SI VOUS ÊTES UN AMATEUR D’AUTOMOBILES EXTRÊMES, VOUS CONNAISSEZ SANS DOUTE LA HENNESSEY VENOM F5. Conçue par les ingénieurs du Texan John Hennessey pour viser le record de vitesse maxi sur route et approcher les 500 km/h, elle fait suite à la balistique Venom GT (cf. EVO HS Hypercars) qui poursuivait déjà cet objectif avant elle.
Parcourir huit kilomètres par minute semble une quête triviale pour beaucoup mais de la même façon que les précédents jalons des 100, 200 et 300 km/h ont fasciné autrefois les ingénieurs et les pilotes, les nouveaux Graal des 400 puis 500 km/h intéressent encore une poignée de constructeurs de supercars. C’est pour intégrer ce royaume que la F5 a été conçue.
Lorsqu’on vous donne l’opportunité et la chance inattendue de découvrir de près un de ces prétendants à la V-Max ultime, vous sautez sur l’occasion même si l’essai ressemble plus à une prise en main qu’à un véritable essai. C’est ainsi que nous nous retrouvons non pas dans les installations scintillantes de la NASA au Texas ou en Floride mais sur le centre d’essais de Millbrook dans le Bedforshire en Grande-Bretagne. C’est en effet ici que le prototype de développement de la F5 mène des essais dynamiques avant ses débuts au Goodwood Festival of Speed 2022. Pour le moment, les tentatives de V-Max ne sont pas encore au programme parce que Millbrook n’est tout simplement pas assez grand pour cela, mais John Hennessey a toutefois promis que nous pourrions pousser sa F5 sur un run d’un kilomètre et demi en ligne droite mais aussi sur le parcours routier du centre d’essais baptisé Alpine Route. De quoi vous donner les mains moites et le souffle court.
Intimidante
Le fait de poursuivre l’objectif de la vitesse ultime confère à ce type d’autos un charme particulier. Même si vous n’êtes plus vraiment impressionnés par des autos ridiculement rapides coûtant plusieurs millions d’euros (ou de dollars), je vous garantis que la F5 va tout de même vous attirer. Sa ligne n’a rien de grossier, chaque surface est traitée avec douceur et élégance, elle est dessinée pour fendre l’air du mieux possible. Avec son empattement généreux et une garde au sol au plus bas afin de garantir la stabilité et l’efficacité aéro, elle ressemble à une flèche qui n’a qu’un objectif, atteindre sa cible.
Au ralenti sur l’une des grandes aires bitumées du centre de tests de Millbrook, la Venom vibre en même temps que son échappement qui émet un borborygme inégal et semi-sismique. La brise est chargée d’une douce odeur d’alcool qui trahit la présence d’E85 et d’éthanol dans le réservoir de la F5 afin d’extraire le maximum de puissance du V8 6,6 litres biturbo répondant au doux nom de “Fury”. Même au ralenti, le sifflement des turbos est bien perceptible et s’ajoute au grondement du moteur. C’est un gros morceau d’Amérique, perdu ici, en plein centre de l’Angleterre.
Avant elle, la Venom GT
Pour comprendre la genèse de la Venom F5, il faut se souvenir de la Venom GT qui l’a précédée. Comme toutes ces machines ultrarapides, la GT était assez mystérieuse mais nous avions eu la chance de la découvrir en version Spyder lors d’un voyage au Texas en 2013. C’est à ce jour la seule auto que j’ai testée qui soit capable de prendre plus de 320 km/h en moins d’un kilomètre et demi. Même si nous étions alors sur une piste de la NASA, cela a permis de constater que ce genre de voiture roule à 320 km/h sans plus de difficulté qu’une Porsche 911 Turbo à 200 km/h.
À 400 km/h, la Venom F5 commence à peine à allonger sa foulée
Sans vouloir offenser John Hennessey, je me souviens avoir atterri à Dallas en étant quelque peu sceptique sur ce que j’allais découvrir. Quelques jours plus tard après avoir essaimé une multitude de routes infinies qui bordent les ranchs du Texas, j’ai repris l’avion en me demandant comment ils avaient réussi à concevoir une routière aussi docile et raffinée capable dans le même temps d’atteindre une vitesse de pointe absurde. Ce fut l’un de mes essais les plus mémorables.
