La lettre “M” pour “Modificata” est synonyme de grosse évolution chez Ferrari. Pas d’un simple lifting pour booster les ventes à moindres frais. D’ailleurs, il faut être expert en Portofino pour déceler le remodelage esthétique : prises d’air, lamelles de calandre, jantes optionnelles, bouclier arrière plus travaillé et raboté suite à la suppression des silencieux. Nous verrons pourquoi plus tard. Le côté positif est que le récent cabriolet, sorti en 2017, ne prend pas de coup de vieux, ce qui ravira la clientèle composée pour moitié de néo-tifosi (contre 70 % pour la Roma). Ces nouveaux pratiquants de la religion Ferrari réclamaient plus de puissance, de confort et de précision. Au lieu de décapsuler la Roma, le constructeur a ainsi présenté fin 2020, en pleine crise sanitaire, l’évolution F164 FL. Le châssis alu ne bouge pas d’un iota… Comme l’habitacle, qui se passe ainsi des commandes haptiques de la Roma. Tant mieux ! Il abrite toujours deux places arrière de dépannage et continue d’avoir la tête dure. Le toit impressionne toujours autant par son mécanisme, manipulable en une quinzaine de secondes jusqu’à 50 km/h. Il occupe quasiment tout le coffre une fois replié. Il est étanchéifié à l’aide de gros joints, bien visibles. Lorsqu’il est replié, le châssis travaille beaucoup plus et l’on perçoit un changement de rigidité sur revêtement difficile. Il ajouterait presque une note vintage, puisque cette lourde architecture très à la mode dans les années 2000 se raréfie sur le marché. Il se manie toujours depuis le tunnel, au pied de l’arche commandant la boîte de vitesses.
Le dessin tarabiscoté de l’habitacle n’est pas retouché. Le compte-tours analogique fait de la résistance au milieu des compteurs digitaux. L’écran passager figure toujours sur la liste des options. Et la “boutonnite” aiguë, envahissant même le volant, continue de sévir. Outre le “M” ornant la planche de bord, il n’y a guère que le mode Race du Manettino qui met la puce à l’oreille. Réservé par le passé aux supersportives, il propose ses services aux GT de la marque. Ces petites modifications cachent en fait une énorme partie immergée de l’iceberg mécanique… hérité de la Roma.
Cassée la voix
La faible hausse de puissance du V8 (+ 20 ch) relève en fait d’un véritable travail de fond, visant à compenser la perte de rendement liée à la greffe de filtres à particules (- 22 ch), difficilement contournable en Europe. Cela comprend d’un côté un meilleur remplissage en augmentant la course des soupapes, en retouchant le vilebrequin… Et de l’autre, une chasse aux contre-pressions accentuées par les fameux filtres. Elle se traduit par des catalyseurs plus compacts, des clapets actifs de forme ovale et la suppression pure et simple des silencieux. La puissance maxi est non seulement préservée, mais relevée à 620 ch tandis que le couple maxi stagne sur une plage élargie de 500 tr/mn. Tous ces efforts se soldent par un punch relevé d’un cran, toujours assorti d’un faible temps de réponse des turbos. Sans être aussi léger et alerte que le bloc de la F8, dont la cylindrée diffère légèrement, le 3,8 litres empoigne à 2 000 tr/mn et conserve sa fougue jusqu’à 7 500 tr/mn, en évitant de lisser les sensations. On en vient même à vouloir 1 000 tr/mn de plus, comme chez McLaren !
Le caractère n’est pas aussi fort et biphasé (on/off) que ce V8 concurrent ou qu’un flat-6 dopé de 911 Turbo S. Mais quelle force et quel entrain à haut régime ! Les accélérations annoncées, crédibles à condition de bien décoller, sont d’ailleurs dignes d’une supersportive : 0 à 100 km/h en 3’’4, moins de 10’’0 de 0 à 200 km/h. Idem concernant la vitesse maxi, qui s’établirait à 320 km/h ! Les cervicales sont comblées, contrairement aux tympans. Malgré l’échappement Sport optionnel, le V8 est plus étouffé qu’à bord de l’aînée Portofino, qui sidérait dans les tunnels par ses envolées. Les jappements se font plus discrets, moins poignants, y compris en ôtant le toit. Les claquements de l’injection directe à faible allure sont tout de même couverts par l’échappement actif, qui ronchonne jusqu’à 3 000 tr/mn dès le mode Sport. De quoi parader dignement le long des golfes clairs. Au démarrage, il est également possible de réveiller le voisinage ! Mais en dehors de ces phases, les poils ont du mal à se dresser. Sur longs trajets, cette GT ne plonge pas dans un silence de cathédrale ni un confort de limousine. Elle reste très agréable, mais vit et n’a pas sa langue dans sa poche. La mécanique de la Modificata baisse tout de même d’un ton et se noie davantage dans les bruits aéros et de roulements.
