Après six ou sept tours en douceur, pour laisser tous les fluides de la M3 de course se réchauffer, je donne une bonne pression sur l’accélérateur dans la dernière ligne droite. L’aiguille du compte-tours dépasse les 4 000 tr/min et enfin le moteur quatre cylindres se fait entendre. Il tire proprement et bruyamment, sa note dure se répercutant dans le cockpit nu tel un marteau-piqueur dans une boîte de conserve.
La vivacité, par contre, se fait attendre. Le grognement du moteur suggère qu’il est encore en train d’escalader sa courbe de couple, pas encore à son régime optimal. Il est surprenant de constater à quel point il faut encore monter dans les tours avant que, enfin, la puissance déboule dans une explosion de performances. Et alors, la M3 commence vraiment à être vivante.
La M3 E30 est une voiture de compétition tellement belle : elle est compacte, tendue, simple. Lorsque cet exemplaire est descendu de la remorque pour rouler sur l’asphalte de l’autodrome de Bedford, je n’ai pu m’empêcher de sourire. La façon dont elle est posée sur ses jantes en alliage remplissant entièrement les passages de roues, sa livrée Warsteiner immédiatement reconnaissable avec les bandes BMW Motorsport allant d’un coin à l’autre… Elle est tout simplement parfaite : c’est l’image de la M3 de compétition telle qu’on l’imagine.
Et ce n’est pas n’importe quelle M3, il s’agit de la voiture pilotée par Steve Soper et engagée par Zakspeed durant la saison 1989. C’est une voiture qui a remporté deux victoires et l’une des rares à avoir participé au DTM (Deutsche Tourenwagen Meisterschaft) avec le soutien de l’usine.
En 1989, BMW était engagé dans un combat sans merci avec Ford et Mercedes. Ford avait opté pour le turbocompresseur avec la Sierra RS Cosworth, tandis que BMW avait suivi l’exemple de la Mercedes 190E 2.3-16, adaptant la M3 E30 à la catégorie de cylindrée inférieure du nouveau format du championnat basé sur le Groupe A, en faisant le pari qu’une voiture plus légère et plus agile serait plus performante.
Née pour la course
La M3 E30 à quatre cylindres apportait un grand changement pour BMW. Le constructeur avait connu un grand succès en courses de voitures de tourisme avec des modèles à six cylindres comme la 635CSi, mais pour homologuer sa nouvelle voiture de course, il fallait en produire 5 000 exemplaires, ce qui excluait la M635CSi et son six cylindres en ligne à 24 soupapes. Quelques exemplaires de la nouvelle 325i E30 ont participé au DTM, mais ils étaient loin derrière la 635CSi vieillissante, sans parler de la nouvelle Mercedes.
On devrait accorder à Mercedes plus de mérite pour avoir créé le modèle qui inspirera la M3. La série 3 E30 et la 190E (W201) ont toutes deux été lancées en 1982. Un an plus tard, Mercedes dévoilait la 190E 2.3-16, deux ans avant que BMW ne lance la M3. Le moteur 2,3 litres de la Mercedes avait une culasse à 16 soupapes développée par Cosworth et produisait 185 ch, à comparer aux 162 ch seulement du « quatre » 2,5 litres de la Porsche 944. BMW Motorsport était sur la sellette.
La réponse de Munich fut une voiture encore plus modifiée que la Mercedes, reprenant uniquement le capot et le toit ouvrant de la E30 standard. Elle gagnait des arches en caisson pour monter de roues plus grandes et des voies plus larges, un coffre surélevé unique, un angle de vitre arrière et un aileron arrière assortis pour améliorer l’aérodynamisme, une crémaillère de direction plus directe, les moyeux à cinq écrous et les freins de la Série 5, un différentiel à glissement limité et la même boîte de vitesses Getrag à cinq rapports et à première décalée que la Mercedes.
Son moteur S14 à quatre cylindres de 2,3 litres était lui aussi assez spécial, combinant le bloc M10 (la base du moteur BMW turbocompressé en F1 de 1 300 ch) et la culasse du six en ligne à 24 soupapes de la M635CSi, amputée de deux cylindres. Sur la voiture de route, il développait 200 ch, ce qui correspondait à la puissance de la Mercedes.
Mercedes avait laissé les équipes privées s’occuper de la 190E 2.3-16 lors de ses deux premières saisons du DTM, gaspillant ainsi son avantage. BMW Motorsport, en revanche, avait développé avec diligence un ensemble de pièces de compétition qui allaient permettre à la M3 de remporter le titre DTM dès sa première saison.