La Venom GT fut une réussite pour John Hennessey car d’une part, elle fut économiquement rentable et qu’ensuite, elle lui a permis de se faire connaître en ennuyant l’aristocratique Bugatti et en démontrant des capacités et un savoir-faire qui allaient au-delà de celles d’un simple tuner. Sans surprise, il n’a pas convaincu ceux qui refusaient de voir autre chose qu’un châssis largement modifié de Lotus Elise habillée d’une carrosserie exubérante, mais cela a donné à Hennessey l’envie de leur donner tort et de repartir d’une feuille blanche pour concevoir un successeur à la GT : la Venom F5.
Un challenge immense
Ayant atteint 430 km/h (270 mph) dans la Venom GT, l’objectif pour la F5 est de parvenir à dépasser les 480 km/h, soit 300 mph, une vitesse qui, il n’y a pas encore si longtemps, était l’apanage des dragsters Top Fuel.
Le fait qu’il existe aujourd’hui plusieurs projets de routières visant le même objectif montre que l’aérodynamique, la construction des moteurs ainsi que les pneumatiques ont beaucoup progressé et qu’évidemment, cela attire les clients qui ont quelques millions à dépenser dans de tels jouets.
Pour John Hennessey, la Venom GT a laissé un goût d’inachevé : « Cela me dérangeait que, malgré le fait d’avoir battu la Bugatti sur notre run à 430 km/h en 2014, une majorité de gens aient continué à dire qu’il ne s’agissait que d’une Elise modifiée. J’aurais dû les ignorer mais sachant à quel point cette voiture était un engin construit sur mesure, j’ai pensé que nous méritions plus de reconnaissance. Cela m’a motivé à concevoir une nouvelle auto à partir de zéro ».
Il a fallu attendre trois ans avant que le programme F5 devienne consistant. Mais à partir de là, les choses se sont accélérées : « Nous avons atteint un point de bascule en 2017 lorsque nous avons embauché une équipe d’ingénieurs et construit un modèle grandeur nature que nous avons présenté au SEMA Show. À ce moment-là, nous n’avions pas le budget, ni de plan précis sur comment la construire mais un mois après le salon, nous avions 6 bons de commande sur la table. C’est ce qui a permis de lancer concrètement le projet F5, puis de valider les acquis avec la GT. En 2018, nous avons débuté les études CFD (Mécanique des Fluides par ordinateur) sur la base de la Venom GT. Tout a été mené par notre équipe d’ingénieurs en interne au Texas qui a travaillé avec des experts renommés, pour la plupart basés en Grande-Bretagne.
Nous avons travaillé avec TotalSim qui a fait un boulot formidable pour définir l’aérodynamique. Nous avons poursuivi notre collaboration avec Delta Motorsport (basé à Silverstone) qui avait travaillé sur la GT. J’ai embauché John Heinricy, l’ancien patron de la division Performance de GM qui nous avait donné un coup de main sur la GT en tant que consultant, nous avons travaillé avec Brembo et AP Racing sur le freinage, avec Cima pour la transmission, Motec pour la gestion système, Bosch pour l’ABS et l’antipatinage et Penske pour la suspension. Sans parler de nos partenaires historiques Shell et Penzoil pour les carburants et lubrifiants ».
Si vous trouvez que cela ressemble à un énorme puzzle de compétences, vous avez bien vu. Mais c’est ainsi que l’on mène à terme des projets d’hypercars de ce type. Bugatti travaille avec Dallara pour son châssis, Mercedes sous-traite à Multimatic une grande partie de sa Project One et Aston Martin est allé chercher son moteur chez Cosworth et son étude aéro chez Red Bull. En concevant en interne sa F5 puis en collaborant avec des experts renommés sur certaines parties techniques, Hennessey a fait les bons choix.
