Après mon rodéo sauvage en ZR1 l’an dernier (2011, Motorsport N°42), je craignais que la Z06 ne me paraisse un peu fillette. J’avais tort. Autant que la fois où j’ai cru qu’un 360° dans les airs avec des skis aux pieds c’était un jeu d’enfant. Bref, j’ai pris une claque…
Dévoilée en 2005, cette Américaine est pourtant une vieille connaissance. Pour faire un parallèle avec Porsche, la Z06 est la GT3 de la gamme, tandis que la ZR1 s’apparente plutôt à la 911 GT2 RS. De l’alu à profusion (châssis et suspension), une pincée de magnésium (berceau moteur, support de colonne de direction), quelques touches de fibres de carbone (passages de roues), la Corvette des puristes soigne son poids sans négliger sa puissance. Elle abrite un V8 atmo rien qu’à elle .
Baptisé LS7, ce monument mécanique de 7,0 litres de cylindrée développe 512 ch pour un couple de 637 Nm, quand une 458 Italia se contente de 540. Larges comme des stéthoscopes, les soupapes ne sont que deux par cylindre et commandées par un arbre à cames central. Désuète sur le papier, la recette ne fait sourire que ceux qui n’y ont pas goûté.
Pack miracle
La Z06 a sept ans. Pour une voiture comme pour un Labrador, c’est un âge avancé, d’autant plus qu’aucune évolution majeure n’a été apportée depuis le lancement, excepté une nouveauté de taille qui se cache dans le catalogue 2012.
Il s ’agit du Pack Ultimate Performance, aussi appelé Z07. Le choix du nom n’est pas innocent. Au programme : des Michelin Cup développés spécifiquement qui vont de pair avec des jantes noires allégées, la suspension pilotée Magnetic Ride, un spoiler ramasse-miettes, un refroidissement optimisé et des freins carbone/céramique. Un chrono résume à lui seul l’intérêt de cette option facturée 18 100 euros. 7’22’’, c’est le temps réalisé au Nürburgring, soit vingt secondes de mieux que la Z06 d’origine ! Une 911 GT3 RS 4.0 revendique 7’27’’ et la ZR1 7’19’’.
Voilà qui permet de situer la bête que Chevrolet nous a confiée pendant une semaine. J’adore la Ferrari 458, j’avoue volontiers une admiration sans bornes pour la GT-R, mais force est d’admettre que ces sportives ultramodernes donnent la sensation qu’un copilote invisible et surdoué s’est invité à bord. Avec la Corvette, il y a juste vous, votre adresse (ou votre maladresse), et vos cojones, comme on dit en Espagne. L’antipatinage ? Où ça ? Je peine à croire qu’il serve à quelque chose sur ce rond-point où je voulais vérifier l’adhérence au sol. Je me retrouve à faire des nœuds avec les bras, la route apparaît dans la vitre latérale. La Z06 fixe les limites en testant les miennes. Virile… mais correcte !
Pure et dure
L’essai s’est déroulé durant la première vague de froid de l’année, entre neige fondue et températures glaciales… Ça tombe à pic, avec des Michelin Pilot Sport Cup aussi à l’aise sur le mouillé qu’un chat sur une patinoire. Résultat: trois jours sans pouvoir accélérer à fond.
Trois jours, c’est long, un peu frustrant, mais la Vette est une bonne vivante. Inutile de sortir la grosse attaque pour prendre du plaisir à son bord. Cette Ricaine est aux GT ce qu’une Caterham est aux roadsters: une voiture exigeante, pas franchement pratique, encore moins confortable, mais sensationnelle. Le genre d’engin dans lequel les têtes de lard blasées font risette, et qui donne du relief au quotidien.
On ne se lasse pas de la voix de baryton du V8 au réveil, des vibrations qu’il renvoie, de cette sensation excitante d’avoir un baril de poudre sous le pied droit. A condition d’éviter les gendarmes couchés (ou debout), aller bosser le matin en Corvette est un pur bonheur. Affronter les embouteillages, c’est déjà moins drôle. Les calories brûlées par la transmission ont une fâcheuse tendance à passer dans l’habitacle, et l’embrayage, modèle Chabal, peut être douloureux pour les mollets fragiles.
Je vous parle en connaissance de cause. En quête de chronos sur le sec, j’ai dû effectuer trois aller/retour Paris-Nevers et affronter les bouchons qui vont avec. 2000 km en Z06 dans ces conditions, ça ne vous laisse pas indemne, au mauvais comme au bon sens du terme. Rares sont les autos de série, toutes catégories confondues, capables de provoquer de telles décharges d’adrénaline. La poussée du V8 prend aux tripes. Elle est sans fin, assourdissante et terrifiante, plus passionnante, de mon point de vue, que celle du bloc suralimenté de la ZR1.
Une chose est sûre, la Z06 en donne pour son argent. Tant mieux, puisque le modèle que vous avez sous les yeux dépasse tout de même les 120 000 euros avec le pack Performance, le pack Carbone, le GPS et le cuir étendu. Les mauvaises langues diront que ça fait cher l’Américaine obsolète finie à la truelle. Les pistards, les amateurs de sensations fortes et les vrais esthètes de l’automobile trouveront, eux, que c’est cadeau.
Moteur/boîte
Des moteurs comme celui-là, seuls les Américains savent et osent encore en faire. Deux soupapes par cylindre, un arbre à came central, pas d’injection directe ni le moindre raffinement à la mode, le LS7, c’est un extra-terrestre, l’antithèse parfaite du V8 propulsant une 458 Italia.