1650 victoires
Et pas seulement en DTM : alors que Mercedes concentrait ses efforts en grande partie sur son territoire, BMW a envoyé la M3 dans le monde entier à une époque où les réglementations relatives aux voitures de tourisme étaient remarquablement uniformes. Lorsque Mercedes a finalement remporté le DTM en 1992 et 1993 (avec la 190E 2.5-16 Evo II au look sauvage), la M3 était devenue un phénomène mondial.
À ce moment-là, la BMW avait déjà remporté le Championnat du Monde des voitures de tourisme, le Championnat d’Europe des voitures de tourisme (à deux reprises), le Championnat italien de superturismo (à quatre reprises) et le supertourisme français (à deux reprises), les Championnats australien et britannique des voitures de tourisme, les 24 heures du Nürburgring (à deux reprises) et les 24 heures de Spa (à quatre reprises). Oh, et le DTM, à deux reprises. En fait, on estime que la M3 E30 a remporté une course pour chaque jour de sa carrière en compétition : environ 1 650 victoires en 1 600 jours, du début 1987 à la fin 1992.
Le statut légendaire de la E30 M3 en tant que voiture de compétition ne fait aucun doute, et la voiture de route que BMW Motorsport a créée pour l’homologuer est elle aussi une icône : l’une des meilleures voitures à conduire de tous les temps, en fait. Mais ne vous attendez pas à ce qu’elle vous coupe le souffle dès le départ.
Cette voiture de route immaculée est une rare Evo 2. Les évolutions visant à homologuer de nouvelles pièces étaient autorisées à condition qu’au moins 500 exemplaires de voitures de route soient construits. La première M3 Evo n’apportait guère plus que des prises d’air pour les freins à la place des phares antibrouillard avant, mais cette Evo 2 ajoutait des vitres et une carrosserie légères, ainsi qu’un moteur largement revu qui portait la puissance de la voiture de route à 220 ch et le couple à 240 Nm. Elle a également apporté un séparateur avant plus prononcé et ajouté une lèvre supplémentaire au bord inférieur de l’aileron de coffre. Et, en ayant la voiture de course et la voiture de route côte à côte, ce qui est frappant c’est que tous les ajouts de carrosserie sont identiques et probablement interchangeables.
J’ai conduit quelques M3 E30 au fil des ans et, chaque fois que je m’approche de cette voiture, j’ai la tête pleine de souvenirs précis de son éclat dynamique, de petites séquences que je peux me repasser dans ma tête comme des vidéos TikTok.
Extraordinairement bien équilibré
Si c’est votre première fois à son volant, vous pourriez vous demander si quelque chose ne va pas, car le moteur fait beaucoup de bruit, sans qu’il se passe grand-chose. Pourtant, le châssis est au point, non ? Euh… La direction semble peu assistée et lente, et la conduite est douce et confortable alors que vous vous attendiez probablement à quelque chose de tendu et de nerveux. La plupart des voitures rapides actuelles ont une allure beaucoup plus instantanée. Pour révéler sa magie, il faut prendre de la vitesse dans un virage qui s’y prête. Alors, soudainement, et remarquablement, tout se met en place : la direction est connectée, précise et bavarde et le châssis devient extraordinairement bien équilibré et posé. La seule chose qui manque encore à ce stade est le couple permettant d’exploiter ce dynamisme, et cela ne dépend que de vous.
Alors occupez-vous de la boîte de vitesses légère et vive, appréciez les rapports parfaitement espacés et laissez le quatre cylindres en ligne tourner joyeusement jusqu’à la zone rouge de 7 000 tr/min, où il émet un son enthousiaste et délivre la puissance et le couple que le châssis mérite. Repoussez le châssis plus loin et il absorbe la pression, et à un moment donné, vous vous retrouverez beaucoup trop vite dans un virage. Ne paniquez pas : c’est un rite de passage.
Vous lancerez la M3 dans le virage entre espoir et désespoir et, sans transpirer, la M3 s’installera sur le point de corde avec une telle facilité que vous vous projetterez dans la ligne droite suivante la mâchoire pendante, époustouflé par ses capacités, même avec des pneus de taille si modeste.
C’est aussi une voiture fabuleuse sur circuit. Avant d’acheter l’auto de course de Soper en 2005, son propriétaire, Richard Baxter utilisait une M3 Sport Evo (également connue sous le nom d’Evo 3) pour des sorties sur circuits. Il l’appréciait mais la trouvait onéreuse à l’usage, et la valeur des M3 avait commencé à grimper. Il a pensé qu’une voiture de course serait plus appropriée et a commencé à en chercher une. « Cet exemplaire était en vente depuis longtemps, dit-il. Les gens n’étaient pas intéressés parce qu’elles sont beaucoup plus difficiles à entretenir que les voitures de route. »
Elle était en vente pour 60 000 euros. À l’époque, le vendeur, Alex Elliot, achetait des M3 de course dans le monde entier, pour un prix aussi bas que 9 000 euros chacune. Baxter a versé un acompte important et, comme convenu, Elliot a commencé à remettre la voiture en état.
