Reportage

Enzo Ferrari, son histoire

Nous vous racontons l’incroyable histoire d’un homme modeste qui a fondé un empire.
SOMMAIRE

« Racontez-nous l’histoire d’Enzo Ferrari », voilà ce que l’on m’a demandé… Bien sûr, la proposition est assez simple, mais comment aborder de manière adéquate la personnalité la plus importante de la course automobile du XXe siècle en quelques pages de magazine ? Il serait facile de pécher par omission, pourtant il y a trop de choses à raconter pour tomber dans cet écueil. Lorsque le grand homme est décédé le 14 août 1988, à l’âge de 90 ans, sa mort fut accompagnée d’une effusion de nécrologies, d’hommages, et de biographies… Tout ce qui marque aujourd’hui le décès des grands et des célèbres.

1922 gp de l acf at strasbourg felice nazzaro fiat copy
Après la première guerre mondiale, Enzo a repris la course au volant d’une Isotta Fraschini GP de 1914.

Les origines

Enzo Anselmo Maria Ferrari était issu d’une famille d’artisans de la classe moyenne inférieure de Modène. C’était un homme ordinaire. Il parlait le dialecte modénais, direct et sans détour. Mais il était aussi brillant et astucieux, ambitieux et déterminé. Et cette détermination était en acier forgé dans l’adversité, la maladie et le deuil. Cet homme allait devenir un industriel et une personnalité sportive de stature mondiale, un roturier qui a réussi, et qui allait prendre un malin plaisir à faire attendre les rois, les princesses, les ducs, les stars de cinéma et les capitaines d’industrie lorsqu’il jugeait bon de leur accorder une audience dans son bureau de Modène, ou dans son usine de Maranello.

Plus vous étiez riche, plus Enzo Ferrari cherchait à vous faire acheter une de ses voitures

Les voitures que son entreprise construisait étaient rares, exotiques et particulièrement exclusives. Plus son client était riche ou célèbre, plus Enzo Ferrari cherchait à lui en faire acheter une. Telle était l’aura qu’il s’était forgée : il a passé des décennies à perfectionner son image et à construire sa marque au Cheval Cabré, accumulant le prestige dans les courses et sur la scène automobile. Sans jamais oublier d’où il venait.

Une de ses proches connaissances m’a récemment confirmé que Il Drake (comme la presse italienne a fini par l’appeler) n’avait jamais perdu sa fascination pour la manipulation des grands et des riches : « Il aimait les voir danser à sa façon, mais, dès qu’ils offraient suffisamment d’argent, il leur vendait n’importe quoi. Il aimait toujours faire le plus gros coup. Les riches obtenaient peut-être ce qu’ils voulaient, et repartaient en souriant, mais d’abord, ils lui laissaient leur argent, à lui, Ferrari… ».

1930 colle della maddalena nuvolari, alfa romeo with enzo ferrari
En 1930, en tant que patron de l’équipe, il pouvait compter sur le légendaire Nuvolari (ici à califourchon sur une Alfa P2) parmi ses pilotes.

C’est en partie cette mentalité de marchand (certains disent de paysan) qui a fondé la grandeur de Ferrari. Mais plus important encore, l’homme était un grand manipulateur, surdoué dans l’art d’exploiter le talent des autres. Pendant des décennies, il a eu un œil presque infaillible, en particulier pour les ingénieurs qui contribueraient à sa légende. Et avant que le potentiel de ces ingénieurs ne soit épuisé, Enzo Ferrari en faisait éclore d’autres, prêts à prendre la place vacante. Une fois qu’ils étaient finalement écartés, le pic de leur carrière était déjà derrière eux, le gros de leur potentiel habilement capté par Ferrari.

Enzo Ferrari était un Modenais par excellence. Sa ville natale, située au pied des Apennins, à l’extrémité sud de la vaste plaine du Pô, est réputée depuis des siècles pour ses artisans. Ouvriers travailleurs du métal, fondeurs, fabricants d’outils dotés de capacité de conception et créativité pure : tout cela abonde. Pendant des décennies, la plupart d’entre eux étaient prêts à travailler un nombre d’heures absurdement élevé pour gagner des salaires ridiculement bas. La fierté de la création et de la réussite était considérée comme une tradition locale de l’Emilie-Romagne : le temps libre et les salaires venaient bien après. Cela convenait parfaitement à Enzo Ferrari, qui est devenu l’un des plus grands manipulateurs d’hommes de l’histoire industrielle et commerciale.

