Reportage

Entretien du V12 Colombo Ferrari : à coeur ouvert

Lorsqu’il faut ouvrir un V12 Colombo pour le refaire, ce n’est pas une opération anodine. Le garage Dino Sport nous guide sur la marche à suivre.

Enzo Ferrari le disait sans détour dans ses mémoires, Mes joies terribles : « J’ai toujours donné une grande importance aux ­moteurs et beaucoup moins aux châssis », expliquant qu’il s’efforçait d’en « sortir le plus de puissance possible, avec la conviction que c’est la puissance qui est responsable du succès sur les circuits ». Peu de constructeurs peuvent se targuer d’un lien aussi intime que Ferrari avec sa mécanique, au point qu’il est toujours inenvisageable aujourd’hui d’imaginer une grande Ferrari sans V12.

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Éparpillé façon puzzle

Alors, qu’y a-t-il de plus triste qu’une Ferrari privée de sa mécanique ? En observant la 250 GTE Série 1 noire qui me fait face dans les ateliers de Dino Sport, capot déposé et compartiment moteur désespérément vide, je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Le beau bolide ne semble plus être qu’une enveloppe vide dépourvue de vie, un patient placé en coma ­artificiel sur son lit d’hôpital. Son V12 n’est pas bien loin, mais lors de notre première visite le Tipo 128E – l’une des toutes dernières évolutions du V12 Colombo, dont nous vous expliquions l’évolution dans notre numéro précédent – est éparpillé par petits bouts, façon puzzle, dans l’atelier mécanique du garage. Comment en est-on arrivé là et surtout, comment remonter toutes ces pièces à leur place ? C’est que nous allons découvrir maintenant.
Née en 1961, notre patiente souffrait de quelques problèmes au cœur – pétarades, pertes de puissance et incontinence – malgré une réfection de sa mécanique par un “spécialiste” il y a moins de dix ans. Alors, docteur, quel est le verdict ?
Le docteur, c’est “Dino” Chevallier, et sa blouse est rouge et frappée du cheval cabré. Il est secondé par son fils, Simon, la seule et unique personne avec laquelle il accepte de travailler. Le deux parlent comme un seul homme lorsqu’il s’agit d’évoquer leur travail.

Monter un moteur, c’est facile, mais savoir poser les pièces de la bonne façon, c’est ce qui fait la différence entre un mécanicien et un motoriste 

 

« Sur un moteur que l’on ne connaît pas, la première chose à faire est systématiquement de prendre les compressions. C’est le juge de paix qui va nous permettre de savoir ce qui peut être réglé et ce qui ne peut pas l’être. Dans ce cas, les compressions étaient très faibles, voire nulles. Sur un moteur d’origine, il est normal d’avoir un taux de compression de 7:1 ou de 8:1, mais ici elles allaient de 9:1 sur certains cylindres – ce qui prouve qu’une réfection a bien été menée – à 3:1 sur d’autres. Là c’est un problème, et surtout, on est sur une voiture impossible à régler. » Seule solution : tout démonter et refaire ou changer ce qui doit l’être.
La première étape, une fois le moteur déposé et démonté pièce par pièce, est celle de la métrologie, c’est-à-dire la mesure de tous ses composants, afin de connaître l’étendue du travail à réaliser et chiffrer celui-ci au centime près.
« En sortant les pistons, on analyse comment ceux-ci sont marqués. Les chemises permettent de constater s’il y a une ovalisation, on vérifie également les coussinets de bielles et les lignes d’arbres.
En éprouvant les culasses, on observe si elles sont toujours étanches ou si elles sont devenues poreuses. On vérifie si les marques sur les pièces sont conformes à l’origine, et donc que les pièces sont les bonnes, et si elles sont aux bonnes cotes. Nous emportons ensuite toutes les pièces en Italie chez notre réctifieur, qui est habitué à travailler avec le département Ferrari Classiche. Pour des raisons de sécurité, nous assurons le transport nous-même, par la route. Notre prestataire va réaliser une seconde métrologie lui-même avant de refaire toutes les pièces. Il est indispensable de refaire aussi bien les composants du bloc que des ­culasses, pour avoir une force neuve aussi bien sur le haut que le bas moteur, afin que la mécanique tourne de façon bien linéaire.
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Par expérience, nous changeons tous les pistons – complets avec leurs segments, axes de pistons et des bielles soit changées soit rectifiées –, les coussinets et les cales de vilebrequin… J’ai vu des moteurs “neufs” travailler de biais parce que ces dernières, usées, n’avaient pas été changées. Le vilebrequin est radiographié pour vérifier l’absence de pailles qui pourraient le fragiliser, puis débouchonné afin d’en nettoyer l’intérieur de tous ses dépôts graisseux. L’ensemble des pièces est microbillé et nettoyé. »
« Monter un moteur qui tourne après coup, c’est facile, mais il faut les bonnes pièces et les poser de la bonne façon, c’est ce qui fait la différence entre un mécanicien et un motoriste » note Simon sous le regard approbateur de son père. « Il faut être très fin », confirme ce dernier.

