L’AMG GT BLACK SERIES EST AFFAMÉE. Pas juste un petit creux, non, elle a l’estomac qui grogne aussi fort qu’un pit-bull devant une côte de bœuf, c’est juste dément comment elle est vorace. Sur le ralenti, dans la pit-lane gelée du circuit, elle émet un son étonnamment réservé quoiqu’un brin agité. Sa gueule géante inspirée de celle de la GT3 est encore plus large que sur les GT R et GT R Pro, et elle demande à être nourrie. Un peu d’air, ou une GT2RS pour le petit-déjeuner ? Moi, en guise de hors-d’œuvre ? Une barrière luisante et un peu de verdure pour le déjeuner ? Vu les conditions sur le circuit de Bedford, c’est tout à fait possible mais j’ose à peine imaginer ce scénario vu que cette Black Series est quand même affichée au prix de base extraordinaire de 359 000 euros.
Ce super-héros AMG est la caricature de supercar la plus méchante et la plus amusante depuis la Dodge Viper GTS de première génération. Son aileron arrière est aussi haut que son pavillon, ce qui est le signe d’un engin réellement particulier tel que les Audi S1 E2, Porsche 935 et quelques autres. Et lorsque vous lui faites face, son maître-couple et ses dimensions en général sont juste extravagantes, quasi surréalistes. Tout est trop dans cette auto.
Un moteur spécial
Une fois dit cela, un élément manque : en effet, elle ne sonne pas comme d’habitude. Si vous avez étudié la chose, vous savez déjà que la raison à cela est ce qui la rend particulièrement intéressante.
On le connaît sous l’appellation LS2, et si ce nom de code à la consonance très américaine est peut-être un trait d’humour allemand pour éloigner les espions lors du développement de ce dérivé du M178, c’est en tout cas loin d’être un 8 cylindres à culbuteurs. C’est en fait une vraie réinvention du fameux V8 “hot-V” troquant son vilebrequin en croix par un équivalent à plat, ce qui lui retire une partie de son traditionnel grondement pour le remplacer par un timbre plus aigu et plus rugueux d’un quatre cylindres en stéréo auquel on a allongé la plage de régime et ajouté un peu plus de mordant. Si vous avez déjà entendu l’AJP8 de la TVR Cerbera, ça y ressemble un peu.
Pour cette version finale de l’AMG GT, les ingénieurs souhaitaient plus de puissance. “Était-ce bien utile ?” vous demandez-vous. D’autant que le M178 n’en manquait pas. Mais pour dépasser les 700 ch visés, ils avaient besoin d’un sacré boost (1,7 bar au final) mais surtout d’un régime haut perché, d’un rush rageur vers la zone rouge qui la mettrait sans honte en face des McLaren LT, des séries spéciales Ferrari ou encore des Porsche hurleuses de la division GT.
L’intérêt de la Black Series ne se résume pas à son moteur
Le débit d’essence largement augmenté et l’équipage mobile allégé contribuent à transformer le caractère du V8. C’était un projet audacieux d’Affalterbach car il se destinait spécialement pour cette voiture. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que la majeure partie des organes du moteur ont été redessinés. Les turbos sont plus gros, tout comme les intercoolers, tandis que les roulements à basse friction de la puissante GT 63 S 4 portes sont repris ici. On trouve également un tout nouveau collecteur d’échappement et de nouveaux arbres à cames. Résultat ? 730 ch de 6 700 à 6 900 tr/mn et 800 Nm de 2 000 à 6 000 tr/mn.
Plus qu’un moteur, c’est une voiture expérimentale
Mais la Black Series est bien plus qu’un moteur. La GT R de 585 ch était un engin terrifiant, une sportive entièrement vouée au pilotage et dotée d’une personnalité singulière, très différente d’une AMG GT classique. La GT R Pro avait relevé un peu plus le curseur en ajoutant quelques touches de radicalité supplémentaires pour en faire une menace sérieuse pour la 911 GT3 RS. C’était une auto imposante au gros cœur qui savait communiquer avec son pilote. Parfois, elle lui disait “prends garde à toi, mec” mais une telle connexion entre l’homme et la machine la rendait moins intimidante à la limite que ce que son look laissait penser. Mais la Black Series n’adopte pas le patronyme GT R, elle se nomme tout simplement GT Black Series. Il s’agit d’un modèle à part… mystérieux… et très expérimental en fait.