Son père, Alfredo, dirigeait une modeste entreprise de métallurgie à Modène, et avait deux fils : Alfredo, né en 1896, et Enzo, né le 18 février 1898. Enzo avait dix ans lorsque son père les emmena tous deux à Bologne pour assister à la course sur route de la Coppa Florio. Felice Nazzaro l’avait remportée à bord d’une Fiat de 130 ch à transmission par chaîne. L’année suivante, Enzo a assisté à la rencontre locale de sprint sur la ligne droite de Navicello. Les voitures et les courses automobiles l’excitaient beaucoup.

spitzley c. 1935 36 gasogeno car z 0174 02345 gasogeno dux
Voici une curiosité. Dans les années 30, les pénuries d’essence en Italie ont mené à faire des essais de gazogène (en brûlant du charbon pour produire un gaz combustible), et des Alfa Gasogeno ont été engagées à la Mille Miglia, bien qu’elles fussent très lentes. Enzo Ferrari n’était probablement pas ravi (à gauche de la photo).

Lorsque l’Italo-Américain Ralph de Palma remporta les 500 miles d’Indianapolis en 1915, Enzo a vu sa photo étalée dans la presse sportive et a pris sa décision : « Je serai pilote de course ! ».

Son éducation était relativement sommaire, mais ses années d’adolescence ont été consacrées à l’auto-apprentissage. Il a toujours été un lecteur vorace. Il se rêvait en journaliste et, à 16 ans, il écrivait des articles sur l’équipe de football du Modena FC pour l’importante Gazzetta dello Sport. Ses lectures lui ont permis d’acquérir une grande compréhension de son prochain. Dans les années 1980, lorsque j’ai demandé à l’ingénieur en chef de Ferrari, l’Ingeniere Mauro Forghieri, ce qu’il considérait comme étant la plus grande qualité du vieil homme, il a longuement réfléchi avant de répondre : « … Une compréhension de la faiblesse humaine… ». Toute faille dans la personnalité ou le caractère d’un homme talentueux pouvait être impitoyablement exploitée à l’avantage de La Ferrari (et elle l’était).

Les premières tragédies

Il y a aussi eu des tragédies. En 1916, le père et le frère aîné d’Enzo, Dino, ont tous deux trouvé la mort. En 1917, Enzo était lui-même enrôlé dans l’armée italienne, et il a rapidement contracté la grippe meurtrière qui a fait plus de victimes en 1918 que la guerre en elle-même. Il a survécu de justesse, devenant par la suite sujet à une « poitrine faible », une tendance qu’il brandira par la suite à sa convenance si cela pouvait lui assurer le moindre avantage

De son propre aveu, Enzo s’est retrouvé seul dans l’immédiat après-guerre, mais cela ne tenait pas compte de sa proximité avec sa mère, Adalgisa, qui a constitué un point d’ancrage permanent dans sa jeune vie. Rejeté par Fiat à Turin, il a trouvé un emploi consistant à collecter des châssis de camions pour un concessionnaire nommé Giovannoni, et à les livrer à une carrosserie à Milan, pour que ceux-ci soient carrossés en véhicules de tourisme qui étaient plus demandés. C’est ainsi qu’il a appris à connaître et à être connu des hommes de l’automobile des deux grandes villes italiennes.

Débuts de pilote

200030.jpg

L’un d’eux était Ugo Sivocci, un pilote d’essai pour CMN. Il a offert à Ferrari un emploi similaire à plein temps et, le 23 novembre 1919, Ferrari a piloté une CMN dans la première épreuve sportive d’après-guerre en Italie, la course de côte de Parma – Poggio di Berceto. Il s’est classé quatrième dans sa catégorie et, six semaines plus tard, il a emmené sa CMN à la neuvième place de la première course sur route italienne d’après-guerre, la Targa Florio, en Sicile.

Après que Sivocci fut passé chez Alfa Romeo, Ferrari s’est acheté une vieille Isotta Fraschini de GP de 1914 pour la course de côte de Parma – Poggio di Berceto de mai 1920. Il l’a conduite jusqu’à la troisième place, puis l’a pilotée à nouveau au Mugello et à la course de côte de Consuma. Sivocci lui trouva alors un emploi chez Alfa Romeo, où il devint à la fois un pilote régulier de l’équipe dans les courses mineures et le bras droit du plus proche collaborateur de Nicola Romeo, Giorgio Rimini.

