Où et quand ?
Le 6 novembre 2023 sur la piste Club de Nevers Magny-Cours. Météo : autour de 12°C, pas de pluie mais une piste encore partiellement grasse et humide au moment de l’essai.
Le pitch
Le 25 juin dernier, Alpine participait pour la première fois de son histoire à la légendaire course de côte américaine de Pikes Peak avec une spectaculaire et surpuissante A110 pilotée par Raphaël Astier. Résultat : un temps de 9’17”412 et une inespérée troisième place au général ! La voiture aurait même été première de la catégorie Time Attack si elle n’avait pas été basculée au dernier moment en Pikes Peak Open pour une question d’aéro, plus précisément de surface latérale projetée…
Quelques mois plus tard, nous voici à quelques milliers de kilomètres du Colorado, dans la Nièvre, pour prendre le volant de cette berlinette hors norme et découvrir l’histoire forcément savoureuse qui va avec.

L’aventure Pikes Peak a germé dans la tête de Philippe Sinault, l’insatiable patron de Signatech à qui l’on doit, entre autres, l’écurie Alpine du Mans ainsi que les versions piste et rallye de l’A110. En quête de défis et surtout d’image à l’international, la marque a accueilli ce projet avec un enthousiasme assez débordant pour donner les moyens et l’ambition à un commando (moins de 10 personnes) d’imaginer, développer, fiabiliser et tester la berlinette la plus diabolique de l’histoire en moins de 6 mois ! Raphaël Astier a quant à lui joué un rôle décisif, bien au delà de celui de pilote. Le champion du monde des rallyes en catégorie RGT (sur Alpine) a apporté sa connaissance inestimable de Pikes Peak (4 participations avant celle-ci) à une équipe vierge de toute expérience sur cette épreuve ô combien singulière.
Premier regard
Le règlement permissif de Pikes Peak a le don d’enfanter de sacrés monstres. On se souvient de la délirante 208 avec laquelle Sébastien Loeb triompha en 2013. L’A110 n’échappe pas à la règle même si Lionel Chevalier (directeur technique de Signatech) précise que le monstre que nous avons sous les yeux reste le fruit d’un « compromis« . Me voilà réconcilié avec le mot compromis. Le principe était de ne pas dénaturer la ligne de l’auto d’origine mais de faire ce qu’il fallait pour ne pas se cantonner au rôle de figurant chez les Ricains. De gros appuis était donc nécessaires mais aussi et surtout beaucoup de puissance (nous y reviendrons). Dans le détail, on note l’intégration de LED sur la tranche des appendices aéro arrière (façon LMDH) qui permettent de transformer les feux arrière en bouches de ventilation. Pour le reste, l’A110 Pikes Peak reste proche de la version GT4 de piste qui sert de base. Notez que son attirail aérodynamique l’allonge de 42 cm par rapport au modèle de série !
Les chiffres (et quelques lettres)

