétique”, aussi efficace en filtration qu’en tenue de caisse, mais pas de la direction active. L’assistance électrique offre une consistance et un toucher de route assez fins pour jauger efficacement du grip impossible à prendre en défaut sur route ouverte. Le châssis se révèle hyper-incisif, agile, équilibré, et même brutal quand on hausse le ton, tandis que la transmission intégrale remplit sa mission et évite d’avoir le pied droit tremblant.
Les gros coeurs peuvent toujours tenter de la faire swinguer, la bête a horreur de la glisse. Elle donne des frissons à sa façon, en dévorant les obstacles avec une férocité aussi addictive qu’effrayante, le tout rythmé par les accès de rage du V10 donnant l’impression de hurler encore plus fort hors des circuits. Même si l’attaque des freins n’est pas idéale, on prend (trop?) vite confiance derrière le volant. Se pose alors le grand dilemme du propriétaire à l’approche du week-end. Road trip ou trackday?
Sur la piste
Si la Performante enfile les records sur les circuits comme des perles, ce n’est pas grâce à sa vitesse de pointe. Son truc à elle, c’est un grip monstrueux, inconnu jusqu’ici dans la catégorie. Une capacité à rentrer à des vitesses étourdissantes dans les fameuses chicanes ultrarapides du grand Magny- Cours et de ne pas sourciller dans les grandes courbes où le pilote se surprend à remettre du gaz, encore et encore.
À la limite, le châssis est ultra sain. Aucune réaction parasite liée au moteur en position centrale arrière, aucun flottement, la proue se jette à la corde avec le naturel sous-vireur le plus électrisant de la planète. Il convient alors de garder tard les freins pour profiter au maximum de la sérénité de l’auto en entrée puis trouver le point d’équilibre idéal pour relâcher la horde de chevaux de course sans trop pousser l’avant. La transmission intégrale est perceptible mais ne réclame pas de mode d’emploi particulier lorsqu’on reste propre. Notez qu’elle privilégie très nettement la propulsion et laisse le train arrière lécher les vibreurs en sortie avec un petit angle au volant. La Performante déboule à 251 km/h avant Adélaïde (10 km/h de moins que la 675LT) et conserve une impressionnante stabilité jusqu’à l’épingle.
Le grip mécanique est clairement exceptionnel mais le rôle joué par l’aérodynamique est considérable. L’auto est plaquée au sol dans le rapide et même s’il n’est pas aussi perceptible au volant qu’un différentiel à vecteur de couple, le système ALA est manifestement tout aussi efficace pour enrouler les courbes. La Lambo signe un nouveau temps de référence, une demi-seconde, ce n’est pas rien, devant la McLaren 675LT. Si certains imaginaient qu’une Mercedes-AMG GTR jouait dans la même catégorie, notez qu’elle rend plus de quatre secondes à l’Italienne! La piste Club confirme la hiérarchie dans les mêmes proportions et met encore un peu plus en exergue le brio du châssis et de l’aéro active sur ce tracé plus sinueux. Piloter un tel monstre d’efficacité demeure un grand moment, mais les pilotes les plus généreux, les dompteurs adeptes des autos revêches et joueuses qui se méritent seront beaucoup plus à leur aise au volant d’une GT2 RS ou d’une 488 Pista. La Performante n’est pas là pour amuser la galerie, elle n’est bonne qu’à claquer des chronos, et dans le genre, c’est une experte !
Parole de pilote
“Le V10 est exceptionnel! Il est plein partout ce qui permet de se relancer aisément en sortie de virage et la sonorité est juste insensée! La boîte de vitesses est la meilleure que j’ai pu essayer sur une voiture de route; hyper-efficace et en même temps avec un léger à-coup parfaitement adapté à la philosophie de la voiture. Je regrette cependant que les palettes n’accompagnent pas le volant. Par rapport à la McLaren 675LT, la Lamborghini est plus stable et met davantage en confiance.
Petit bémol concernant la sensation aux freins qui évolue de virage en virage et qui est donc difficilement prévisible. 5 dixièmes de mieux que la McLaren pourtant plus légère et puissante, c’est dingue ! ”. Romain Monti
Essai paru en mai 2018 dans le N°81 de Motorsport, disponible en version papier sur la boutique NG Presse.