À son meilleur, Enzo Ferrari était un pilote de course calme, analytique et éduqué. Au cours des années 1940 et 1950, ses ingénieurs ont dû apprécier ses capacités de pilote d’essai

Alfa Romeo présenta des voitures de série dépouillées à la Targa Florio de 1920 et Enzo Ferrari en a mené une à la deuxième place. Au cours des trois années suivantes, il n’a piloté que pour Alfa Romeo, à l’exception d’une sortie au volant d’une Steyr lors de la course de côte Aoste – Gran San Bernardo de 1922. Durant cette période, Ferrari est devenu l’homme à tout faire de Rimini.

À l’époque, Fiat régnait sur le monde des GP, son atelier expérimental turinois étant à la pointe de la technologie automobile. Lorsque Sivocci trouva la mort à bord du prototype de la voiture de Grand Prix Alfa Romeo GPR (ou « P1 ») lors des essais du GP d’Italie, à Monza, Rimini persuada Nicola Romeo qu’ils devaient chasser sur les terres de Fiat. Ferrari fut l’émissaire choisi par Alfa, et c’est par son intermédiaire que le légendaire ingénieur Vittorio Jano fut (entre autres) attiré de Fiat à Alfa Romeo pour fonder ce qui allait être les années de gloire de Portello.

Pendant ce temps, Enzo Ferrari courait sur des voitures de seconde zone. Il remporta tout de même sa première victoire à Savio, Ravenne, en juin 1923, et il affirmait que son audace dans cette épreuve lui valut de recevoir le ­Cavallino Rampante (le Cheval cabré), l’emblème de l’As de la première guerre mondiale Francesco Baracca, de la part de la famille du héros décédé. En 1924, il remporta trois grandes courses d’affilée, à Savio, Polesine et Pescara. Ce dernier succès lui valut un honneur mineur, celui de Cavaliere dell’Ordine della Corona d’Italia. Il fut ensuite élevé au rang de Commendatore, titre qui sera utilisé de manière populaire pendant des décennies, même s’il expliquait lui-même qu’il s’agissait d’une distinction fasciste abrogée après la défaite du régime en 1943-45. Lui-même préférait qu’on l’appelle « Ingegnere », « Monsieur » ou tout simplement « Ferrari ».

Entre-temps, son triplé de victoires en 1924 persuada la direction d’Alfa de le nommer quatrième pilote de son équipe de Grand Prix composée des nouvelles voitures « P2 » conçues par Jano et engagées dans la plus grande course de l’année, le Grand Prix de l’ACF à Lyon-Givors. Enzo Ferrari participa aux essais, mais il s’est retiré avant la course, fuyant chez lui à Modène. Il a expliqué plus tard qu’il avait souffert d’une « dépression nerveuse ». Le grand journaliste italien contemporain Giovanni Canestrini aurait cru en privé « … qu’il avait tout simplement peur. La P2 le dépassait ».

Le fait que rien de tout cela n’ait été publié et qu’Alfa Romeo l’ait fermement soutenu en dit long sur la popularité d’Enzo Ferrari. Quelques semaines après la course de Lyon, il travaillait aussi étroitement que jamais au sein de l’équipe, mais plus en tant que pilote… Il n’a plus couru jusqu’en 1927, alors qu’il était à la tête d’une bonne agence Alfa à Modène, année où il remporta encore quelques épreuves relativement mineures. À cette époque, il avait épousé une riche Milanaise, Laura, qui l’accompagnait partout sur les courses.

Sa fin de carrière de pilote

En tant que concessionnaire, les locaux d’Enzo Ferrari à Modène attiraient une riche clientèle de gentlemen drivers et, à la fin de l’année 1929, il persuada trois d’entre eux, les frères Caniato et Mario Tadini, de financer la fondation de la coopérative Scuderia Ferrari pour préparer, engager et faire courir leurs voitures Alfa Romeo. Ils pouvaient alors se présenter au bon endroit, le bon jour, et trouver leurs voitures présentes et prêtes à courir : les inscriptions, et tout le reste, étaient organisées par Ferrari.