Selon certaines estimations, 330 M3 de compétition ont été construites, 270 de Groupe A et 60 de Groupe N. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs d’entre elles aient prétendu être des voitures « Soper ». « Je me suis réveillé un jour et j’ai pensé que je pouvais me retrouver avec une voiture complètement fausse, se souvient Richard. J’ai vérifié le numéro de châssis par l’intermédiaire d’un ami et il m’a dit que la période n’était pas la bonne. J’ai vraiment cru que j’achetais une poubelle. Mais ensuite, je me suis dit que j’aimais cette voiture et qu’elle allait me donner l’expérience que je recherchais. Lorsque j’ai payé le solde final, j’ai eu la confirmation que c’était le bon numéro de châssis. Il s’est avéré que j’avais mal lu le numéro ! »
Après avoir pris livraison de la voiture, et désireux de confirmer sa provenance, Richard a invité Steven Soper à une journée de piste. Il a poliment refusé mais a accepté l’offre d’exposer la voiture dans sa concession. Dès qu’il a regardé à l’intérieur, il a su que c’était sa voiture.
« À l’époque, il n’y avait qu’un seul type de dispositif de réglage de la répartition de freinage, explique Soper, mais AP m’en a trouvé un avec des numéros. Il était encore installé dedans, c’est donc ma vieille voiture Zakspeed. Et si ce n’est pas le cas, c’est une sacrée bonne copie ! »
« Une M3 de course d’usine est plus durable, mais il faut de l’engagement, explique Richard. Si vous allez sur circuit, vous devez faire un gros travail de préparation, et il faut la remorquer. Puis, lorsque vous arrivez sur place, vous avez encore beaucoup de travail de préparation à faire : la pression des pneus, le serrage des roues et de tous les écrous. Cela prend du temps. Lorsque je l’ai emmenée au Nürburgring, en deux jours, nous avons réussi à faire quelque chose comme 20 tours, alors qu’avec la voiture de route, nous en avons parcouru 75. Mais c’étaient des tours merveilleux. »
La vieille école
Enjambez l’arceau avec son habillage en plastique jauni et délabré, installez-vous dans le siège baquet et vous vous retrouvez dans un intérieur de voiture de course remarquablement basique. Le tableau de bord et les panneaux de portes standard sont toujours là, bien que découpés pour s’adapter à l’arceau de protection, et il y a juste un levier de vitesse, trois pédales et un ensemble de cadrans analogiques avec des étiquettes faites au ruban Dymo. La vieille école.
Actionnez les interrupteurs des pompes à essence et elles se mettent à hurler à l’intérieur du cockpit nu avec un bruit métallique et rude. Appuyez sur le bouton de démarreur et celui-ci se met en marche dans un tintement creux, puis l’un des plus grands quatre cylindres en ligne de l’histoire s’éveille. C’est un moteur au son si serré, si saccadé, mais il est immédiatement évident qu’il a besoin de plus de régime, les énormes chevauchements de soupapes qui délivrent sa puissance à haut régime le laissant étouffé au ralenti rapide comme un poisson rouge tombé sur la moquette.
En contraste total avec la souplesse de la voiture de route, la voiture de course est dure comme de la pierre. C’est une journée fraîche et nous avons des pneus pluie pour trouver un peu d’adhérence mais, dès le départ, l’immédiateté du train avant est surprenante. Il n’y a absolument aucun relâchement : vous tournez le volant de quelques degrés et l’avant fonce vers le point de corde. Jusqu’à ce que les roues arrière soient un peu plus chaudes, l’arrière semble mobile, mais d’une manière lente et bien téléphonée.
Prenez de la vitesse dans un virage qui s’y prête et soudainement tout se met en place
Avec le moteur en température et explosant joyeusement à haut régime, chaque passage de rapport le ramenant dans la partie centrale de l’étroite plage de puissance, la voiture paraît extrêmement alerte. L’arrière est encore un peu lâche et la répartition des freins est beaucoup trop décalée vers l’arrière, ce qui la rend instable au freinage et fait perdre l’arrière à la remise des gaz, mais tout se met rapidement en place. Comme sur la voiture de route, il faut garder le rythme pour rester propre.
Les premières M3 de DTM développaient 310 ch à 7 800 tr/min, mais l’Evo 2 en délivrait 320 à l’incroyable régime de 8 500 tr/min. La raison pour laquelle il n’y a pas beaucoup de poussée à bas régime (ou même à mi-régime) est que le couple maximal n’est que de 270 Nm à 7 000 tr/min ! C’est à peine plus que la voiture de route.