Elle doit cette baisse de décibels au 8e rapport de la boîte. Étrennée par la SF90 et reprise par le reste de la gamme, cette double embrayage est simplement la meilleure au monde. Elle cumule une réactivité incroyable (changements annoncés en 40 ms) à un niveau d’implication ahurissant. Elle sait se montrer très relax à faible charge, quitte à déclencher le 8e rapport à 60 km/h. À l’inverse, elle se focalise sur les sensations sans trop en faire en Race et obéit du bout des doigts, depuis les longues palettes fixées sur la colonne. La perfection. Ferrari a de quoi être fier de cette boîte 3 arbres, allégée de 6 kg par rapport à l’aînée à 7 rapports et dotée d’un carter sec. À ce compte, si le comportement est aussi affûté que la mécanique, la M risque de faire très mal.
La boîte 8 à double embrayage est simplement la meilleure au monde !
Même combat
Les routes de l’arrière-pays samarien réservent de belles surprises, avec en prime un soupçon de relief, du côté de l’abbaye de Valloires. Bon, à condition de ne pas tomber sur un os, en l’occurrence un silex, et de crever ! Damned. Heureusement, l’assistance Ferrari intervient rapidement et permet de profiter à nouveau de ce cabriolet au grand cœur de 1,7 tonne annoncée.
La Modificata conserve le bel équilibre de la Portofino (V8 à 90° en position centrale avant, boîte rejetée à l’arrière), moins survireur que celui de la petite sœur Roma (allégée d’un quintal, même empattement). Elle enroule gentiment aux placements et permet de s’appuyer sur le train avant, sacrément costaud, avant d’envoyer valser l’arrière à l’aide des gaz. Le mode Race permet de repousser les aides à la conduite, de se dandiner et de profiter de cet équilibre. Il donne surtout envie d’aller plus loin, tant les réactions se montrent progressives et l’électronique embarquée bien ficelée : Side Slip Control coordonnant le Dynamic Enhancer agissant via les freins (en Race) et le E-Diff. Il est possible de remercier ces aides en maintenant le Manettino sur ESC Off, sans se faire peur et en enclenchant une loi spécifique du différentiel piloté (E-Diff). Appétissant. La motricité et les gommes P Zero dédiées (neuves du coup à l’arrière !) enchantent. En prime, on ne ressent jamais la masse élevée.
En matière de feeling, celui émanant de la direction et des freins n’est pas un modèle du genre. L’assistance électrique offre un bon compromis en consistance, mais les remontées d’informations restent un brin filtrées, comme celles d’une F8. On ne retrouve pas l’alchimie émanant d’une McLaren ou une 911. Quant aux freins, le répondant à la pédale varie et ne met pas totalement en confiance, alors que l’assistance a évolué en vue de réduire la course et d’améliorer le ressenti. Rassurez-vous, dans tous les cas, le niveau de décélération résultant du dispositif carbone/céramique Brembo est pleinement satisfaisant. Le doute et les interrogations portent plutôt sur la suspension. Ferrari a-t-il décidé d’épicer son cabriolet ?
Les réactions sont si progressives qu’elles incitent à couper les aides
Réponse négative. À notre grande surprise, il évoque des réglages identiques et l’amortissement piloté MagneRide demeure une option. Le set-up choisi reste très GT et garde à l’œil le confort. Ce dernier semble pourtant avoir progressé sur le bosselé, en assouplissant l’amortissement via la touche magique du volant (à laquelle Schumi tenait) dans les modes Sport ou Race. Les sièges, eux, bénéficient d’une ossature remaniée qui ne change pas la donne en matière de moelleux. Cela dit, ils restent accommodants grâce à la multitude de réglages et maintiennent efficacement en latéral. À aucun moment la fatigue ne s’est manifestée durant cette virée de 48h. Très agréable, malgré la température frisquette, cette balade en baie de Somme nous a même poussés à décapoter, tant les occupants sont choyés et à l’abri des remous à allure légale. Ils disposent désormais d’un chauffe-nuque, en option. Bon, ce n’est pas le moment de flancher, il reste un point à éclaircir : est-ce que le mode Race apporte sa pierre à l’édifice ? Pas vraiment. Il permet de gagner un poil de réactivité aux placements par rapport au Sport, mais ne neutralise pas les mouvements parasites. Bref, on n’assiste pas à une révolution comportementale. Ferrari aurait pu lancer un pack Handling Speciale, qui aurait mis en avant son équilibre. Mais il préfère tourner la page et remplacer la Portofino par un Spider Roma à toit souple.