La dernière victoire d’Enzo en tant que pilote fut celle de la course de côte de Bobbio – Passo del Penice, le 14 juin 1931, tandis que son tout dernier engagement a eu lieu lors de la course sur route de Tre Provincie, le 9 août de la même année, dans laquelle il a lutté longtemps et durement contre Tazio Nuvolari et n’a été battu que de justesse pour la deuxième place.

À son meilleur, Enzo Ferrari était un pilote de course calme, analytique et éduqué. Au cours des années 1940 et 1950, ses propres ingénieurs ont certainement apprécié ses capacités de pilote d’essai et le retour d’informations utiles qu’il en a tiré. Au volant d’une voiture de route, il était rapide, sûr et soigné, presque jusqu’à la fin de sa carrière de pilote. Entre-temps, en 1931, Enzo Ferrari, en bon publiciste accompli, a beaucoup parlé des raisons de sa retraite de pilote et de la perte que cela représentait pour lui. Il avait toujours promis à Laura qu’il arrêterait de courir lorsqu’ils auraient des enfants et elle venait de lui annoncer qu’elle était enceinte.

Leur fils est né le 19 janvier 1932. Respectant la tradition familiale, ils l’ont appelé Alfredo, en référence au père et au frère aîné d’Enzo, Alfredo. Le diminutif affectueux d’Alfredo est « Alfredino », d’où Dino Ferrari, le surnom du fils malchanceux du Commendatore.

Création de la Scuderia

enzo ferrari 2

L’équipe d’usine d’Alfa Romeo a cessé ses activités en raison de difficultés financières en 1932. Enzo Ferrari a alors fait de sa Scuderia une quasi-équipe d’usine. De la mi-1932 à 1937, la Scuderia est devenue « Alfa Romeo Racing ». Les ambitions journalistiques d’Enzo Ferrari avaient trouvé un débouché dans une série de publications de la Scuderia, un magazine et un journal. Une partie de sa politique consistait à publier des profils élogieux des organisateurs de courses avec lesquels il traitait. Cela a favorisé l’établissement de relations étroites dont la Scuderia a sans aucun doute profité…

Mais cette période heureuse fut stoppée net en 1934 par l’émergence des écuries allemandes de Mercedes-Benz et d’Auto Union, soutenues par l’État, qui dominèrent rapidement les courses de GP, raflant tous les prix et les primes. Incapable de rivaliser avec les « TransAlpini », comme il les appelait, en termes d’argent, d’hommes et de ressources, Ferrari chercha à gagner ailleurs. En 1935, deux Alfa Romeo Bimotore Libre à deux moteurs furent construites dans ses locaux de Modène, mais leur succès fut limité. Nuvolari remporta une victoire surprise au volant d’une Scuderia Alfa lors du GP d’Allemagne 1935, mais ce fut un événement unique.

En 1937, Enzo Ferrari était le maître d’œuvre de la création d’une Vetturetta de 1,5 litre à compresseur (la Formule 2 de l’époque) qui sortit de son usine de Modène sous le nom d’Alfa Romeo 158 Alfetta. Mais le nouveau président d’Alfa, Ugo Gobbato, rapatria rapidement le programme de course en interne pour 1938, la Scuderia de Modène fut liquidée et Enzo Ferrari ne put supporter que brièvement d’en être le Direttore Sportivo, sous l’œil de la direction, dans le nouveau siège d’Alfa Corse à Milan. Manifestement à l’étroit, il quitta l’entreprise à la fin de l’année 1938. L’une des clauses de son contrat de licenciement prévoyait qu’il ne pouvait ni construire ni faire courir de voitures portant son nom pendant les quatre années suivantes. Il créa donc un atelier de mécanique de précision de haute qualité dans son ancien QG de la Scuderia, sur la Viale Trento-Trieste à Modène, sous le nom d’Auto-Avio Costruzioni. C’est là que le fils d’Antonio Ascari, le chef de l’équipe Alfa Romeo de 1924, lui rendit visite, vers la Noël 1939.

Le jeune Alberto Ascari et son ami aristocrate, le Marquis Lotario Rangoni, souhaitaient que Ferrari leur construise une paire de voitures de sport capables de concourir dans la catégorie 1 500 cm3 lors des prochaines Mille Miglia, à Brescia en 1940. Fiat offrait des primes attrayantes en cas de succès aux Mille Miglia avec des voitures basées sur ses composants, et AAC a donc produit deux voitures « 815 » propulsées par des moteurs de 1 500 cm3 à huit cylindres en ligne dérivés de blocs Fiat. À Brescia, les jeunes Ascari et Rangoni se sont illustrés avant d’abandonner. Mais la Seconde Guerre mondiale éclata et Ferrari dut transférer son entreprise dans les contreforts des Apennins, à Maranello, pour fabriquer des machines-outils de conception allemande.