Pour la saison 1989, Steve Soper a échangé une Sierra turbocompressée de 550 ch contre la M3, ce qui a dû être un sacré changement. « La différence était énorme, mais la Ford ne transmettait pas très bien sa puissance, explique Soper. La M3 était très agile et maniable, et se comportait beaucoup mieux. Il fallait garder l’élan et être gentil et doux avec elle. Si vous deveniez nerveux et spectaculaire, elle n’était pas rapide. »
Steve Soper était pilote d’usine sur les M3 en DTM de 1989 à 1992 et considère ses deux victoires sur le nouveau Nürburgring avec elles en 1989 comme ses meilleures. « BMW Motorsport soutenait trois équipes d’usine : Schnitzer, Linder et Zakspeed, toutes équipées de pneus différents. Je pense que personne ne s’attendait à ce que je gagne avec des Pirelli. Schnitzer était sur Yokohama, le pneu le plus constant sur une distance de course. Nous avons gagné ces épreuves parce que Zakspeed était basé au Nürburgring, littéralement de l’autre côté de la route. Tout notre travail de mise au point était fait là-bas. J’étais très à l’écoute du circuit. »
Richard Baxter a retracé l’histoire de la voiture.
À la fin de la saison 1989, elle est partie en Suède et a participé au championnat national de voitures de tourisme pendant quelques saisons. Elle a ensuite été expédiée en Malaisie, puis aux Philippines, mais son moteur est parti en Australie. La voiture de Richard est équipée d’un moteur 2,5 l plus récent, installé par un précédent propriétaire afin de la rendre plus exploitable lors des sorties circuit.
Les moteurs ne sont pas restés avec des voitures particulières pendant la saison : BMW Motorsport a mis en place un système d’échange de moteurs par lequel les équipes les retournaient à intervalles réguliers pour être rafraîchis. Certains pensent que Schnitzer a pu choisir ses moteurs, mais Steve Soper n’est pas de cet avis.
« Je ne crois pas qu’ils l’aient fait. Nous étions tous des équipes d’usine et nous avons tous reçu le même kit de pièces. Bien sûr, Schnitzer était l’équipe favorite : elle avait de meilleurs résultats. Mais, vous savez, le tout était ce que vous faisiez avec ces pièces. Les voitures étaient hautement réglables : centres de roulis, ressorts, amortisseurs, barres antiroulis, hauteurs de caisse, cambrage. À l’époque, Schnitzer avait de meilleurs réglages, une meilleure équipe de course. »
« BMW était très bon pour gagner des championnats » continue Soper. Il a terminé cinquième en 1989 et Schnitzer a remporté le titre avec Roberto Ravaglia. « C’était vraiment une équipe d’usine pour BMW. Pendant les six premières courses, c’était une mêlée générale, et ensuite, celui qui obtenait le plus de points était considéré comme le leader de l’équipe. En 1989, c’était Ravaglia. Les autres devaient se rallier à lui et le soutenir. En gros, on n’avait pas le droit de le battre. Si vous étiez premier et qu’il était deuxième, vous deviez le laisser passer. Dans mon monde, c’est comme ça que ça s’est toujours passé : nous étions bien payés pour faire le travail pour BMW. »
Il n’y aura probablement jamais de voiture de tourisme plus réussie que la M3 E30. Elle était superbement conçue, fiable et rapide, a tiré le meilleur parti de l’alignement favorable des réglementations dans le monde entier et a été pilotée par certains des meilleurs pilotes au monde.
Oh, et la voiture de route n’est pas mal non plus !
Technique
BMW M3 E30 EVO 2 1989 (route)
- Moteur : 4 en ligne, avant. 2302 cm3. 2 ACT, injection Bosch.
- Puissance : 220 ch à 6750 tr/mn
- Couple : 240 Nm à 4750 tr/mn
- Transmission : manuelle à 5 rapports, propulsion
- Suspensions AV/AR : bras McPherson, triangles inférieurs, barre antiroulis / bras tirés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs téléscopiques, barre antiroulis.
- Freins : disques, ABS.
- Poids : 1200 kg
- Vitesse maxi : 235 km/h
- 0 à 100 km/h : 6”4
BMW M3 E30 EVO 2 1989 (course)
- Moteur : 4 en ligne, avant. 2302 cm3. 2 ACT, injection Bosch.
- Puissance : 320 ch à 8500 tr/mn
- Couple : 270 Nm à 7000 tr/mn
- Transmission : manuelle à 5 rapports, propulsion
- Suspensions AV/AR : bras McPherson, triangles inférieurs, barre antiroulis / bras tirés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs téléscopiques, barre antiroulis.
- Freins : disques
- Poids : 940 kg
- Vitesse maxi : 260 km/h (selon transmission)
- 0 à 100 km/h : 4”6