Ambiance course derrière le volant
Alors que je prends la pit-lane, c’est l’image de la GT R Pro qui me vient tout de suite à l’esprit. Arceau en titane ? Oui. Superbes baquets enveloppants et position de conduite parfaite type GT3 ? Oui aussi. Flopée de modes et de réglages, de boutons, d’interrupteurs ? Oui, beaucoup. Vue avant façon boîte aux lettres sur un capot infini et pilote assis sur l’essieu arrière ? Oui encore. Quoi de plus ? L’habitacle presque entièrement recouvert de peau retournée est particulièrement agréable au toucher et cela lui donne un côté sombre et rassurant, confortable et agressif, bref, elle est prête pour l’action.
J’ai tout de suite le sentiment que les premiers tours vont être sauvages. Un set supplémentaire de Michelin Cup 2 R sous couverture chauffante attend dans le box, mais ceux qu’elle chausse tout de suite sont froids tandis que la température ambiante frôle zéro degré. Ces 2 R (ou pour être précis, ces 2 R MO1A puisqu’ils sont spécifiques) sont des Cup 2 encore plus extrêmes, quasiment des slicks retaillés. Je ne sais pas comment cela est homologué mais une chose est sûre, les derniers records signés sur le Nürburgring (pas seulement AMG) l’ont tous été avec ce type de gomme encore plus hardcore que les déjà hardcore Cup 2. Mais, autre certitude : ils ne sont pas les pneus les plus appropriés pour une journée telle que celle-ci.
Sachant que nous ne pourrons pas sortir du circuit aujourd’hui, je paramètre l’auto à mon goût via le mode Individual. Je désactive l’ESP, positionne tous les items sur le réglage le plus agressif sauf l’amortissement adaptatif (pas de réglage manuel comme sur la GT R Pro), que j’assouplis légèrement en espérant favoriser la motricité. Il semble que dans le plus ferme de ses trois modes, les réglages de suspension s’adaptent à différents types de circuit, puis je me concentre sur l’étonnant bouton jaune régulant le niveau d’antipatinage tout droit sorti d’une interface de lancement de missile. Le premier voyant rouge qui s’illumine sur les neuf niveaux jaunes et rouges m’indique que je suis à peu près à mi-chemin de la déconnexion totale. Un niveau décent pour commencer.
Saleté de météo
Je ralentis gentiment à la première épingle et engage délicatement le nez. J’entends une série de bruits sourds qui font grincer les dents, comparables à ceux que l’on percevait en manœuvrant l’auto dans la pit-lane pour les photos. Les roues avant crissent si horriblement que le pilote en grimace de douleur. Le carrossage négatif du train avant fait riper les pneus sur le bitume. Le niveau d’adhérence ne s’améliore pas en sortie où la poupe dessine un généreux arc de cercle plutôt gracieux qui n’a manifestement aucune envie de vous propulser vers l’avant. La figure semble durer une éternité. Le comportement lors des freinages est encore plus effrayant, j’ai l’impression d’être Bambi découvrant le lac gelé avec son copain Panpan. L’ABS se déclenche tout de suite, le nez vibre et cherche sa route tandis que les distances de freinage s’allongent inexorablement. Énervant, je n’aimerais pas me retrouver sur route et avoir à effectuer un freinage d’urgence dans ces conditions.
Cela ne s’améliore guère sur le reste du tour mais quelques informations en provenance de la Black Series me parviennent quand même. Je ressens sa franchise, la rigidité de sa structure, sa détermination sans faille. Elle est grosse, méchante et effrayante, mais elle est aussi compacte et d’une précision redoutable. Il y a de nombreuses raisons à cela.
Les ingénieurs AMG ont travaillé dur pour rigidifier le châssis. C’était impératif étant donné le niveau de grip mécanique et d’appui aérodynamique générés par l’auto. On trouve des panneaux de renfort en carbone à l’avant, au centre et à l’arrière ainsi qu’un berceau avant allégé et un tunnel de transmission en carbone. Et naturellement, ils ont traqué le moindre gramme inutile. On trouve de la fibre de carbone partout, de la barre antiroulis avant réglable au nouveau capot percé d’énormes extracteurs. Le toit et la porte de coffre sont également en carbone, les vitrages sont amincis ainsi qu’un grand nombre d’éléments mineurs. Au final, les ingénieurs avouent que, sauf à entreprendre de profondes et coûteuses donc irréalistes modifications de la structure, ils n’auraient pas pu descendre plus bas que les 1 520 kg de la Black Series (soit 41 kg de moins qu’une Pro).