Après la Seconde Guerre Mondiale, Ferrari prend son envol

1947 circuito di piacenza.. start, with cortese in the ferrari 125 on left
La première voiture à porter le nom de Ferrari, la 125 S (au premier rang, à gauche) est apparue en 1947 et a rapidement remporté des courses. Ici, le Grand Prix de Rome, disputé dans les rues entourant les thermes de Caracalla.

Au cours des hostilités, Ferrari s’est livré à un exercice d’équilibriste d’une immense (et périlleuse) diplomatie entre les fascistes de Mussolini et les partisans communistes pro-alliés (particulièrement répandus et actifs autour de Modène). À la fin de la guerre, il était déjà en train de préparer la production de nouvelles voitures de route et de course, désormais libéré des clauses de séparation ­d’Alfa Romeo et en mesure d’utiliser son propre nom.

enzo ferrari 1
José Froilán González remporta sa première victoire, et la première de la Scuderia Ferrari en Formule 1, au GP d’Angleterre 1951

Pendant ce temps, l’ingénieur Gioacchino Colombo (le principal concepteur de la 158 Alfetta) était dans une situation difficile, licencié par Alfa et réputé pour son soutien trop enthousiaste à Mussolini. Une telle loyauté envers un dictateur convenait parfaitement à Enzo Ferrari… Colombo, décida-t-il, était l’homme qu’il lui fallait. Et c’est ainsi que Ferrari présenta juste après la guerre sa première voiture de sport à hautes performances, même si son pays, encore constellé de cratères fumants, était ruiné par le conflit. Les deux hommes se sont mis d’accord sur les performances et le potentiel de développement à long terme d’un moteur V12, et la longue lignée des blocs dodici cilindri Ferrari a été fondée à ce moment précis.

Après avoir épuisé le génie original de Colombo, et celui de l’ingénieur de développement Giuseppe Busso, Ferrari encouragea ensuite les théories sur les V12 et les quatre cylindres atmosphériques de l’ingénieur remplaçant Aurelio Lampredi. Concepteur dur et ambitieux, Lampredi a excellé avec Ferrari. En 1951, ses voitures de GP à V12 atmosphérique de 4,5 litres ont finalement brisé la domination des Alfetta d’après-guerre. « J’ai l’impression d’avoir tué ma propre mère » a écrit Ferrari, sans doute conscient de la théâtralité de ses propos, mais sans doute également ravi de l’avoir fait.

470250.jpg
Enzo se montre intéressé par l’assemblage d’un des premiers moteurs V12

Les voitures à quatre cylindres 2 litres de Lampredi ont ensuite permis à Ascari de remporter en 1952 et 1953 les deux premiers titres consécutifs de Champion du Monde des conducteurs de l’histoire de la course automobile. Les succès et les ventes des voitures de sport allaient bon train. Enzo Ferrari était au sommet du monde de la course automobile, qu’il dominait tel un colosse modenais. Il fallait des hommes de la même stature et de la même trempe, pour le faire tomber. L’un d’entre eux était Tony Vandervell, qui fabriquait les roulements Thinwall qui avaient résolu la plus grande faiblesse des premières Ferrari, et qui engageait les monoplaces portant son nom. Entre lui et Enzo Ferrari, ce fut un affrontement de titans

Lorsque Lampredi échoua à renouer avec le succès en 1955, Enzo Ferrari l’éjecta sans ménagement

Mais la bonne étoile de Lampredi n’allait pas tarder à se ternir. Lorsqu’il échoua à renouer avec le succès en 1955, il fut éjecté sans ménagement (pour rejoindre Fiat) et à la place, en grande partie par chance, Enzo Ferrari hérita des monoplaces Lancia, qui s’était retiré de la F1, et de l’ex-ingénieur du constructeur, Vittorio Jano.