L’ampleur d’un tel projet est immense, il faut concevoir plus de 700 outillages et 3 000 nouvelles pièces. Selon Hennessey, toutes les pièces sont spécifiques à la voiture. Seulement 24 coupés seront construits (tous sont vendus) ainsi qu’une volée de Roadster. Les autos seront assemblées dans l’usine Hennessey à Sealy au Texas. La septième auto est en construction et le rythme de production sera ensuite d’un exemplaire par mois.
J’ai conduit quelques voitures très rapides dans ma vie, mais celle-ci évolue à un autre niveau en termes de V-Max
C’est naturellement le moteur qui retient toute l’attention dans la F5 et si son architecture est celle d’un bloc LS Chevrolet, il a été tellement transformé qu’il en est devenu totalement méconnaissable. Ce V8 “Fury” à 90° cube 6,6 litres, il est assorti de deux turbos, le bloc est en acier, les culasses en aluminium et il est équipé d’un vilebrequin à plat. La fiche technique laisse sans voix : biberonné au E85, il développe 1 840 ch à 8 000 tr/mn et 1 625 Nm à 5 000 tr/mn. Avec du SP98, la puissance chute autour des 1 600 ch.
Objectif 480 km/h
L’auto que nous allons conduire a effectué les tests haute vitesse. Cela signifie qu’elle a parcouru plus de 40 runs à plus de 400 km/h sur une piste de Floride. Mais même à cette vitesse, la F5 commence à peine à allonger sa foulée. Hennessey espère pouvoir réaliser un test de vitesse maximale assez rapidement : « Nos ingénieurs ont calculé qu’avec la puissance qu’elle développe, son Cx et son maître couple, la vitesse théorique est de 328 mph, soit près de 530 km/h. Je ne vise pas cette vitesse mais si nous parvenons à atteindre sur un run les 500 km/h et sur un aller-retour une moyenne de plus de 480 km/h, alors ce sera formidable. Nous savons suite à nos expériences avec la GT que si nous ne réalisons pas une vitesse moyenne sur un run aller-retour, les gens vont nous jeter des pierres. Peu importe ce que nous annoncerons, il faut que ce soit irréfutable et que la vitesse soit validée soit par le Guinness, soit par VBOX ».
Un autre sujet de discussion concerne l’homologation. Ironiquement (étant donné où est situé Hennessey), les USA sont de loin l’endroit le plus compliqué pour homologuer une supercar. Partout où elle sera vendue, la F5 sera homologuée pour un usage routier mais aux USA, il faudra l’immatriculer dans une catégorie appelée Show&Display qui n’autorise qu’un très faible kilométrage annuel. C’est la même histoire pour la plupart des engins exotiques tels que les Lotus Evija, McLaren Speedtail, GMA T.50 ou même la Bugatti Divo. Malgré cela, le carnet de commandes est plein, les clients ne sont donc pas plus effrayés que ça par ces restrictions. Et nous sommes sur le point de découvrir pourquoi…
Fascinante lors des accélérations…
La Mile Straight du centre de tests de Millbrook est l’endroit idéal pour découvrir la Venom. Ses performances sont telles que nous ne pourrons de toute façon pas en explorer plus qu’une fraction mais en essayant le mode “F5” libérant toute la puissance, nous pourrons ressentir toute sa fureur. Tout du moins, jusqu’à ce que le virage relevé commence à miroiter dans les effluves de chaleur au bout de la ligne droite.
Avec une boîte à palettes au volant et un antipatinage Bosch, pas besoin d’échauffement. Toutefois, Hennessey nous a demandé de n’effectuer que des “rolling starts” pour préserver la transmission et l’embrayage qui doivent arriver en état à Goodwood pour sa présentation. Ça ne devrait pas atténuer la folie du moment…
Après avoir tout de suite mis le second rapport, l’intensité avec laquelle la F5 se projette vers l’avant lorsque vous écrasez l’accélérateur est proprement déroutante. C’est un vrai assaut sensoriel. Un de ceux qui vous laissent groggy le temps que votre corps comprenne ce qui vient de se produire. La motricité est quasiment inébranlable, on sent à peine le patinage lorsque le boost déboule sur les roues arrière. Il faut alors rester très concentré pour tirer sur la palette de droite au bon moment, tant la vitesse grimpe avec férocité.
