Le dossier des superbes sièges Recaro en cuir noir distille des vertus massantes dont j’avais oublié l’existence. C’est qu’il se déplace plutôt vite, ce tout premier break RS6 ! En général, les sensations mécaniques des aînées sont souvent décevantes rapportées aux standards actuels. Pas ici. Assis côté passager, Yannick a également connu la bestiole à sa sortie et ne s’en étonne guère : « Cela marchait très fort à l’époque. Pour avoir parcouru de longs trajets, je me souviens que c’était un outil ». Comprenez par-là, un des engins les plus rapides pour rallier un point A à un point B, avec armes et bagages. C’est pourtant bel et bien la BMW M5 E39, sortie en 1999 qui déclenche les hostilités. Avec son extraordinaire V8 de 400 ch, elle offre des performances jamais vues sur une routière (hors préparations), lance la course à la puissance et invente une race de berlines capables de titiller des GT. Touché dans sa fierté, Audi qui n’a alors au catalogue qu’une timide A6 de 340 ch réagit en 2002 et étrenne le label RS sur la gamme A6. Le résultat ? Un monstre baptisé RS6, dont le V8 gavé par deux turbos revendique 450 ch et un couple de remorqueur de 560 Nm, disponible dès 1 950 tr/mn. Côté chiffres, la rivale bavaroise est battue à plates coutures, même si la boîte auto imposée fait grincer les dents les puristes. La transmission intégrale quattro qui canalise toute cette cavalerie rassure le quidam, intimidé par les facéties joyeuses des surpuissantes propulsions bavaroises. Avec un tel accastillage, inutile de s’appeler Sébastien Loeb pour emmener sa tribu à des allures inavouables avec une incroyable facilité. Surtout quand la météo s’en mêle. Le mythe RS6 est né.
Taille XXL
Dix-huit ans plus tard, ce transporteur express fait toujours autant rêver. Apparu fin 2019, le dernier descendant (C8) reste fidèle aux préceptes de la lignée, mais la carrosserie break est imposée depuis la troisième génération (C7 de 2012). Sauf que le contexte a changé. Autrefois seule au monde, la RS6 a inspiré ses concurrents. Si la M5 ne s’habille toujours qu’en berline, elle canalise désormais son V8 biturbo au moyen d’une transmission intégrale. La Mercedes-AMG E 63 S reprend stricto sensu la recette et devient sa rivale désignée, dans sa version break. Pour les combattre, la dernière arme d’Ingolstadt montre les crocs.
Par rapport à l’A6 classique, elle s’élargit de 4 cm de chaque côté pour accueillir des voies avant et arrière de respectivement 1 668 et 1 651 mm. Elle agresse les mirettes et l’assume : face ajourée, arêtes vives, échappements ovoïdes aussi larges que deux poings, jantes optionnelles de 22 pouces (2 800 €).
La RS6 d’hier se compare en fait à la RS4 d’aujourd’hui, aussi bien par ses dimensions que par sa puissance (450 ch).
À ses côtés, ce modèle de fin 2002 repose les rétines. D’abord, parce qu’il est entièrement d’origine, chose hélas rare de nos jours. Ensuite, parce que sa discrétion traverse les presque deux décennies passées avec élégance. Les appendices sont subtils : doubles sorties d’échappement ovoïdes séparées par un diffuseur en nid-d’abeilles noir, jantes 19 pouces et magnifiques ailes galbées, indispensables pour accueillir les voies avant et arrière copieusement élargies. À sa sortie pourtant, cette relative discrétion et sa capacité à rendre un manchot du cerceau impossible à suivre lui jouent des tours. Elles suscitent en effet la convoitise d’esprits mal intentionnés qui finissent par nuire à son image. Aujourd’hui, cette sobriété tranche par rapport à la descendance qui a pris 15 cm de long et 210 kg ! La RS6 d’hier se compare en fait à la RS4 d’aujourd’hui, aussi bien par ses dimensions que par sa puissance (450 ch).