Les voitures de route et les drames

Sur le front des voitures de route, Ferrari avait créé une véritable division de production en collaboration avec un autre homme fort de l’industrie italienne, le styliste et carrossier Battista « Pinin » Farina, pour construire et vendre des voitures de GT sur la base du succès de son équipe de compétition. Les victoires en courses de voitures de sport au Mans et dans une myriade d’autres épreuves de longue distance ont prouvé la valeur de ses autos. Par-dessus tout, la plus grande caractéristique des Ferrari était leur « insubmersibilité » : des moteurs qui tournaient sans discontinuer, des boîtes de vitesses qui aimaient être utilisées. La puissance était tout, la tenue de route secondaire. Les moteurs étaient au premier plan : les châssis n’étaient que des supports qui maintenaient les roues en place.

De telles attitudes n’ont pas toujours donné naissance à des voitures de course « faciles ». De nombreux pilotes ont trouvé la mort à bord des bolides Ferrari, la plupart d’entre eux faisant ce qu’ils aimaient le plus dans des voitures que, malgré leurs problèmes de contrôle, ils adoraient. Lorsque des pilotes de l’équipe d’usine comme Musso et de Portago se sont tués en course, Ferrari a été cloué au pilori : il avait fait son deuil publiquement, mais continuait à courir sans se décourager. Il avait tout simplement déjà vu tout cela auparavant… Et son empire n’a cessé de croître.

Quand ses pilotes d’usine trouvaient la mort en course, Enzo faisait son deuil en public, mais il continuait à courir sans se décourager

Après la mort de son fils Dino en 1956, à l’âge de 24 ans, des suites d’une dystrophie musculaire, le vieil homme se tourmenta publiquement sur le destin de son entreprise, privée (selon lui) d’héritier. Ses chagrins (et ses écrits) très publics et très latins sont presque embarrassants, sans doute alimentés par sa femme Laura. Puis, au milieu des années 1960, ce chagrin s’est brusquement calmé. Piero Lardi, le fils de la maîtresse d’Enzo Ferrari, Lina, est né à la fin de la guerre et il travaillait à Maranello. On raconte que Laura essayait de temps en temps de le retrouver là-bas, obligeant le pauvre garçon à se mettre à l’abri. Finalement, à la mort de Laura, Enzo Ferrari a publiquement reconnu Piero et l’a désigné comme son successeur.

La fin de l’indépendance

670350.jpg
En 1966, Ferrari fut détroussé par Ford à Daytona (comme à Sebring et au Mans), alors le triplé aux 24h de Daytona 1967 fut particulièrement apprécié par Enzo Ferrari.

Pourtant, comme l’a dit un jour Phil Hill, Enzo Ferrari était toujours en train d’attiser le feu sous la marmite bouillante dans laquelle tout pilote de course digne de ce nom ne pouvait que sauter. Les mauvais moments de 1955, lorsque ses voitures de sport et de course étaient battues à plate couture par des Mercedes-Benz renaissantes, ont pris fin lorsque, avec le soutien de Fiat, il est devenu l’héritier du matériel et de la technologie Lancia lors de la faillite de la société turinoise.

Ainsi, de 1956 à 1961, le loup n’a pas franchi la porte de Ferrari, tant sur le plan financier que mécanique. En 1962-1963, la situation s’est de nouveau détériorée et il a été courtisé assidûment par Ford. Habilement, Ferrari a utilisé les avances naïves des Américains pour se faire renflouer par Fiat. Mieux financé, il fut alors en mesure de priver le géant de Détroit de la gloire que celui-ci convoitait le plus : la victoire aux 24 heures du Mans jusqu’en 1964 et 1965. Mais Ford avait une revanche à prendre et finit par écraser Ferrari dans l’épreuve d’endurance entre 1966 et 1968.

En 1969, tout allait mal : Ferrari fabriquait trop peu de voitures de série pour maintenir une rentabilité suffisante, la fortune de la Formule 1 était en train de s’effondrer et le remplacement du V12 par un 12 cylindres à plat ne portait pas ses fruits. Ferrari se rapprocha alors de Gianni Agnelli chez Fiat et le jeune magnat italien accepta que Fiat achète la moitié des actions de la société Ferrari à un taux annuel fixe, à payer aussi longtemps que le vendeur vivra… Une forme juridique italienne connue sous le nom de in vitalizio. Enzo Ferrari était sans doute déterminé à ce que ce rachat coûte cher à Fiat…

Par la suite, Fiat a pris soin de ne pas donner l’impression de s’immiscer dans les affaires : l’opprobre de l’interférence avec le programme du Grand Prix de Formule 1, le grand amour d’Enzo Ferrari (il a construit des voitures de route simplement pour financer la compétition) a toujours menacé en Italie « d’aggraver l’opinion publique plus que cela n’en valait la peine ». À l’hiver 1987, encore, Enzo Ferrari présidait une réunion à Maranello « et un seul homme parlait », comme me l’a raconté un ingénieur présent.

