Feris Bueller
« Bueller ?… Bueller ?… Bueller ?… » Si vous avez un certain âge, vous avez déjà compris la signification de cette citation mystérieuse. Elle est tirée du film La Folle Journée de Ferris Bueller (1986), dans lequel un jeune acteur prometteur, Matthew Broderick, partageait la vedette avec une Ferrari 250 GT California Spyder.
Enfin, pas tout à fait. La voiture utilisée dans le film était une réplique en fibre de verre. Même dans les années 80, une California Spyder était bien trop onéreuse pour être utilisée dans un film à petit budget. Mais celui-ci a aidé à faire de la California le cabriolet de collection ultime. Si vous doutez du pouvoir des films d’ados, considérez ce qui suit : en 2013, la réplique utilisée dans Ferris Bueller a été vendue aux enchères à 235 000 dollars. Pas mal pour une copie en résine !
Une cote énorme
Bien sûr, une authentique California Spyder vaut bien plus que cela, énormément plus même. L’exemplaire sorti de grange de la collection Baillon, avec laquelle Alain Delon a été photographié dans ses jeunes années, est passé sous le marteau à 16,4 millions d’euros lors de la vente Artcurial de Rétromobile 2015. Il s’agissait d’une voiture rouillée, réparée au mastic, avec des sièges couverts de vinyle et des pare-chocs plus d’origine. Mais la voiture « Baillon » offrait en revanche du rêve, ce qui n’a pratiquement pas de prix. La California Spyder est tout simplement la Ferrari de collection la plus désirable après la 250 GTO, un point c’est tout.
Nous écrivons « pratiquement » mais, bien sûr, tout a un prix, et les Ferrari ne font pas exception. En 2017, Bonhams espérait tirer 10 millions de dollars de la voiture que nous avons photographiée, lors de la vente de Scottsdale, mais elle n’a pas trouvé preneur. Tout de même, comment diable une voiture peut-elle coûter autant d’argent ?
Les célébrités étaient séduites par le glamour associé à la jeune marque Ferrari
« C’est une icône des Ferrari de collection » explique Marcel Massini, historien Ferrari basé en Suisse. « Le seul nom California veut tout dire. Imaginez une de ces rares décapotables sur la Côte d’Azur dans les années 60 ! Toutes les stars et les VIP en avaient une, et aujourd’hui elle est indispensable pour tout passionné sérieux. »
Le propriétaire de cette voiture, le châssis n°2277GT, est d’accord avec cela, même si pour lui, l’esthétique de la California Spyder n’est pas son seul atout : « C’est la meilleure Ferrari classique décapotable à deux places, indique Paul Michaels. Une 250 SWB, le toit en moins. » Et il en sait quelque chose, il possède 2277GT depuis près de 20 ans et a parcouru des milliers de kilomètres à son volant en rallyes historiques.
Pensée pour les USA
Si la California Spyder est tout à fait à sa place sur la Côte d’Azur, elle a initialement été pensée pour les États-Unis, comme son nom l’indique. L’histoire raconte que Luigi Chinetti (l’Italo-Américain qui a fondé le North American Racing Team, ou NART) a eu l’idée du nom (à moins que ce soit son agent de la Côte Ouest, Johnny von Neumann), réalisant qu’il y avait un marché pour une Ferrari de sport aussi à l’aise dans les rues de Santa Monica que sur le circuit de Laguna Seca.
Pininfarina avait déjà dessiné un cabriolet basé sur la 250, dévoilé à Genève en mars 1957, et un prototype 250 Spider (avec un «i»), offert au pilote Peter Collins par Enzo en personne. Mais la future California Spyder (avec un «y», comme nous l’expliquons plus loin) fut commissionnée à Scaglietti, qui a réutilisé quelques éléments de style Pininfarina, comme les phares carénés, les ailes arrière rebondies ou les persiennes sur les ailes avant, pour créer sa propre interprétation du cabriolet sportif Ferrari. Le prototype Scaglietti fut achevé fin 1957 et livré à George Arents, le partenaire de Chinetti pour la Côte Est, début 1958.
Arents n’était pas le plus grand fan de la California. Dans une lettre rédigée en 1989, voici ce qu’il disait des méthodes de fabrication de Scaglietti : « Le seul gabarit correct qu’ils avaient servait à assembler le pare-brise avec la cloison moteur. Sinon, les carrosseries étaient fabriquées en apposant des kilomètres de soudure au cadre, puis en les pliant pour avoir à peu près la même forme que les ailes. Ensuite, un artisan âgé martelait comme un damné un gros morceau de métal tenu par un apprenti, essayait de le mettre en place, secouait la tête, martelait encore jusqu’à ce que tout le monde s’accorde à dire «Ah ! c’est bien», puis il le soudait en place et recommençait avec la pièce suivante ».