L’accélération est telle que la Mile Straight se transforme en un tunnel infini délimité par deux lignes grises de la couleur des barrières de sécurité qui bordent la route, parfois interrompues d’un trait orange provenant des cônes posés sur les bas-côtés.
Quelque part au milieu de la ligne droite, le compteur numérique affiche 200 mph, soit 320 km/h. C’est arrivé si vite que j’ai l’impression d’avoir oublié mon cerveau au tout début de l’accélération. Je ne crois pas avoir respiré une fois depuis que j’ai écrasé la pédale de droite. Ça suffit ! Un dixième de seconde après avoir levé le pied, je suis submergé par un intense flot d’adrénaline qui fait trembler mes mains et bombarde mon corps tout entier de stimulant naturel ! Ce n’est qu’une fois sur le retour, à vitesse modérée, que je me rends compte que je n’ai exploré que les 2/3 des performances de la F5. J’ai conduit des voitures très rapides dans ma vie, mais celle-ci évolue à un autre niveau.
Même lorsque l’on met de côté cette expérience sur la Mile Straight, la F5 ne perd pas de son intensité. On entend beaucoup de bruits mécaniques et de résonances dues à la monocoque carbone. Les cailloux soulevés par les larges pneus tapent dans les arches de roues. Là où une Chiron vous isole de tous les stimuli sensoriels, la F5 vous place au centre de l’action. Ce n’est pas inconfortable mais choyer ses occupants ne faisait pas partie des critères principaux sur le cahier des charges.
Étant donné l’objectif d’un poids sous les 1 400 kg, ce n’est pas surprenant. Il est évident qu’une centaine de kilos d’isolants divers auraient rendu l’auto plus agréable mais la F5 a un but très précis. Hennessey savait qu’il était vital pour la réussite du projet de serrer la vis dans ces domaines afin de ne pas dépasser le budget alloué ni les délais mais aussi pour parvenir à atteindre les objectifs de performances qui étaient au centre du cahier des charges.
En fait, le plus surprenant avec la F5 est qu’elle est très facile à conduire à vitesse modérée. La dernière étape de la mise au point doit effacer les dernières rudesses de fonctionnement de la transmission mais on reste déjà totalement abasourdi par sa facilité à supporter les contraintes d’une session photo à basse vitesse alors qu’elle sort plus de 1 800 ch.
… et même à allure modérée
Faire des travellings photos à petite vitesse sur les courbes de l’Alpine Route est presque une insulte pour une auto capable de rouler à 480 km/h mais, en plus de sembler heureuse de flâner ainsi, ses jauges de température d’huile et d’eau restent absolument imperturbables alors qu’il fait une chaleur dingue à l’extérieur.
Si la Chiron vous isole de tout, la F5 vous place au centre de l’action
Nous roulons pour cela sur le mode Sport qui est amplement suffisant, croyez-moi. La réponse moteur est moins explosive mais comme votre cerveau a un peu plus de temps pour anticiper, vous êtes plus conscient de ce qui se produit et de la façon qu’a la poussée longitudinale de se construire, en progression constante puis plus violemment ensuite. C’est peut-être même plus impressionnant au final.
Un des paradoxes à résoudre pour ce genre d’autos visant les vitesses extrêmes concerne la direction. Elle doit pouvoir conserver un calme absolu lorsque vous vous déplacez au-delà des 400 km/h mais ne pas être trop inerte le reste du temps. Bugatti a souvent été critiqué pour la facilité avec laquelle sa Veyron délivrait ses performances et ils ont choisi de rendre la chose plus “difficile” dans la Chiron afin d’épicer un peu sa conduite. Et c’est effectivement une auto qui vous implique un peu plus dans sa conduite mais face à une F5, c’est une limousine de maître.