Un homme dur mais clairvoyant

ferrari e montezemolo
Enzo avec Niki Lauda et Luca di Montezemolo, les architectes de la résurgence de l’équipe dans les années 70.

Avec les installations, l’expérience et le soutien technologique de Fiat, il n’y avait guère d’excuse valable (du moins jusqu’à ce que Honda, BMW et Renault entrent dans la danse de la Formule 1) pour que Ferrari ne domine pas la discipline pendant des années. Mais, à plusieurs reprises, la politique interne de Ferrari a coûté plus qu’elle n’a rapporté, et pendant de nombreuses années, la réalité a été qu’Enzo Ferrari s’est constamment tiré dans le pied de ses intérêts. Après la victoire de Phil Hill au Championnat du monde en 1961 et celle de John Surtees en 1964, des querelles internes ont chassé l’Anglais de Maranello en 1966, et ce n’est qu’en 1975 (avec l’arrivée de Luca di Montezemolo et de Niki Lauda) que Ferrari a atteint à nouveau de tels sommets en Formule 1.

Enzo Ferrari était un grand homme, sans aucun doute. C’était aussi un homme difficile, et un homme dur. Son goût pour la politique et les complots se retournait souvent contre lui, mais considérez la charge de travail qu’il a supportée lors de la création de son entreprise : il devait jongler d’une part avec les ingénieurs et les concepteurs en interne, de l’autre avec la fourniture de châssis et de carrosserie en sous-traitance, trouver un équilibre entre les besoins de clients capricieux de la haute couture automobile, les préoccupations commerciales, les contrats des pilotes, la compétitivité et les plaintes, la manipulation des règlements sportifs, les plans d’avenir, la visite du Roi des Belges ou d’une star du cinéma hollywoodien… Pendant 70 ans, tel était le programme de chacune de ses journées de travail longues de 16 heures.

Et tout cela de la part d’un homme qui, à partir de ses maigres racines modenaises, est devenu un géant, Il Drake, comme on l’appelait : « le Dragon ». Pour moi, un souvenir de son secrétaire de longue date dans les années 1950, Romolo Tavoni, en dit long sur l’engagement, l’intensité et l’ambition de l’homme. « Dans le dialecte modenais, il pouvait souvent être brutalement franc, comme il l’a été à cette occasion vers 1953 ou 1954. « Vous savez… », observait-il en soupirant, « il suffirait que trois directeurs de banque à Modène se parlent entre eux pour que nous soyons fichus ! ». Bravo, Monsieur Ferrari.

Souvenirs d’Enzo

Le dur à cuire
Giotto Bizzarrini, Ingénieur en chef (1957-1961)

giotto bizzarini

« Un matin, Ferrari est entré en trombe dans mon bureau. « Bizzarrini, m’a-t-il dit, nous avons en entrepôt plein de pièces détachées de 250 GT, un modèle vieillissant de plus en plus difficile à vendre. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre toutes ces pièces, inventez quelque chose pour les utiliser. Vous avez 30 jours ou vous êtes viré. » Puis il est parti.

Je savais très bien qu’il tiendrait sa promesse et je me suis tout de suite mis au travail. Le projet est devenu la 250 GTO. Elle est née de cette menace et de mon besoin de toucher mon salaire : je devais payer le crédit de ma maison et ne pouvais pas me permettre de perdre mon travail ! »

Le côté impitoyable
Romolo Tavoni, Directeur d’équipe (1950-1961)

romolo tavoni

« Professionnellement, j’ai grandi chez Ferrari. Quand Enzo Ferrari m’a engagé le 26 janvier 1950, il a commencé à me créer. J’étais le secrétaire de la Scuderia, et aussi son assistant personnel, en charge de sa vie professionnelle et privée. Quand il m’a renvoyé en 1961, j’étais un directeur et mon erreur fut de cosigner, comme l’a fait chaque directeur, une lettre lui demandant de laisser sa femme en dehors de l’entreprise. Elle était devenue instable après la mort de Dino.