Aujourd’hui, on dirait que cette approche rustique participe au charme de la California. C’était une voiture fabriquée par des hommes de l’art qui faisaient plus confiance à leurs yeux qu’à des calculs savants. Les Ferrari de cette époque étaient littéralement des œuvres d’art et, comme tout ce qui est fabriqué à la main, elles ont des imperfections. Nous appelons cela de la personnalité.
Un châssis et une mécanique éprouvée
Quelle que soit la vérité sur les méthodes d’assemblage de Scaglietti, les dessous de la California Spyder n’avaient pas vraiment de défauts. Comme Paul Michaels l’indique, c’était « une 250 le toit en moins », ce qui signifie qu’elle conservait le châssis éprouvé de la 250 GT Berlinetta «Tour de France» et, bien sûr, le fameux moteur V12 3 litres.
La première itération de la California avait un châssis plus long (2 600 mm) que la seconde génération, comme la voiture de Paul, qui avait un empattement de 2 400 mm hérité de la nouvelle 250 SWB. Sans surprise, les California se divisent donc en versions «Châssis Long» (LWB, Long Wheelbase) et «Châssis Court» (SWB, S pour Short). 50 California LWB furent produites de mi-1958 à début 1960, puis 54 versions SWB jusqu’à début 1963. Le plus facile pour les reconnaître en un coup d’œil ? Les LWB ont trois persiennes sur les ailes avant, là où les SWB n’en ont que deux, mais en réalité presque tout pouvait être modifié à la demande du client.
Un nom étrange pour une voiture de stars
Autre fait intéressant, «Spider» est un ancien terme de carrossier, qui décrivait le siège du palefrenier situé à l’arrière d’une calèche, ce dernier étant supporté par une structure en forme d’araignée («spider», en anglais). Siège d’appoint extérieur qui deviendra celui des mécaniciens des premières voitures. Le mot «Spider» désignera ensuite les premiers roadsters légers à deux places, dont le propriétaire était aussi bien le chauffeur que le mécano. Sur la California, le terme a toujours été écrit avec un «y» alors même que cette lettre n’existe pas dans l’alphabet italien.
Les détails des spécifications et de la sémantique de la California n’intéressaient pas vraiment les clients. La plupart des acheteurs étaient séduits par son style, et les célébrités par le glamour associé à la jeune marque Ferrari. Citons quelques noms : le réalisateur Roger Vadim a acheté la SWB n°2175GT pour Brigitte Bardot, Françoise Sagan la SWB n°3021GT, Alain Delon a possédé la SWB n°2935GT de la collection Baillon, et l’acteur James Coburn a acquis, en seconde main, la SWB n°2377GT. Cette dernière a été rachetée aux enchères en 2008 par le présentateur radio anglais Chris Evans pour la somme alors incroyable de 7 millions d’euros. Cela semble aujourd’hui tout à fait normal…
La California en course, une fiabilité sans faille
La California Spyder était donc la meilleure voiture pour se montrer alors. Mais quelques propriétaires ont tout de même tiré avantage de son moteur et de son châssis dérivé de la Tour de France en compétition. Le plus dévoué était le revendeur de voitures new-yorkais Bob Grossman qui a inscrit sa California presque neuve dans la série SCCA en 1959 comme un parfait gentleman driver.
Sports Cars Illustrated raconte : « Fidèle aux préceptes des voitures de sport, il arrive et repart des courses à son volant, avec ses bagages dans le coffre… ». Le magazine a décrit comment, après s’être entraîné sur circuit, aux curieux qui lui demandaient « Comment peut-on courir dans une voiture si belle ? », il répondait simplement : « Parce qu’elle sert à ça ! ».
La California de Grossman a dominé la Classe C du SCCA 1959 au point qu’elle fut promue en Classe B, où elle en donna pour leur argent aux Chevrolet Corvette. À la fin de la saison, il pouvait dire : « Elle est peut-être chère, mais elle est fiable. En 13 courses, je n’ai connu aucune panne ».
L’apogée de la California de Grossman fut les 24 Heures du Mans 1959. Au volant d’un tout nouvel exemplaire (la LWB n° 1451), tellement nouveau qu’il avait été peint à la hâte et que les sièges inachevés étaient couverts de «chiffons», il termina 5e au général. Et ce, malgré le fait qu’il n’avait jamais couru au Mans avant, et qu’il était incapable de discuter avec son coéquipier français qui ne comprenait pas l’anglais.
Le fait est que la carrière en compétition de la California ne pouvait qu’être limitée par la rigidité compromise de sa carrosserie ouverte. Comme le pessimiste George Arents le disait : « Même pour un pilote du dimanche, le tout se tordait à cause de la configuration découpée, ce qui la rendait misérable sur circuit ». Arents exagérait peut-être, mais même Bob Grossman s’est lassé de sa California après avoir essayé un coupé 250, et n’a pas poursuivi avec la version SWB de la décapotable.