Main géante
La qualité des surpiqûres et des plastiques moussés ne fait pas partie des priorités de Motorsport. Il n’empêche qu’à bord de la RS6 originelle, la contemplation du magnifique ciel de toit en Alcantara et de la finition tirée à quatre épingles fait partie du plaisir. Dans cette atmosphère classique, le tachymètre gradué à 310 km/h donne furieusement envie de mettre les voiles. L’impressionnant et sonore martellement des huit pistons qui tranche avec la discrétion générale reste imprimé dans mes souvenirs.
Dix-huit ans plus tard, le timbre est toujours là, mais le volume lui est moins élevé. Côté sensations, c’est le carton plein. Bien aidé par le souffle inépuisable des turbos, le V8 téléporte à la borne kilométrique en 24’’, malgré la présence d’une boîte auto à 5 rapports. Elle est certes douce, propose un mode manuel et des mini-palettes, mais sa lenteur et son inertie rappellent l’incroyable évolution des boîtes à convertisseur. Comme sur la M5, la transmission ZF comprend 8 rapports sur la dernière RS6. Douce quand il le faut, elle devient réactive au besoin et passe les rapports à la volée, surtout dans ses programmes plus radicaux qui engendrent un petit à-coup. Le mode manuel permet d’aller titiller le limiteur fixé aux alentours de 6 800 tr/mn et autorise des rétrogradages éclair difficiles à prendre en défaut.
Bien aidé par le souffle inépuisable des turbos, le V8 téléporte à la borne kilométrique en 24’’
Moins sonore que son prédécesseur en mode normal, le V8 4 litres biturbo converti à l’hybridation légère (48V) devient volubile une fois l’échappement sport optionnel libéré (1 700 €). Mais la sonorité peine à émouvoir. Si celle d’une M5 verse dans l’artificiel, la bande-son d’une AMG flatte davantage les oreilles. Une fois l’effet turbo passé vers 2 500 tr/mn, le caractère linéaire impressionne moins que la fiche technique : 600 ch perchés entre 6 000 et 6 250 tr/mn, 800 NM de couple disponibles entre 2 050 et 4 500 tr/mn. Un simple launch control permet de découvrir les vertus suffocantes de la bête. Expédier un 0 à 100 km/h en 3’’6, filer à 200 km/h en 12’’ dans un habitacle aussi luxueux que technologique fait partie de ces plaisirs envisageables à bord d’une RS6. L’instrumentation personnalisable et l’absence de commodos sur la console centrale grâce aux deux écrans à commande haptique impressionnent Thierry, le propriétaire de l’originelle et rappellent les incroyables progrès accomplis en quelques années par les interfaces.
Assistance rapide
Complément d’enquête sur les routes exigeantes du Vexin. Assise haute mise à part, la monture de Thierry donne l’impression d’être à la maison. D’abord parce que les dimensions raisonnables mettent à l’aise sur une départementale étroite. Ensuite, parce qu’il n’est pas indispensable de se plonger dans une multitude de menus pour en extraire la substantifique moelle. Lourde à basse vitesse, la direction s’adoucit ensuite tout en communiquant sur le niveau d’adhérence disponible. Comme prévu, les 450 ch passent comme une lettre à La Poste et il est facile d’imprimer un rythme soutenu. Le break indique ses limites en se calant sur sa roue avant extérieure et maîtrise bien les mouvements de caisse grâce au système Dynamic Ride Control. Les amortisseurs opposés (avant droit/arrière gauche et inversement) sont interconnectés via un système hydraulique commun. Les énormes freins dotés d’étriers à 8 pistons à l’avant (un miracle en 2002 !) mettent en confiance. C’est sérieux et rapide, mais peu enjoué. La trajectoire finit par s’écarter et la transmission intégrale 50/50 n’autorise aucune fantaisie.