Il nous a tous renvoyés, pas parce que nous avions des problèmes avec Signora Laura, mais parce que nous avions demandé à un avocat d’écrire la lettre. Si nous lui avions parlé directement, il ne nous aurait jamais renvoyés. Il avait raison et j’avais tort, parce qu’il s’attendait à de la loyauté de notre part. Impliquer un avocat dans une affaire interne, c’était comme le tromper. Mais il fut impitoyable : non seulement il nous avait renvoyés, mais il nous a empêché de trouver un nouveau travail autour de Modène ou dans l’industrie automobile pendant de nombreuses années. »

Désobéir aux ordres
Mauro Forghieri, Directeur technique (1959-1987)

mauro forghieri

« Nous n’étions pas riches, toujours à lutter avec le budget. Ferrari n’aimait pas les vieilles voitures parce qu’il regardait toujours vers l’avenir. Après une saison de course, il demandait toujours à Ermanno Della Casa, le fidèle comptable de l’entreprise, de s’arranger pour détruire les vieilles voitures de course. Heureusement (et pas seulement parce que sinon, nous aurions perdu de nombreux artefacts historiques) Della Casa ne les envoyait pas à la casse mais les vendait aux clients les plus importants.

Il ne gardait pas l’argent pour lui : il le donnait toujours tout à l’entreprise, surtout au département course, et nous l’utilisions pour développer les voitures de Formule 1. Ferrari savait toujours tout ce qui se passait et je suis certain qu’il était au courant de cette « violation de ses ordres », mais qu’il l’acceptait, et que la façon dont elle bénéficiait finalement à l’entreprise devait le faire sourire. Mais il n’a jamais dit un seul mot à ce sujet. »

Discuter en français
Derek Bell, Pilote d’usine (1968-1969)

derek bell

« J’ai participé à un test à Monza puis je me suis rendu à l’usine pour rencontrer Enzo. Nous avons déjeuné de l’autre côté de la rue chez Cavallino et discuté en français. Je ne sais pas s’il ne savait pas, ou ne voulait pas, parler anglais. Je n’avais pas encore signé et il me posait des questions sur d’autres pilotes et était clairement intéressé par Rindt. Avant que je rentre chez moi, ma mère avait reçu un télex me demandant de me rendre à Modène pour signer le contrat. Elle m’a dit « Si tu signes, tu ne repasses jamais la porte de cette maison ». Enzo avait la réputation de pousser ses pilotes jusqu’à leurs limites…

J’ai repris l’avion et j’ai donné mon accord pour courir en F2 et, si j’avais le niveau, en F1, pour une paye de 250 livres par course, 500 livres en F1. J’avais une superbe relation avec Enzo. Il était très encourageant et il ne m’a jamais poussé. Nous avons eu beaucoup de déjeuners et de dîners agréables ensemble. J’ai couru deux ans pour lui. Un an avant sa mort, je l’ai revu. Ce fut un moment riche en émotions. »

Nos dernières occasions
Archives Spitzley / Zagari et Ferrari

Partager cet article

Recevez les dernières actus

Inscrivez-vous à notre Newsletter

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription est confirmée.
SPORTIVES
D’OCCASION
549 000 €
ferrari s90 spider occasion 1
Ferrari SF90 Spider
Mise en circulation : octobre 2023
109 900 €
ferrari f430 occasion 1
Ferrari F430
Mise en circulation : février 2005
249 500 €
ferrari 488 spider occasion 1
Ferrari 488 Spider
Mise en circulation : février 2017
254 900 €
ferrari 488 spider 1
Ferrari 488 Spider
Mise en circulation : mai 2017
539 900 €
ferrari 812 gts occasion 2
Ferrari 812 GTS
Mise en circulation : mars 2023
1 690 000 €
ferrari 599 sa aperta 1
Ferrari 599 SA Aperta
Mise en circulation : juin 2011
378 000 €
ferrari f8 tributo spider occasion 1
Ferrari F8 Spider
Mise en circulation : août 2020
logo enzo 500x280 1.png

NE MANQUEZ PAS LE PROCHAIN NUMÉRO

 VOUS AIMEREZ

AUSSI

lamborghini revuelto 2
Recevez les dernières actus

Inscrivez-vous à notre Newsletter

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription est confirmée.