Le comportement était peut-être un problème sur circuit, mais la fiabilité a toujours été le point fort de la California, et Paul Michaels semble confirmer ce point. Il explique que sa SWB n°2277GT ne l’a jamais laissé tomber, tout en admettant qu’elle a toujours été méticuleusement préparée avant toute épreuve de longue distance par des spécialistes reconnus.
La 11e California Spyder assemblée
Cette voiture est aujourd’hui, c’est presque inévitable, peinte en Rosso (comme elle l’était quand Paul l’a achetée), alors qu’elle a été livrée neuve en brun Nocciola avec un intérieur Tobacco. C’est la 11e California SWB assemblée, et elle fut exposée en janvier 1961 par le Garage Francorchamps au Salon de Bruxelles, puis vendue peu de temps après à Dino Fabbri, un éditeur milanais. En 1968, on la retrouve aux USA, repeinte en rouge et avec un intérieur noir. Elle a eu divers propriétaires américains par la suite avant que Paul Michaels ne la rachète début 2006.
« J’avais une magnifique 250 SWB GT à carrosserie acier à l’époque, et ma femme et moi avions récemment participé à un rallye italien où étaient engagées trois California Spyder, se rappelle-t-il. Nous nous sommes retrouvés derrière l’une d’elles et ma femme m’a demandé «Pourquoi avons-nous un coupé ?». Alors j’ai vendu la GT, trouvé un peu plus d’argent et me suis acheté cette California. Pour moi, c’est la Ferrari parfaite. »
Ce qui nous pousse à nous demander pourquoi Paul souhaite la vendre. Sa réponse est très directe : « Simplement parce qu’elle vaut désormais trop cher pour le type d’événements que j’apprécie, ou pour la laisser garée à Londres. C’est la triste vérité ».
Peut-être que Londres n’est pas l’endroit idéal pour conduire une California Spyder, mais il y a quelque chose de très spécial à piloter un cabriolet en ville la nuit. Peu importe qu’il s’agisse d’une Ferrari ou d’une Fiat : c’est une expérience qui vous fait vous sentir vivant.
Au volant d’une icône
Comme toute ancienne, la California semble compacte et presque délicate comparée à toutes les voitures qui l’entourent. On sent que l’on peut toucher ses deux extrémités du bout des doigts, ce qui donne de la confiance dans le trafic, même dans le chaos londonien. Elle démarre instantanément, comme elle l’a fait plus tôt durant la séance photo, et en quelques secondes nous quittons le décor du bord de la Tamise pour nous mêler aux taxis londoniens et aux bus à étage.
La voiture est vivante et agile, se jetant dans les petits espaces du trafic comme un poisson dans l’eau, alors que j’essaye d’oublier qu’elle n’a ni pare-chocs ni butoirs pour protéger ses courbes voluptueuses. « Ils ont été retirés bien avant que j’achète la voiture, explique Paul Michaels, et je la préfère largement comme ça. Vous imaginez une 250 Berlinetta avec des pare-chocs ? »
Il y a quelque chose de très spécial à piloter un cabriolet en ville la nuit
Cette vulnérabilité mise à part, la Spyder est une parfaite citadine. Sa direction est agréable, et elle est confortable sans se montrer trop nerveuse, alors que la boîte à 4 rapports est jouissive à manipuler. Avec les quatre disques, rien à craindre côté freinage. Quant à la carrosserie ouverte, elle est idéale pour profiter de la sonorité du V12 Ferrari qui se répercute entre les murs et les façades.
En conclusion
Que l’on vive à Londres, Los Angeles ou au fin fond de l’Auvergne, la California Spyder ne décevra jamais, c’est un fait. Comme Ferris Bueller le disait en 1986, avec un aplomb que seule l’adolescence autorise : « C’est vraiment classe. Si t’en as les moyens, je te recommande vivement de t’en offrir une ». Il n’avait pas tort.
Fiche technique
250 GT California Spyder « SWB »
Moteur V12, 2 953 cm3 tout alu, 2 ACT, 3 carburateurs Weber 36 DCL
Puissance 280 ch à 7 000 tr/mn
Transmission manuelle à 4 rapports, propulsion
Direction à vis à secteur
Suspension
AV : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs hydrauliques
AR : pont suspendu, ressorts à lame semi-elliptiques, amortisseurs hydrauliques
Freins à disques
Poids env. 1 200 kg
RAPPORT POIDS/PUISSANCE env. 4,3 kg/ch
Vitesse maxi env. 200 km/h
0 à 100 km/h 6”3 (estimation)
PRODUCTION 1960-63, 57 exemplaires
COTE 2023 > 16 000 000 euros
Cet essai est paru dans Enzo n° 17, un magazine que vous pouvez vous procurer sur ngpresse.fr.