Remontage

Une fois toutes les pièces prêtes et de retour à l’atelier Dino Sport, le remontage peut commencer. Il débute par le bas moteur, en mettant en place pistons, bielles et vilebrequin. « Sur les moteurs 250, l’ensemble bloc/carter inférieur/carter de distribution est pris en sandwich et tout doit être prêt à être monté en même temps à cause du temps de séchage très bref de la pâte à joints. Sinon, il y a un risque de fuites. »
Ensuite, il faut s’occuper des culasses, qui seront posées sur des joints de culasse renforcés fabriqués sur-mesure. « Un point important sur les V12 », note Dino. Mais auparavant, il faut monter tous les composants du haut moteur.
« Sur le Colombo, les soupapes sont culbutées par des linguets. Tout est monté sur des bagues bronze qu’il faut changer par des pièces neuves, sur-mesure. » Puis, il y a l’étape délicate du calage de la distribution, réalisée à l’aide d’un disque gradué permettant d’obtenir les points morts hauts exacts, ainsi que celle du réglage des jeux de soupapes et des allumeurs. Ces derniers, qui sont montés en tête des arbres à cames, ont été au préalable entièrement refaits.
Avant le remontage dans la voiture, les allumeurs sont de nouveau déposés. « Ils sont gênants pour l’opération, mais le moteur est équipé sur l’établi de certains de ses périphériques, tels le démarreur ou la pompe à essence. »
Nous assistons à l’émouvante opération de la repose du moteur lors d’une de nos visites durant lesquelles nous avons photographié les différentes étapes du processus de remontage. Carrosserie protégée, la 250 GTE voit son V12 s’avancer vers elle, soigneusement sanglé au palan de la chèvre. Une fois au-dessus du compartiment vide, Simon ajuste méticuleusement l’angle de descente, avant de relâcher progressivement la pression du vérin hydraulique pour laisser le moteur se poser à son emplacement exact, la caisse de la voiture s’abaissant sur ses suspensions comme pour marquer sa satisfaction d’être réunie avec son cœur.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Dino nous indique que « L’opération n’est pas forcément très délicate, car il y a beaucoup de place dans le compartiment. Ça n’a rien à voir avec un moteur de Dino ou de 308. Avec quatre points d’ancrage, le V12 est facile à poser ».

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Redémarrage

Une fois tous les périphériques réinstallés, il est temps de préparer le redémarrage. Pour cela, le moteur reçoit une huile spécifique pour le rodage. « Les huiles ­modernes sont trop performantes pour des moteurs refaits à neuf, les segments ne pourront jamais se ­roder. Comme à l’époque, nous utilisons une huile de rodage durant 1 500 km. Avant de démarrer le moteur pour la première fois, nous le faisons tourner sans l’allumage ni la pompe à essence pour faire monter la pression d’huile jusqu’à ce que l’aiguille de la jauge, directement alimentée par le circuit, indique la bonne valeur. Ensuite, nous mettons les bougies en place, ajoutons de l’essence, et sommes prêts à allumer le moteur.
C’est le moment de tout vérifier. Je suis toujours un peu tendu, je tourne en rond autour de la voiture pendant deux heures, mais je n’ai jamais eu le moindre problème, je n’ai jamais dû redémonter un bloc. On pourrait dire que je suis vantard, mais ce sont les faits ! La suite, le plaisir que l’on ressent, c’est comme une naissance… »
Lorsque le moteur tourne, la Ferrari a retrouvé son âme, mais tout n’est pas pour autant terminé. « Il faut encore affiner l’avance de l’allumage, ce que nous faisons à l’oreille – les lampes stroboscopiques ne sont pas assez précises à cause des vibrations. Nous affinons les réglages des carburateurs de la même manière. Après un temps de chauffe au garage, nous faisons un tour avec la voiture, puis contrôlons de nouveau le tout. Il faut plusieurs essais pour tout vérifier, puis on rode la voiture sur la route entre notre garage parisien et celui de Pont-l’Évêque.
En Normandie, la voiture repasse sur le pont, nous contrôlons les fuites, refaisons les niveaux avant de reprendre la route pour faire le trajet en sens inverse. En général, une voiture parcourt entre 500 et 600 km avant que nous la livrions à son propriétaire.