Les vitesses atteintes aujourd’hui sur ce tracé ne me permettront pas de jauger l’amélioration de l’appui. L’énorme splitter avant peut être allongé manuellement et l’aileron arrière est d’une complexité inédite. L’aile est divisée en deux niveaux, l’inclinaison de la section supérieure est réglable sur 20° via les modes de conduite électroniques ou selon la vitesse et le style de conduite ou l’arrivée dans un virage.
Ajoutez un fond quasi intégralement plat, et les qualités aérodynamiques de la Black Series seront considérables. Pas besoin de chiffres pour le faire comprendre, rien que les pieds de l’aileron arrière vous donnent une indication sur l’énorme charge qu’ils doivent supporter à haute vitesse.
Autant tout déconnecter
Le fonctionnement de l’antipatinage impressionne mais avec un grip aussi faible, qui plus est variable, la tâche est trop difficile. À un moment, une roue arrière peut lutter pour trouver de l’adhérence sur une partie quasiment gelée, l’instant d’après ou au même moment, la roue opposée se trouve sur une partie sèche. Résultat, les variations d’adhérence et les interventions qu’elles engendrent sur le train arrière se révèlent plus inconfortables que réellement rassurantes. Mieux vaut encore tout déconnecter, se relever les manches et aller au charbon. Si vous laissez l’assistance pleinement active, vous ne prendrez jamais de vitesse. Tout déconnecté, vous allez pouvoir jauger l’arrivée du couple du LS2 et le contrôle que vous offre la pédale de droite sur tout ça. Vous découvrez alors un engin plus linéaire et progressif que l’AMG de base et son V8 “hot-V” ultra-coupleux.
Sans aucune forme de subtilité, l’accélération déferle soudainement
Doucement, la piste s’assèche grâce au Soleil se frayant un chemin à travers les nuages pour faire naître quelques plaques de bitume sec. Après l’enchaînement délicat de la chicane au Virage 2, le tracé s’ouvre mais dans une auto rapide, l’inclinaison à gauche suivie d’un droite tout aussi léger deviennent des virages rapides. Une ligne de bitume clair se dessine petit à petit et je me rends alors compte que je peux y aller nettement plus fort. Avec une dose plus corsée d’accélérateur, la réaction de la Black Series se révèle aussi caricaturale que son apparence cartoonesque le laissait suggérer. Sans aucune once de subtilité, l’accélération prend soudainement de l’ampleur. Sans transition, elle passe en mode accéléré comme dans un mauvais film de course-poursuite hollywoodien. La GT se projette vers l’avant et montre enfin toute la teneur de son immense férocité. Je ne dirais pas que la sonorité est belle mais elle a quelque chose d’attractif. Elle perd de la rondeur que l’on attend généralement des AMG pour quelque chose de plus rugueux.
Ça y est, la Black Series se montre enfin sauvage. Mais sans que cela soit négatif. La poussée du V8 à haut régime est époustouflante et la boîte renforcée monte et descend les rapports en un instant à la demande, d’un clic sur les jolies palettes usinées. La sortie de l’épingle reste glissante mais cela devient ensuite entièrement sec. En dérive complète, les Michelin trouvent tout à coup un brin d’adhérence et l’auto tout entière vacille, couine, la fumée à l’arrière s’intensifie en un instant, le niveau de grip varie énormément en quelques mètres.
Nous avons testé les Cup 2 R sous couverture chauffante mais la gomme se refroidit avant même que je termine le premier tour. Malgré cela, la Black Series continue d’impressionner en acceptant d’être malmenée ainsi et de rester tout de même contrôlable. On n’imagine pas qu’un engin aussi radical de 730 ch soit capable de composer avec de telles incartades. Par rapport à la GT R, on est moins gêné par son gabarit et ses proportions, par le fait que son museau soit loin devant vous alors que vous êtes assis sur l’essieu arrière. La Black Series ne fait qu’un entre vos mains, elle engage immédiatement en courbe avec un postérieur admirablement stable. Il ne fait aucun doute que le freinage carbone-céramique complète idéalement ce package spectaculaire, mais les conditions du jour et le manque dramatique de grip sur le train avant ne nous auront pas permis d’en juger vraiment.