Les normes antipollution auront un jour la peau de sa culasse, mais pour l’heure, ce bloc de 7,0 litres de cylindrée fait toujours merveille sous le long capot de la Corvette Z06. Sa sonorité, sa force de mammouth à bas régime et sa rage dans les tours en font l’une des mécaniques les plus démonstratives de la planète. On peut toutefois regretter l’absence totale d’évolution depuis 2005. Rien, même pas cinq petits chevaux pour faire plaisir aux gars du marketing de chez Chevrolet. Dommage, car entre-temps la concurrence a aiguisé ses armes avec une puissance moyenne qui flirte aujourd’hui avec les 550 ch.
Il faut dire que les motoristes ont peut-être déjà tiré le maximum de ce bon gros V8 culbuté transformé en vrai bouilleur de course. Le LS7 pourrait se résumer en deux mots : démesure et légèreté. Démesure en référence à la taille de certaines pièces en mouvement, comme les pistons (10,5 cm de diamètre) et les soupapes (5,6 cm de diamètre à l’admission). Légèreté, car seuls le titane et l’alu forgé ont été utilisés pour l’équipage mobile XXL. La lubrification par carter sec est bien entendu toujours de la partie. On ne change pas une équipe qui gagne et qui chante juste.
La boîte, elle, aurait pu être remplacée sans risquer de nuire au plaisir de conduite. Fidèle à une tradition américaine ancestrale, l’étagement de la transmission demeure catastrophiquement long. Quant à la commande lente et accrocheuse, disons qu’elle participe à la belle virilité du pilotage de cette Corvette.
Performances
En dépit de tous nos efforts, nous n’avons pu mesurer les performances de la Z06 sur le sec. Même les reprises, avec un tel monstre et des pneus à moitié slicks, sont délicates sur le mouillé. Sur un 140 à 200 km/ en 5e, j’ai eu droit à un petit déhanché aux alentours de 180… De 0 à 100 km/h, Chevrolet annonce 3”7, soit un gain de deux dixièmes avec le pack Performance. Quoiqu’il en soit, avec son poids raisonnable (presque 300 kg de moins qu’une Nissan GT-R et 100 de moins qu’une 458 Italia), son aéro de limande et son couple dévastateur, la Z06 joue dans la cour des grands. A vue de nez, comme ça, je dirais 4”0 de 0 à 100 et un peu plus de 21” au mille mètres départ arrêté. Bien sûr, ça n’engage que moi. Il y a une chose, en revanche, que nous avons pu mesurer à de (trop) nombreuses reprises, c’est la conso. 21 litres de moyenne sans attaquer comme des bêtes, ça fait beaucoup. Vous me direz, une Nissan GT-R, c’est encore pire.
Sur la route
Le pack Z07 comprend la suspension Magnetic Selective Ride. Le système, conçu par l’équipe de Français en charge de la liaison au sol de Delphi, est identique sur le principe à celui que l’on trouve sur la 458 Italia et l’Audi R8. Dans la pratique, la Corvette est loin d’offrir le toucher de route et le confort de ses rivales. Entre la position Touring ou Sport, c’est planche de bois ou béton armé. La suspension est ferme, certes, mais efficace. La Z06 a aussi une fâcheuse tendance à lire la route. Avec des pneus aussi larges à l’avant (285) que ceux d’une GT-R à l’arrière, cela n’a rien d’étonnant. Même si le châssis, la direction et les freins sont irréprochables, rouler fort avec cette Américaine sur des petites départementales impose pas mal de pratique et d’humilité. Un peu comme dans une 911 (997) GT3 RS, en plus bestial. Inutile d’imaginer pouvoir suivre une Nissan GT-R ou une 458 sans prendre de risques, mais le plaisir demeure, et c’est bien l’essentiel.
Sur la piste
Cette version hyper affûtée de la Z06 est avant tout dédiée à la piste. Il suffit de jeter un œil à ses Michelin Pilot Sport Cup pour s’en convaincre.
Là encore, la météo ne nous a guère épargnés. Nous avons pu heureusement profiter d’une petite accalmie pour réaliser quelques tours chrono sur une piste à peu près sèche. La ZR1 détient au moment de notre essai le record à Magny-Cours Club, et je me souviens que Patrick, le type de GM qui nous avait apporté le monstre, m’avait assuré que la Z06 Pack Performance serait encore plus rapide sur ce tracé sinueux. Le fait est que non, mais ce n’est pas bien grave.
En dépit des quelques petites taches d’humidité qui subsistent sur la piste, notre canari sous anabolisants a tourné en 1’20”58. C’est 1”2 moins bien que la ZR1 mais cela suffit pour battre une Lexus LFA et tutoyer la GT3 RS 4.0. Le chrono est impressionnant, mais ce n’est rien à côté de la manière. Aucune autre voiture de série essayée ici, KTM X-Bow R comprise, ne m’a fait si forte impression. Même la monstrueuse ZR1 me semble un peu plus policée, moins aiguisée. La Z06, c’est un cocktail détonant entre grand spectacle et sport extrême. Pas l’ombre d’un sous-virage, une motricité surprenante, un équilibre hors du commun, un grip latéral exceptionnel et une bande son heavy metal ébouriffante. Le pilotage est physique mais pas si compliqué qu’il y paraît, en tout cas pas plus que celui d’une 458 sans béquille électronique. Pour finir en beauté, les freins carbone/céramique semblent indestructibles. Quel engin !