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À 1 500 km, elle revient pour la révision qui comprend une vidange avec de l’huile standard et le changement des filtres. Nous resserrons la culasse et vérifions les réglages des culbuteurs, avant de poser, évidemment, de nouveaux joints au remontage du haut ­moteur. Enfin, l’allumage et les carburateurs sont de nouveaux ­réglés. Alors, la voiture est prête à rouler “plein pot”. D’ailleurs nous encourageons nos clients à le faire ! »
La somme de travail réalisé est impressionnante. C’est donc le moment de poser la question du coût… « Nous ne sommes pas les moins chers, prévient Dino, nous sommes forcément plus chers que ceux qui font le travail à moitié… Sur un V12, nous proposons un forfait dépose/repose/livraison de 200 heures. En moyenne, tout compris, avec le rectifieur et toutes les pièces, cela tourne entre 42 000 et 45 000 euros TTC. Nous ne laissons rien au hasard. Quand nous refaisons un moteur, tous les composants et tous les auxiliaires sont également revus. Les vieilles durites sont changées par des neuves, avec leurs colliers et leur visserie, le radiateur est refait – un radiateur ancien peut entraîner la surchauffe du moteur, même s’il est neuf – la rampe de carburateurs est chromée, la boulonnerie est bichromatée… »

Gros budget

Nous jetons un œil aux factures et le tarif des pièces donne le tournis : les deux joints de culasse sont facturés par leur fournisseur 800 euros, la pochette de joints 1 500 euros, la réfection du radiateur 1 500 euros, les 24 soupapes 2 600 euros, les 12 pistons 6 000 euros, les coussinets d’arbres 1 500 euros, les guides de soupapes 1 200 euros, les 28 goujons 2 100 euros… – tout cela, hors taxes.
« Les goujons sont un point important. Certains garages vont ­déposer les culasses en conservant les anciens goujons sur le bloc pour ne pas avoir à les retirer – ce qui est indispensable pour pouvoir rectifier ce dernier – au risque d’entraîner des fuites par la suite. Nous les changeons systématiquement. »
Y a-t-il des pièges à connaître quand on travaille sur ces moteurs ? Dino hésite un instant à révéler les connaissances acquises par une longue expérience débutée au début des années 80, lorsqu’il travaillait chez Pozzi. « Sans tout vous dire, il faut savoir, quand on démonte le moteur, qu’il existe une vis qui est cachée et qui ­demande un outil spécial pour être démontée. Si vous l’oubliez, vous pouvez casser le carter de distribution en tentant de le retirer. Parfois les ­culasses ne veulent pas venir. Les goujons en acier peuvent réagir avec l’aluminium de la culasse, à cause des dépôts de liquide de ­refroidissement. Résultat, ils sont littéralement soudés. Nous avons fabriqué des extracteurs sur-mesure pour cette éventualité. Les ­manipuler demande beaucoup de soin, car il est facile de casser une culasse en plusieurs morceaux. »
Nous quittons la 250 GTE peu de temps après l’installation de son moteur, alors que les derniers réglages avant la remise en route sont en cours de finalisation. Au moment où vous lirez ces lignes elle aura probablement retrouvé son heureux propriétaire, impatient d’en reprendre le volant. Espérons qu’il aura bien écouté le conseil de Dino : plein pot !

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Lionel Koretsky

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