Réduire l’excellence d’une supercar à son prix est à peu près aussi absurde que de juger les qualités d’un être humain à la taille de son portefeuille. Vous me voyez venir ? Alors évacuons le sujet sans plus tarder : absolument rien ne peut raisonnablement justifier les 2,4 millions d’euros réclamés pour la Countach du 21ème siècle ! Après tout, c’est le cas de bien des séries spéciales en tirage limité dont les marchands de rêves aussi puissants que Lamborghini, Ferrari et d’autres usent et abusent depuis des lustres. Sur les bases de l’Aventador sortie en 2011 sont déjà apparues (hors modèles uniques sur commandes spéciales) la Veneno, la Centenario et la Sian, toutes en coupé et roadster. Avouez que pour le constructeur de Sant’Agatta, il était tentant et somme toute légitime de clore un si beau chapitre en fêtant dignement les 50 ans d’une icône absolue.
Journée du patrimoine
La Countach n’appartient pas juste à l’histoire de l’automobile sportive : pour beaucoup d’entre nous, elle l’incarne littéralement ! La présentation du prototype en 1971 au salon de Genève fut un choc, une révolution. Il y avait bien sûr le V12 étonnamment installé à l’arrière et en long, mais c’est bien le coup de crayon magique de Marcello Gandini qui fit de cette Italienne la voiture “poster” qui décora des chambres d’enfants à travers le monde.
Le célèbre designer répète à qui veut l’entendre ne pas apprécier ni le principe d’une réédition de son œuvre originale, ni le résultat… Aie. Le papa de la Miura, de la Stratos, de la Diablo ou encore de la BX (!) a prouvé durant sa riche et longue carrière qu’il n’avait pas pour habitude de regarder dans le rétro.
Ne comptez pas sur moi pour prendre position. Je ne veux me fâcher ni avec un génie ni avec un constructeur capable de nous mettre entre les mains un tel engin en 2022. Savoir si oui ou non la LPI 800-4 mérite de s’appeler Countach est une question à vrai dire bien futile lorsqu’on la découvre devant l’usine de Sant’Agata, la porte en élytre ouverte comme une proposition indécente. Un esthète obtus regrettera son gigantisme comparé à l’originale (+73 cm de long et 20 cm de large), ses prises d’air latérales NACA démesurées ou son empattement géant. Un type normalement constitué ayant un minimum d’intérêt pour la chose automobile sentira juste son palpitant taper beaucoup plus vite et plus fort dans la poitrine. L’Aventador est bestiale, la SVJ brutale, la “néo Countach” captivante.
Supercondensateur
Quitter le siège de Lamborghini à son volant vous transforme par ricochet en rock star adulée par une foule acquise par avance. L’exemplaire qui nous est confié est l’une des voitures de développement, d’où l’inscription 0/112 inscrite sous le grand écran central. 112, comme le nombre d’exemplaires produit et le nom de code donné au projet originel. Inutile de vous dire que la demande des collectionneurs du monde entier était bien supérieure à l’offre, faisant ainsi de cette supercar six fois plus chère que l’Aventador dont elle dérive un merveilleux placement. Derrière le volant, en revanche, la valeur ajoutée est beaucoup moins frappante.
Hormis les buses d’aération spécifiques réalisées en impression 3D et le toit vitré faisant référence au fameux « périscope » des origines, tout laisse à penser de prime abord que l’on conduit une “simple” Aventador.
Tout est relatif, cela va soi, mais la supercar hommage n’est clairement pas tournée vers la radicalité
Le majestueux V12 6,5 litres développe comme dans l’Ultimae 780 ch. C’est 10 de plus que la SVJ mais bizarrement cinq de moins que la Sian. Cette dernière inaugura une forme d’hybridation inédite basée sur un moteur électrique placée entre la boîte et vilebrequin alimenté par un supercondensateur. La Countach reprend exactement le même dispositif et peut ainsi voir sa puissance combinée grimper un très court instant à 814 ch. Le « Supercap » présente d’une part l’avantage de se recharger aussi vite qu’il se décharge et de l’autre d’offrir trois fois plus de puissance qu’une batterie lithium ion de même poids.
La voiture ne peut à aucun moment rouler en tout électrique et ne fonctionne pas comme une hybride ordinaire. Lamborghini utilise en revanche les pics de couple électriques pour lisser les passages de rapport de la boîte robotisée à simple embrayage. Je rassure les plus masochistes, cela n’empêche pas la transmission d’être toujours d’une brutalité anachronique en mode Corsa.
Rapide, mais…
Deux pressions sur la palette de gauche, un pied droit solide et une route dégagée transforment cette supercar plus docile qu’elle en a l’air en bête toujours aussi féroce et truculente. Le V12 sous haute tension répond plus instantanément et fait montre d’une force et d’une allonge inouïes jusqu’à 8700 tr/mn. Lamborghini annonce 2”8 pour passer de 0 à 100 km/h et 8”6 pour atteindre les 200. Ce sont précisément les temps revendiqués par l’Aventador SVJ, moins puissante de 44 chevaux mais aussi plus légère de 70 kilos. Le poids, parlons-en. Avec un embonpoint de 34 kilos attribué au seul supercondensateur, la Countach est donnée pour 1595 kilos… à sec. C’est 530 kilos de plus que la Countach originelle. Sachant que nous avons pesé une SVJ à 1780 kilos tous pleins faits, il est facile d’en déduire que la LPI 800-4 dépasse allégrement les 1800 malgré sa coque et sa carrosserie entièrement en fibre de carbone.
Voilà pourquoi sans doute, quelques semaines seulement après avoir supertesté la McLaren 765LT Spider à Magny-Cours et ses alentours, l’Italienne me paraît presque pataude et pas si véloce que cela. Rappelons que la McLaren réalise le 0 à 200 km/h en 7”2 ! Vous me direz oui, et le V12 ? Croyez-le ou non, aussi vibrant et envoutant soit-il, il est moins démonstratif que le V8 biturbo anglais. Je n’aurai pas blasphémé de la sorte au volant de l’inénarrable SVJ.
Pas la plus radicale
Les sensations à bord de la Countach sont beaucoup plus filtrées, le V12 manifestement moins libéré. Tout est relatif, cela va soi, mais la supercar hommage n’est clairement pas tournée vers la radicalité. Le même constat s’impose au niveau des réglages du châssis présentés comme spécifiques mais très similaires à ceux d’une Aventador S. La suspension trépidante à basse vitesse fait un boulot remarquable en pleine action, au point d’inciter à rouler en mode Corsa sur les petites routes vallonées à l’ouest de Bologne. C’est un peu violent mais c’est le meilleur moyen de faire corps avec une auto dont la masse, les 2,1 m de large, les énorme pneus en 355 à l’arrière et les 814 chevaux imposent un engagement total au volant. Les roues arrière directrices et le train avant mordant procurent une agilité plus qu’honorable mais pas suffisante pour rendre la Countach à proprement parler amusante sur un tracé aussi sinueux. Le freinage, aussi bien dimensionné soit-il, manque qui plus est d’un peu de mordant pour procurer une confiance absolue. La magie opère malgré tout. Comment pourrait-il en être autrement me direz-vous avec un tel V12. On ne se lasse pas de l’admirer dans le rétro dont c’est la seule fonction. Rien ne sert dire adieu à ce monument mécanique au moment de le quitter. La Revuelto, remplaçante de l’Aventador, en hérite mais sans cette fois avec une véritable hybridation.
Cet essai est paru dans le N°109 du magazine Motorsport. Pour commander un ancien numéro ou vous abonner, rendez-vous ici.