L’aileron colossal en deux parties et le splitter extra large à l’avant génèrent environ 350 kilos d’appui à 200 km/h. Ce n’est pas si énorme dans l’absolu (à peu près autant qu’une Porsche 992 GT3) mais beaucoup comparé aux 140 kilos d’appui à 285 km/h générés par une A110 R de route.
Question moteur, Alpine annonce 500 ch à 7500 tr/mn, contre 300 pour l’A110 R ou S de série (360 pour la GT4). Le chiffre fait d’autant plus froid dans le dos qu’il s’agit de la puissance délivrée à 4301 m, au sommet de la course de côte, là où l’oxygène se fait beaucoup plus rare. Au niveau de la mer, le petit quatre cylindres 1,8 litre développe, tenez-vous bien, environ 650 ch. On imagine bien que pour obtenir plus de 360 ch par litre de cylindrée, il n’a pas fallu lésiner sur la taille du turbo (Garrett) et de l’échangeur qui va avec. L’équipage mobile déjà renforcé et allégé sur la GT4 s’accompagne d’une ouverture du bloc afin d’y glisser des chemises en acier. Croyez-le ou non, la fiabilité mécanique n’aurait pas posé de problème durant le développement. Messieurs les préparateurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire pour émouvoir les amateurs de trackdays.
Enfin, le couple maxi de 550 Nm est à peine supérieur à celui de la R-GT de rallye à laquelle est empruntée la boîte séquentielle (3MO).
Au niveau de la mer, le petit quatre cylindres 1,8 litre développe, tenez-vous bien, environ 650 ch
Le truc en plus
Ou disons plutôt le « truc en moins » : le poids ! Signatech annonce 950 kilos contre 1080 kg environ pour la GT4. “On est allé assez loin, jusqu’à modifier les berceaux et les charnières de porte. Et puis le réservoir ne fait que 25 litres, ce qui nous laisse environ 3 litres de marge à l’arrivée” confie Lionel Chevalier. La légèreté est-elle vraiment un élément clé à Pikes Peak ? Le directeur technique sourit : “Honnêtement, sur le papier, cela n’avait pas de sens d’aller là bas avec une auto comme çà. Dans mon esprit, si t’as pas 1000 ch, c’est pas la peine de traverser l’Atlantique. C’est là que Raphaël Astier a joué un rôle primordial en nous assurant que selon son expérience, il y avait moyen de faire quelque chose dans cette course avec une auto avant tout légère”.
Le râleur, il dit quoi ?
ll ne dit rien et attend, fébrile et joyeux, de prendre une gifle mémorable sur une piste froide et encore humide.
Sur la piste
Avant un unique run de 5 tours, j’écoute attentivement Lionel me donner le mode d’emploi du volant. Trois réglages y sont rassemblés. De gauche à droite : l’anti-lag qui revient à jouer sur la progressivité de la pédale de gaz, l’ABS et l’antipatinage. Le pouce droit sur le bouton rouge et le pétard de 650 chevaux derrière mon dos se met à chanter, ou plutôt à grogner. La pédale d’embrayage ne sert qu’au décollage. Lionel est formel, le moteur n’a pas été dégonflé pour nous autres journalistes ! On peut même se vanter, ou plutôt s’inquiéter, d’avoir plus de puissance à gérer ici à Magny-Cours, à 180 m au dessus du niveau de la mer, que Raphaël dans les montagnes du Colorado.
Chaussée en Michelin Slick Pluie, la voiture s’élance sur la piste Club de Magny-Cours avec une docilité presque déroutante. Point de hoquet façon 911 GT3 Cup, de nervosité ni même d’inconfort : la Pikes Peak se déplace comme une A110 presque normale, jusqu’à ce que la pédale de droite parcourt plus du tiers de sa course. S’en suit non pas une explosion mais une poussée animale et phénoménale qui va crescendo. L’excellent antipatinage (en position 2 sur 5) joue sans doute un rôle non négligeable, mais l’aisance avec laquelle la puissance d’une 911 Turbo S passe sur les roues arrière d’une fluette berlinette dans des conditions d’adhérence pas franchement optimales laisse sans voix. Lionel m’avait pourtant prévenu : “On a installé un système de fresh air (comme en WRC) qui permet, au lever de pied, de recycler l’air d’admission pour remettre de l’énergie dans le turbo côté échappement. Tu verras, le lag est inexistant ! Avec 12 épingles en 1ère et des portions à plus de 200 km/h, nous avions besoin d’une plage d’utilisation très large et d’une puissance facile à doser ”.
À une poussée et une souplesse inouïes, le moteur ajoute une formidable allonge et une rage addictives jusqu’au rupteur repoussé à 7500 tr/mn. Dans la ligne droite, les rapports ultra courts de la boîte séquentielle s’enchaînent toutes les deux secondes environ et au moment de taper les freins, à 220 km/h, on tutoie déjà le rupteur en 6.
J’ai certes l’avantage d’être sur cette piste un peu comme à la maison après y avoir chronométré plus de 360 voitures de sport pour le magazine Motorsport, mais prendre si vite une telle confiance dans un tel monstre frise le surnaturel.
Le feeling de direction est remarquable, le freinage (identique à celui de la R-GT de rallye) facile à doser et l’équilibre du châssis idéal : proche de celui d’une A110 R de route, en fin de compte, avec ce qu’il faut de sous-virage pour calmer le jeu en entrée et d’agilité pour enrouler les obstacles en gardant le volant le plus droit possible. Accélérer à fond un peu trop vite et trop tôt en sortie d’épingle n’est même pas sanctionné d’une petite virgule de la poupe. La suspension est étonnamment souple, toutes proportions gardées, et si vraiment on insiste, l’amorce de glisse à la limite est progressive… dans ces conditions. Il est probable qu’avec de vrais slicks sur le sec, cela doit être plus violent, mais sans doute gérable.

Je commence à prendre un pied indécent avec l’impression troublante de piloter ce qui pourrait s’apparenter à la méga berlinette de route dont je vais maintenant rêver la nuit (c’est malin). Satisfaire aux plaisirs d’un pilote (très) amateur n’est pourtant pas, à priori, la vocation première d’une voiture jouant la gagne à Pikes Peak. Et bien sachez-le, même pour un pilote pro acrobate du niveau de Raphaël Astier, la facilité, ça compte. “Le poids a joué énormément avec un châssis au final beaucoup plus stable. La Porsche avec laquelle j’avais roulé la fois précédente faisait 1400 kilos pour environ 1000 ch. La gestion des pneus, de l’inertie… tout était plus compliqué. Il manquait pour moi juste de la largeur de voie, des pneus plus larges pour pouvoir encore taper davantage dans le châssis, même si déjà c’était super » explique l’Ardéchois qui a ainsi battu de sept secondes son record personnel sur une surpuissante 911.
Le bienheureux, il dit quoi ?
Ne cherchez plus, il existe une vraie supercar française !
La préparation moteur est si réussie, la mise au point si soignée et le monstre si docile qu’on l’imagine parfaitement, si ce n’est lâché sur route ouverte, au moins vendu pour un usage 100 % piste à des gentlemen drivers, façon programme XX de Ferrari. Chiche ?