L’Audi Quattro eut beau révolutionner le monde des rallyes, son règne fut assez bref. Après avoir décroché la couronne mondiale des Constructeurs en 1982, la défaite l’année suivante face à la Lancia 037 mit en lumière ses défauts de conception avant que la Peugeot 205 T16 qui était une 4 roues motrices à moteur central devienne un révélateur encore plus puissant.
Audi tenta de rester compétitif en sortant en 1984 la Sport Quattro censée répondre grâce à un empattement réduit aux soucis d’agilité pointés par les pilotes d’usine. Mais les modifications offraient si peu de bénéfices que Hannu Mikkola et Stig Blomqvist n’étaient pas pressés d’abandonner leur Quattro à empattement long. Pour 1985, l’évolution E2 tenta d’améliorer la mauvaise répartition des masses en allégeant le nez mais, ce faisant, les ingénieurs ne s’attaquaient pas au vrai problème : pour rester compétitif en Groupe B, Audi avait besoin d’une auto à moteur central.
Malheureusement, les gens du marketing Audi et leurs supérieurs du Groupe VW n’avaient aucune intention de laisser le public imaginer que leur Quattro de route pouvait être imparfaite. Pas plus que Ferdinand Piëch, le créateur de la Quattro et DG d’Audi à l’époque. Malgré cela, Roland Gumpert, alors patron d’Audi Sport commença à travailler en sous-marin sur une auto de rallye à moteur central, en même temps qu’il développait officiellement la Sport Quattro. Ce projet secret fut assemblé en toute discrétion et un premier prototype roulant fut terminé fin 1984. Pour conserver le secret, il fut transporté dans un centre de tests de l’autre côté du Rideau de fer, en Europe de l’Est, où les premiers essais purent se dérouler sans risques d’être découverts. Cependant, au tout début de 1985, le prototype fut rapatrié à l’usine et, après une séance de tests en Autriche, cet engin qui n’avait aucune existence officielle fit la Une du magazine Motorsport Aktuell. Au-dessus des photos, le titre ne laissait planer aucun doute : « Voici la nouvelle bombe d’Audi en rallye ». Mais il était un peu trop tôt.
Les conséquences furent immédiates. Les patrons de VW furent profondément vexés de découvrir qu’une nouvelle auto de rallye était développée sans leur consentement et, moins de 48 heures après la publication des photos, Ferdinand Piëch ordonna et supervisa lui-même la destruction de tout ce qui était en rapport avec ce projet de Quattro à moteur central. Il se dit selon certains que Piëch ne savait absolument rien de ce projet avant le scoop du magazine autrichien. C’est possible : si vous étiez en train de revoir complètement le concept de la Quattro, oseriez-vous réellement en parler au créateur de la Quattro en personne ? D’autres témoignages indiquent que Piëch avait donné son accord et que malgré son amour pour “sa” Quattro, il voulait avant tout être le patron d’un constructeur capable de dominer le monde du rallye. Mais de toute manière, une fois le secret éventé, Piëch n’avait d’autre choix que d’effacer toutes traces de ce projet de Quattro à moteur central pour calmer ses supérieurs chez VW.
Pour rester compétitif en Groupe B, Audi avait besoin d’une auto à moteur central.
Quoique tout ne fut pas totalement détruit. Dans les années 90, l’auto que vous voyez en photo fut extraite des réserves d’une usine Audi. Il ne s’agit pas d’un des deux prototypes originaux à moteur central qui ressemblaient plutôt à une Ur-Quattro aux porte-à-faux plus courts et plus épais avec des prises d’air dans le prolongement des portes. Cet engin ne se destinait pas au Groupe B non plus. C’était en fait une évolution créée dans un atelier séparé du QG d’Audi Sport sous le code RS 002. Son objectif était de courir dans le futur Groupe S très radical qui prévoyait de remplacer le Groupe B après les drames de 1986.
Lorsque cet exemplaire brut de décoffrage fut exhumé, il resta exposé au musée Audi jusqu’en 2016. La division historique d’Audi entreprit alors de redémarrer son 5 cylindres. Cet engin aussi merveilleux que curieux fit ensuite plusieurs démonstrations aux mains du regretté Hannu Mikkola et de Walter Röhrl, deux ex-pilotes usine qui auraient pu l’utiliser en championnat du monde des rallyes si leur direction avait eu plus de considération pour l’idée d’une Quattro à moteur central.