Changement de philosophie
Il suffit de sauter à bord de la dernière née pour se rendre compte du changement radical de philosophie opéré par Audi. Les 10 cm supplémentaires en largeur semblent compter double et intimident au début sur route étroite. Une fois le gabarit assimilé, l’encombrant break se transforme en vélo et virevolte sur un itinéraire où on ne l’attend pas à pareille fête. Sa faculté à tourner sur place, à effacer les 2075 kilos à gommer les épingles d’un simple coup de volant, et à suivre le rythme de la moindre GTI tient de la sorcellerie. Je dois me pincer pour y croire, tant les efforts fournis par les metteurs au point laissent admiratif. La réponse tient dans la technologie.
La transmission intégrale privilégie la propulsion avec une répartition du couple théorique de 60/40, capable d’envoyer jusqu’à 85 % à l’arrière et 70 % à l’avant. Elle est complétée par le différentiel quattro Sport qui module la répartition entre les roues arrière au moyen d’embrayages multidisques pour aider la voiture à pivoter. L’arrivée des roues arrière directrices (non caricaturales) transforme cet imposant break en ballerine. Pour 1 500 € de plus, il troque ses suspensions pneumatiques contre un châssis Sport, équipé d’un système DRC réglable. Flottant et engendrant quelques mouvements verticaux en mode confort, il verrouille parfaitement les mouvements parasites sans pour autant devenir cassant sur son programme le plus sportif.
Étonnante agilité
Ainsi paré, ce break défie les lois de la physique. Sur un tourniquet comme le circuit de la Ferté-Gaucher, cette étonnante agilité rend la RS6 plus enjouée que la petite sœur RS4. Elle se place aisément et peut même dessiner de petites virgules en sortie, sans pour autant laisser échapper le moindre cheval. La motricité impressionne autant que le freinage disponible avec le Pack Dynamique RS plus, permettant aussi de filer à 305 km/h. Facturé 11 000 €, ce pack comprend des disques de freins en carbone/céramique de 440 mm et des étriers à 10 pistons… Mais il en vaut la peine, en freinant fort et longtemps. Avec une telle cavalerie, c’est appréciable.
Le ressenti reste le seul point sur lequel la RS6 pourrait progresser. Impressionné par ses performances et son dynamisme eu égard à la masse pachydermique, Thierry regrette une direction trop légère. À raison. Ce filtre et cette distance que met cet imposant break avec son conducteur laisseront peut-être les amateurs de sport sur leur faim, mais quelle démonstration !
Cet essai est paru en 2019 dans le N°96 de Motorsport. Pour vous abonner ou commander des anciens numéros, rendez-vous sur la boutique NG Presse.
Technique
Audi RS6 C5 (2002)
- Moteur : V8 biturbo, 4172 cm3
- Puissance : 450 ch à 6400 tr/mn
- Couple : 560 Nm à 1950 tr/mn
- Transmission : auto à 5 rapports, intégrale (Torsen central)
- Freins : disques (365/335), étriers fixes/flottants (8/1 pistons)
- Pneumatiques AV/AR : 255/35 x 19
- Poids : 1865 kg
- L/l/h : 4852 / 1850 / 1452 mm
- Vitesse maxi : 250 km/h
- 0 à 100 km/h : 4”9
- Prix à sa sortie : 100 300 €
Audi RS6 C8 (2019)
- Moteur : V8 biturbo, 3996 cm3
- Puissance : 600 ch à 6000 tr/mn
- Couple : 800 Nm à 2050 tr/mn
- Transmission : auto à 8 rapports, intégrale (Torsen central)
- Freins : disques (440/370), étriers fixes/flottants (10/1 pistons)
- Pneumatiques AV/AR : 275/35 x 21
- Poids : 2075 kg
- L/l/h : 4995 / 1951 / 1460 mm
- Vitesse maxi : 305 km/h
- 0 à 100 km/h : 3”6
- Prix à sa sortie : 129 150 € (156 950 pour le modèle testé)